« Le dogme de l'Immaculée Conception est loin d'être secondaire : il est essentiel » - France Catholique
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Marie dans le plan de Dieu
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« Le dogme de l’Immaculée Conception est loin d’être secondaire : il est essentiel »

Image :
Huile sur toile de P. Orticari, 1927, église Saint-Kilian, Dingsheim, Bas-Rhin. © Ralph Hammann / CC by-sa

« Le dogme de l’Immaculée Conception est loin d’être secondaire : il est essentiel »

France Catholique consacre trois numéros à la Vierge Marie avant la réouverture de Notre-Dame de Paris, le 8 décembre. Ce jour-là, l’Église célèbre la fête de l’Immaculée Conception (décalée au 9 cette année, en raison du 2e dimanche de l’Avent). Dogme proclamé par Pie IX en 1854, l’Immaculée Conception fait partie du plan de Dieu dès l’origine. Entretien avec le Frère Renaud Silly, dominicain de Toulouse, théologien et spécialiste d’exégèse biblique.
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Qu’est-ce que l’Immaculée Conception ?

Frère Renaud Silly, op : C’est le dogme selon lequel Marie a été préservée du péché originel. La tradition de l’Église tient que plusieurs saints ont été purifiés du péché originel dès le sein de leur mère – en particulier Jérémie et Jean-Baptiste (cf. Jr 1, 5 et Lc 1, 15) – et n’ont commis aucun péché personnel. Mais l’Immaculée Conception de la Vierge Marie signifie qu’elle a été conçue sans le péché originel, qui ne l’a pas atteinte. C’est un privilège unique dont elle bénéficie, en vue de sa future mission de Mère du Fils de Dieu et de nouvelle Ève, pour être la mère des vivants. En effet, Dieu ne pouvait faire naître son Fils, vrai Dieu et vrai Homme, lui-même immaculé, d’une femme qui aurait été pécheresse. Après des siècles de réflexion, l’Église, inspirée par l’Esprit Saint – et par l’intermédiaire du théologien le bienheureux Jean Duns Scot (1266-1308) –, a compris que, pour recevoir un tel privilège, Marie a bénéficié par anticipation des grâces de la mort et de la résurrection de son Fils. Elle a donc bien eu besoin de la grâce du Salut, comme nous tous, mais elle en a bénéficié par avance pour que le plan du Salut de l’humanité puisse s’accomplir à travers elle.

Que dit la Bible au sujet de l’Immaculée Conception ?

L’expression n’existe pas dans la Bible mais le dogme y est contenu, par la typologie entre Marie et Ève, figures de la « femme » qui traverse la Bible. Dans le livre de la Genèse est évoquée la femme qui vaincra le mal, après la chute d’Ève : « Je mettrai une hostilité entre toi et la femme, entre ta descendance et sa descendance : celle-ci te meurtrira la tête, et toi, tu lui meurtriras le talon », dit Dieu au serpent (Gn 3, 15). Il annonce ainsi à Ève qu’elle aura un descendant qui délivrera les hommes de la domination du démon. Cette allusion à la « descendance » d’Ève a été considérée comme une prophétie de la venue du Messie. Dans le Nouveau Testament, Marie étant la mère de ce messie annoncé, c’est bien son Immaculée Conception qui lui permet d’assumer ce qui a été promis à Ève et lui est transféré, elle qui est sa descendante. Ce messie annoncé étant le Fils de Dieu, il est nécessaire qu’il s’incarne dans un sein pur et sans tache.

Il y a donc un lien direct entre le dogme de l’Immaculée Conception et celui du péché originel…

En effet. Le projet que Dieu avait pour les hommes dès l’origine, et qui devait s’effectuer par Adam et Ève, ne s’est pas passé comme prévu, du fait de leur faute. Mais Dieu, dans son infinie bonté, a voulu faire une nouvelle alliance avec nous, en accomplissant par Marie ce qui était prévu en Ève : il « récapitule » en Marie ce qui aurait dû s’accomplir par Ève. Et c’est précisément par son Immaculée Conception que Marie peut accomplir cela, en devenant la Mère de toute l’humanité nouvelle régénérée par le plan de Salut de Dieu. Dieu étend la grâce du Salut à tous par la maternité de grâce de Marie, l’Immaculée.

Y a-t-il d’autres textes bibliques que la Genèse qui annoncent la figure de l’Immaculée ?

Il y en a, mais ils sont plus implicites. Ils évoquent indirectement la maternité de joie et de grâce de Marie qui se substitue à la maternité douloureuse d’Ève et ses conséquences. Ainsi, le Livre de la Sagesse rappelle que « c’est par la jalousie du diable que la mort est entrée dans le monde » (Sg 2, 24). Le Livre de Ben Sira que « c’est par une femme qu’a commencé le péché, et c’est à cause d’elle que nous mourons tous » (Si 25, 24). Le défaut d’Ève, dans la mission que Dieu lui avait donnée en la créant, a entraîné la mort de tous. Cela permet de comprendre la nécessité, pour nous, de l’Immaculée Conception de Marie. Le Cantique des cantiques nomme explicitement cette femme toute pure que Dieu aime : « Tu es toute belle, ô mon amie ! Nulle tache en toi ! » (Ct 4, 7). Saint Paul pense sans doute à ce passage lorsqu’il dit que le Christ « voulait se la présenter à lui-même, cette Église, resplendissante, sans tache ni ride, ni rien de tel ; il la voulait sainte et immaculée » (Ep 5, 27), dont Marie est la mère. Donc tous les qualificatifs qui évoquent l’Église valent pour elle aussi.

Jésus en parle-t-il lui-même ?

L’Immaculée Conception est implicitement évoquée par Jésus, qui veut faire passer l’idée que Marie est la nouvelle Ève. Alors que, dans la Genèse, Ève reçoit, la première, le nom de « femme » par Adam (Gn 2, 23), juste après avoir été créée de sa côte, Jésus – nouvel Adam – s’adresse à son tour à sa mère, à Cana, en lui disant : « Femme, que me veux-tu ? » (Jn 2, 4). Il le fera de nouveau au pied de la Croix, en lui disant : « Femme, voici ton fils. » En reprenant deux fois ce nom de « femme », Jésus veut montrer le lien entre Marie et Ève. Ève est « la mère de tous les vivants » (Gn 3, 20) par sa maternité universelle humaine. Et Marie, au pied de la Croix, en recevant Jean comme son fils – bien qu’elle ne l’ait pas enfanté –, reçoit de Jésus sa maternité universelle spirituelle, en parallèle d’Ève. Il y a donc un lien essentiel entre ces deux femmes. De même, toujours dans le Nouveau Testament, c’est la même « femme » mais « enceinte », dont parle l’Apocalypse : elle enfante le messie d’Israël. Il y a donc trois lieux dans le Nouveau Testament qui évoquent Marie sous le titre de « femme », ce qui n’est pas l’usage courant.

Cela signifie-t-il que Dieu, dans sa Providence, avait prévu de tout temps à la fois le mal de la chute et son antidote, avec l’Immaculée Conception ?

La prescience divine s’étend à toutes choses créées, puisque Dieu en est la cause première – donc aussi à tous les effets de grâce, dont l’Immaculée Conception. Ces effets de grâce ne sont pas forcément voulus a priori mais peuvent l’être aussi a posteriori. C’est le cas de l’économie de la rédemption par le Christ, dont relève l’Immaculée Conception. Cela aurait pu être autrement. Mais le plan de Dieu, en définitive, se réalise ainsi.

Ce dogme est donc un pilier de notre foi…

Passer à côté de ce dogme, ce serait ne pas comprendre l’enjeu vital de l’histoire du Salut, qui est de nous arracher au péché pour nous permettre de vivre en enfants de Dieu, pour la vie éternelle. Ce qui fait dire à saint Pie X que « l’édifice de la foi [est] renversé de fond en comble » si l’on ne croit pas au dogme de l’Immaculée Conception. C’est le réalisme de notre foi qui est en jeu. Nous espérons la vie éternelle, qui nous a été promise dès les origines. Or Dieu nous offre des moyens concrets pour obtenir cette fin : la renaissance par la grâce, dont une des conditions est l’Immaculée Conception de Marie. Ce dogme n’a donc pas du tout une place secondaire parmi les autres dogmes. Au contraire, il est essentiel.

Essentiel à notre Salut…

En effet. L’Immaculée Conception est bien d’abord un privilège de Marie : chez nous, la vie de la grâce se fait par guérison du péché et non par préservation du péché. Il ne faudrait donc surtout pas nier notre identité de pécheurs. Cependant, ce dogme nous concerne directement car il est lié à la maternité spirituelle de Marie, qui nous enfante à la grâce divine.

De la même manière que la création immaculée d’Ève fait qu’elle est la mère des vivants – donc notre ancêtre à tous –, de la même manière Marie est notre ancêtre à tous dans la grâce. N’oublions pas en effet que notre humanité procède, d’une part, d’un homme et d’une femme créés sans péché – car Ève est sortie immaculée, par les mains de Dieu, de la côte d’Adam, qui lui-même a été créé sans péché. Et, d’autre part, l’humanité nouvelle, sauvée, procède de la même manière d’un homme – le Christ – et d’une femme – Marie – nés sans péché.

Donc ce dogme a une incidence très concrète pour nous. Dieu l’accorde à Marie pour sa sainteté personnelle mais aussi pour la mission qu’elle reçoit dans la communion des saints. Il est le garant de notre nouvelle naissance en grâce, du sein virginal de l’Église et de Marie. En effet, dans la mesure où Ève a perdu, par sa faute, sa maternité en grâce, celle-ci est passée à Marie. Il convenait donc que la Sainte Vierge soit elle aussi immaculée : non pas créée – puisque les générations qui suivent Adam et Ève ne sont pas créées ex nihilo – mais conçue immaculée, puisque tel est le mode de génération naturelle des hommes et des femmes après Adam et Ève.

Ce dogme signifie donc que Dieu ne nous abandonne pas.

Exactement ! Même si son premier projet a été battu en brèche par la liberté humaine – avec le péché originel –, Dieu n’a pas renoncé à sauver les hommes. Il emploie des moyens nouveaux pour enfin le réaliser. L’Immaculée Conception en est une des conditions. C’est donc un dogme très précieux, qui exprime la continuité du plan de Dieu depuis les origines de l’homme jusqu’à son salut.

Comment, concrètement, pouvons-nous vivre de la vie de la grâce – la nouvelle naissance – offerte par l’intermédiaire de l’Immaculée ?

Notre naissance immaculée est d’abord celle du baptême, et du sacrement de pénitence qui le renouvelle. Mais il y a aussi une manière de vivre de l’Immaculée Conception, c’est d’être vraiment les enfants de Marie, de la recevoir pour mère, de la servir comme telle, de l’invoquer comme Reine des anges.