L’Amérique, eldorado théologique ? - France Catholique
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Noël : Dieu fait homme
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L’Amérique, eldorado théologique ?

Philosophes et chercheurs américains n’ont jamais abandonné la question de Dieu. Bonne nouvelle : leur enseignement est en train de franchir l’Atlantique !
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L’État démocratique, aux États-Unis, ne s’est pas fondé, comme chez nous, sur le rejet de la transcendance, mais plutôt sur son affirmation. © Lizandra Flores – pexels

Les chrétiens d’Europe se font des idées. Ils reconnaissent volontiers que les Américains sont plus religieux que les habitants du Vieux Continent ; mais ils ne peuvent s’empêcher de les imaginer un peu « bas de plafond ». La foi des Américains serait assurément plus fervente, mais aussi plus « fondamentaliste », moins élaborée. Ils auraient la foi du charbonnier, la foi des Pilgrim Fathers, dépourvue de toute sophistication intellectuelle. Eh bien, rien n’est plus faux !

Il y a d’abord un fait, aussi massif que méconnu : la métaphysique, la théologie dogmatique, l’apologétique sous toutes ses formes – historique, philosophique, scientifique – autrement dit toutes les disciplines intellectuelles visant à asseoir la crédibilité et l’intelligibilité de la Révélation chrétienne sont infiniment plus vivantes – et répandues – en Amérique que dans nos contrées. Et c’est une litote.

Concrètement, cela veut dire qu’il existe dans les universités américaines – y compris les plus prestigieuses – des départements de « philosophie de la religion », que les éditeurs académiques publient chaque année des dizaines de livres sur les preuves de l’existence de Dieu, la possibilité des miracles, la Trinité, la Providence, la Rédemption, abordées de manière rigoureuse. À cela s’ajoutent des foultitudes d’ouvrages de vulgarisation et des myriades de sites internet, où se tiennent des milliers d’heures de débats sur les questions théologiques à destination d’un public très large. Toutes choses qui n’existent pas chez nous. Ou plus. Ou pas encore.

Chassé-croisé

Car il s’est en réalité passé une sorte de chassé-croisé, au tournant des années 1960 entre l’Amérique et l’Europe. Traditionnellement, l’insistance sur la rationalité de la foi était, pourrait-on dire, une spécialité catholique – l’Église ayant toujours affirmé le caractère rationnellement crédible de la Révélation. Pour vous en convaincre, lisez la Constitution dogmatique Dei Filius du premier concile du Vatican ! D’un autre côté, les protestants, qui dominaient l’Amérique, s’étaient toujours montrés méfiants à l’égard de la raison philosophique, à la suite de Luther qui la traitait comme une maîtresse d’erreur et de fausseté. Ils préféraient le sentiment, la certitude immédiate, l’évidence de l’Écriture.

Puis tout s’est renversé. Dans la foulée de la crise moderniste, puis du concile Vatican II, les intellectuels organiques du catholicisme sont devenus de plus en plus fidéistes ; sous l’influence de Kant, Nietzsche et Heidegger, ils ont perdu confiance dans la raison humaine. Et sous l’effet du laïcisme, ils ont estimé contraire à l’esprit du temps d’essayer de convaincre les incroyants. La simple idée de prouver l’existence de Dieu est ainsi devenue impensable ; on a mis saint Thomas d’Aquin à la brocante et l’on a cessé d’enseigner l’apologétique dans les séminaires.

Défenseurs de la foi chrétienne

Dans le même temps, les protestants américains ont fait le chemin dans le sens inverse : ils ont assimilé tout le trésor de la philosophie scolastique, et ont développé une apologétique très approfondie, inspirée des meilleures traditions du Vieux Continent. C’est ainsi que la terre d’élection des réformés – au cœur des seventies ! – a produit de grands penseurs – Alvin Plantinga et William Lane Craig, pour n’en citer que deux – qui sont à la fois de redoutables défenseurs de la foi chrétienne et d’importants philosophes, reconnus pour leurs travaux universitaires. L’un est calviniste, l’autre est évangélique. Ne vous étonnez pas de n’avoir jamais entendu leur nom : la France est coupée du monde en ces matières, comme en bien d’autres. Et n’allez pas croire qu’ils se bornent à répéter le passé : ils ont porté leurs sujets – les preuves de l’existence de Dieu, la réfutation du matérialisme, l’historicité de la Résurrection – à des niveaux de sophistication tout à fait inédits.

Mais ce n’est pas fini : car la roue continue de tourner ! Lassée de la langue de buis, animée par une immense soif d’enseignements substantiels, toute une génération de jeunes intellectuels catholiques européens est en train de redécouvrir cette richesse, et de lui faire retraverser l’océan dans l’autre sens.

Confiance en la raison

Reste une question : pourquoi cette vitalité de la philosophie et de la théologie aux États-Unis ?

Je vois trois raisons principales.

D’abord, l’État démocratique, aux États-Unis, ne s’est pas fondé, comme chez nous, sur le rejet de la transcendance, mais plutôt sur son affirmation. Voyez la Constitution américaine ! La modernité n’y a pas chassé Dieu de la place publique. L’idée que la religion puisse être vraie – ou fausse – n’est pas exclue d’emblée du champ intellectuel.

Ensuite, les philosophes, en Amérique, n’ont pas adhéré aux vagues d’agnosticisme et de nihilisme qui ont déferlé sur la philosophie continentale. Kant, Nietzsche et Heidegger ne les ont guère impressionnés. Qu’ils fussent matérialistes ou spiritualistes, athées ou théistes, ils ont gardé confiance dans la raison. La recherche philosophique est donc restée vivace alors qu’elle a disparu chez nous, remplacée par « l’histoire de la philosophie », qui raffine indéfiniment le commentaire des morts, sans plus jamais se poser la question du vrai et du faux.

Enfin, il s’est produit dans les années 1960, une véritable « révolution » philosophique, inaperçue en Europe : la majorité des philosophes américains – toutes tendances confondues – ont reconnu que le scientisme – c’est-à-dire la thèse selon laquelle il n’y a de vérité qu’établie par la science mathématisée – est intenable. Il s’en est suivi un renouveau impressionnant de la métaphysique proprement dite – cette partie fondamentale de la réflexion philosophique qui porte sur la recherche des causes, des premiers principes – et un regain des études philosophico-théologiques.

Il ne faudrait pas, bien sûr, que cette alliance retrouvée de la foi et de la raison verse dans les deux défauts dont elle est susceptible : le rationalisme, d’un côté, qui prétend tout démontrer et ne plus rien laisser à la foi ni au mystère, et le concordisme, de l’autre, qui veut tellement faire coïncider les résultats de la science avec les paroles de l’Écriture qu’il appauvrit le texte sacré, tout en faisant peu de cas de la méthode scientifique.

Cette précaution étant prise, une chose est sûre : si, au milieu des friches actuelles, il n’est pas absurde d’espérer une renaissance catholique en Europe, elle ne se fera pas sans que nous reprenions la « voie américaine »… qui est aussi la nôtre !