Quels sont les moyens d’action du diable ?
Yves Chiron : Traditionnellement on distingue cinq niveaux. Il y a d’abord la simple tentation : l’incitation au péché que connaissent tous les hommes. Il y a aussi des actions extraordinaires, plus rares. D’abord l’infestation des lieux : une présence maléfique qui se manifeste par des signes sensibles – par exemple une puanteur sans cause matérielle – ou à travers des objets qui ont été consacrés au démon. Il y a aussi la vexation, qui est un assaut extérieur du démon contre les personnes. Le démon se manifeste sous différentes apparences : un animal, une personne connue, une femme, etc. Saint Padre Pio, le célèbre capucin stigmatisé mort en 1968, lorsqu’il était jeune religieux, a connu ce genre d’assauts. Il y a ensuite l’obsession : c’est une idée fixe d’ordre intellectuel ou psychologique, contre Dieu, sa loi, la foi. Le diable agit sur l’imagination, la mémoire ou la sensibilité de la personne. La forme la plus élevée, la plus grave, de l’action du démon est la possession. C’est une intrusion, une action interne du démon qui agit sur le corps humain. Extérieurement, cette possession peut se traduire par des actes désordonnés, des contorsions du corps, des paroles blasphématoires, mais aussi des troubles physiques ou psychiques.
De quand date l’exorcisme et quand s’est-il « codifié » ?
L’Église a toujours combattu le démon. Par les moyens ordinaires : la prière, le jeûne, les sacrements, et par un moyen extraordinaire : l’exorcisme. Le Christ a été le premier exorciste. Les Évangiles nous rapportent six épisodes où il expulse le démon. À chaque fois, il le menace, lui ordonne de sortir du corps qu’il possède et impose les mains. Cette lutte s’est continuée après le Christ, puisqu’il a donné spécifiquement à ses apôtres le pouvoir de chasser les démons. Dès qu’il a choisi douze apôtres, c’est une des deux missions qu’il leur a confiées : « Il gravit la montagne et il appelle à lui ceux qu’il voulait. Ils vinrent à lui, et il en institua Douze pour être ses compagnons et pour les envoyer prêcher, avec pouvoir de chasser les démons » (Mc 3, 15).
Progressivement, la pratique de l’exorcisme a été réservée à des prêtres spécifiquement désignés par l’évêque. Des formules d’exorcisme se sont répandues dès les premiers siècles, avant que certaines soient recueillies dans les livres liturgiques à partir du IXe siècle. Puis le Rituel romain promulgué par le pape Paul V en 1614, après le concile de Trente, a comporté un rituel des exorcismes qui a été en usage dans l’Église pendant des siècles. Un nouveau Rituel des exorcismes a été promulgué par le pape Jean-Paul II, en 1999, sans abolir le précédent.
Quels sont les grands saints exorcistes ?
Saint Antoine, le fondateur du monachisme, en Égypte à la fin du IIIe siècle, a délivré de nombreux possédés, épisodes que rapporte saint Athanase d’Alexandrie dans sa Vie d’Antoine. À la même époque, le grand saint palestinien, Hilarion de Gaza, a exorcisé de nombreuses personnes comme le rapporte sa Vie écrite par saint Jérôme. On peut citer ensuite saint Martin, en Gaule, au IVe siècle, ou saint Bernard au Moyen Âge. Dans des circonstances exceptionnelles, des saintes aussi ont été amenées à pratiquer un exorcisme, c’est le cas notamment de sainte Hildegarde de Bingen, au XIIe siècle, qui fut comblée de tant de dons.
Vous expliquez que l’exorcisme a été délaissé dans les années 1960-1970… Pourquoi ? Qu’en est-il aujourd’hui ?
Non seulement la pratique de l’exorcisme a quasiment disparu dans ces années, mais l’enseignement de l’Église sur le diable, en France notamment, a été méconnu. En 1967, le cardinal Garrone regrettait : « C’est à peine si on ose aujourd’hui en parler, il règne sur la question du démon une sorte de conspiration du silence. » Depuis plusieurs décennies, le diable et l’enfer font très rarement l’objet de prédications lors de la messe. Dans la formation même des prêtres, c’est un enseignement qui a été longtemps négligé. Les choses commencent à changer. En expliquant la sixième demande du Notre Père – « Délivre-nous du Mal » – le Catéchisme de l’Église catholique (2850-2854) rappelle clairement que « le Mal n’est pas une abstraction, mais il désigne une personne, Satan, le Mauvais, l’ange qui s’oppose à Dieu. Le “diable ”, diabolos est celui qui “se jette en travers ” du Dessein de Dieu et de son “œuvre de salut” accomplie dans le Christ. »
L’Occident se déchristianise et pourtant, le diable et l’exorcisme font vendre, à en juger sur la production hollywoodienne… Comment expliquer cela ?
Le diable fascine toujours. Depuis les années 1970, les films sur l’exorcisme connaissent toujours un grand succès. De nombreux jeunes sont attirés par le satanisme et la sorcellerie. Le Hellfest – littéralement le « Festival de l’Enfer »– , organisé chaque année à Clisson, en Loire-Atlantique, est un des festivals de musique les plus fréquentés. S’y produisent, entre autres, des groupes de rock qui se revendiquent du satanisme. On pense à la parole du saint Curé d’Ars : « Laissez une paroisse vingt ans sans prêtre : on y adorera les bêtes. »
Exorcistes. Vingt siècles de lutte contre le diable, Yves Chiron,éd. Mame, mars 2024, 216 pages, 19 €.