En quoi la vie d’Annette Pelras est-elle édifiante dès sa jeunesse ?
Géraldine Fuseau : La foi d’Annette, transmise par ses parents, est forte dès l’enfance. Le père et la mère forment un couple uni, généreux avec les pauvres. Leurs nombreux enfants choisissent tous, sauf un garçon, de donner leur vie dans le célibat consacré. Outre le fait d’être très belle, au point d’être remarquée de tous, Annette a le talent de prendre soin d’autrui. En tant qu’aînée de la famille, elle déploie très jeune son énergie au service de la maisonnée, à une époque où le confort se résume à peu de choses.
Devenue Sœur Gertrude au sein des Filles de la Charité de Nevers, elle se dépense sans compter auprès des malades des hospices de Brive et de Tulle. À 25 ans, elle éprouve le besoin de ne se donner qu’au Christ à travers son vœu de célibat consacré. Elle rejoint à Compiègne une communauté de carmélites cloîtrées où elle prend le nom de Sœur Marie-Henriette de la Providence.
Annette Pelras est-elle toujours l’objet d’une dévotion dans son Lot natal ?
Toujours. À Cajarc, sa maison natale existe encore et, dans l’église, une chapelle lui est dédiée. On y voit une statue la représentant, ainsi que des objets ayant appartenu aux carmélites martyres – reliques secondaires. Chaque année, la paroisse la fête solennellement le 17 juillet. L’annonce de sa canonisation a été accueillie avec une grande joie dans le diocèse. Annette Pelras est notamment implorée pour porter secours aux personnes malades et en fin de vie.
Vous racontez avec précision la vision mystique d’une carmélite qui annonce le martyre des seize religieuses… cent ans avant la Terreur ! Comment les Sœurs s’imprègnent-elles de l’idée d’offrir leur vie ?
Cette vision a été consignée dans le journal de la Mère prieure, archivé au carmel de Compiègne. On peut la lire, dans son intégralité, dans l’ouvrage du Père carme Bruno de Jésus-Marie, intitulé Le Sang du Carmel. Ce qui surprend nos carmélites n’est pas tant le côté extraordinaire de la prophétie que l’idée qu’elles-mêmes puissent être concernées par celle-ci. Pour elles, il a dû paraître extraordinaire que le Seigneur leur propose une mission qui les dépasse, et dépassera l’histoire ! Alors même qu’elles avaient décidé de passer leur vie entière dans l’isolement et l’oubli du monde.
Comment ont-elles accueilli cette mission ?
Seize d’entre elles, qui aimaient le Christ jusqu’à la racine d’elles-mêmes, ont entendu son appel à travers la voix de la Prieure. D’autres n’ont pas fait le choix du martyre. La prophétie disait que deux ou trois religieuses ne feraient pas partie du sacrifice sanglant à la suite de l’Agneau. Et, de fait, deux refuseront la perspective de l’offrande de leur vie. Une dernière se retirera aussi mais, contrairement aux deux autres, comme si elle suivait un appel particulier, elle sera le témoin du martyre de ses Sœurs. Ce sont ses écrits qui nous donnent à connaître le courage et la foi jusqu’à la mort des carmélites.
Vous avez eu accès aux archives du procès. Que reproche l’accusateur public, Fouquier-Tinville, aux carmélites, le 17 juillet 1794 ?
Les religieuses ont été condamnées en haine de la foi, puisque c’est « l’attachement à leurs croyances puériles et à leurs sottes pratiques de religion » que donne Fouquier-Tinville comme ultime motif de condamnation. Ce motif a permis aux carmélites de se réjouir et de se raffermir car les chefs d’accusation étaient si nombreux, si confus, si mensongers que les malheureuses, se voyant accusées de conspiration et de sympathies royalistes, perdaient de vue qu’elles étaient accusées au nom du Christ. Il suffit de lire ne serait-ce que cinq lignes de leur interminable procès, où transpire la mauvaise foi criminelle, pour comprendre que seule la fidélité à Dieu est réellement visée.
Sœur Marie-Henriette sera l’avant-dernière à être guillotinée. Comment comprendre la grâce surnaturelle qui éclaire leurs visages ?
Le spectacle des condamnés à mort était devenu une routine à Paris. Des hurlements, des vociférations déferlaient place du Trône lorsque les charrettes atteignaient la guillotine. Cependant, le 17 juillet, dans la foule, règne un silence transcendant, le même silence qu’à la consécration. Hormis le cri d’un enfant, rien n’a troublé les décapitations. Rien n’a interrompu le chant des religieuses, depuis la Conciergerie jusqu’à la porte de Vincennes, et jusqu’à la dernière Sœur mise à mort. Psalmodier en plein Paris, sur une distance aussi longue, fait penser à une procession. Elle aboutit au sacrifice de seize vies. Bien sûr, les seize femmes, dont certaines étaient bien jeunes, d’autres bien vieilles, ont dû avoir horriblement peur à un moment ou à un autre, mais pas à ce moment-là ! Elles étaient conscientes de s’offrir pour le peuple et pour la France, au nom de Dieu. Je ne crois pas me tromper en affirmant qu’elles y ont mis tout leur cœur et que l’Esprit Saint, invoqué par le chant du Veni Creator, les soutenait de son Amour. Dix jours après leur martyre, la Terreur cessait.
Quand Annette Pelras rend l’âme, une lumière vient visiter son frère qui réside dans la maison natale de Cajarc. Dans votre ouvrage, quelle est la part du réel et de la fiction ?
Cet épisode n’est pas une invention. La seule partie romancée du livre concerne les années passées à l’hospice de Brive, puis à celui de Tulle avant son entrée au Carmel, car il n’y a pas d’archives concernant cette période. Le reste s’inspire étroitement des écrits et des témoignages.
Annette Pelras, carmélite martyre de Compiègne, Géraldine Fuseau, éditions
du Carmel, 2024, 111 pages, 12 €.