La saga missionnaire au Japon - France Catholique
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Marie dans le plan de Dieu
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La saga missionnaire au Japon

Une exposition des Missions étrangères de Paris évoque cinq siècles de christianisme dans un pays réputé impénétrable. Docteur en théologie catholique et commissaire de cette exposition, Sylvie Morishita revient sur l’histoire fascinante des chrétiens japonais, longtemps persécutés.
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Les Martyrs de Nagasaki (1597), gravure de Wolfgang Kilian (1581-1663), Augsbourg.

Quel est le visage du christianisme aujourd’hui au Japon ?

Sylvie Morishita : L’Église catholique au Japon compte à peu près 500 000 fidèles, dont 6 200 séminaristes, prêtres, religieux et religieuses, sur 120 millions d’habitants. C’est un fait : le catholicisme progresse peu, bien que l’Église ait une image positive surtout par ses œuvres éducatives : hôpitaux, écoles et universités. Les évêques sont engagés dans la lutte contre les armes atomiques et pour cause : la bombe atomique de Nagasaki ayant explosé au-dessus d’Urakami, la plupart des victimes étaient catholiques. Depuis les années 1990, des milliers de migrants latino-américains, dont une bonne partie d’ascendance japonaise, mais aussi des Vietnamiens et des Philippins, dynamisent les
paroisses. L’espoir peut-il venir de ces travailleurs immigrés, nombreux et fervents ?

Le premier missionnaire à se rendre au Japon, en août 1549, est un jésuite : saint François-Xavier, le plus proche compagnon de saint Ignace de Loyola. Comment y fut-il reçu ?

François-Xavier décide d’aller au Japon après avoir rencontré en Asie un Japonais, Yagiro, devenu chrétien sous le nom de Paul de la Sainte-Foi. C’est un voyage périlleux, que seuls ont entrepris avant lui des commerçants portugais. Il aborde avec quelques compagnons à Kagoshima, au sud de Kyūshū, où l’on peut voir un monument commémorant son arrivée : l’artiste a représenté Yajiro portant le missionnaire sur son dos ! Quand il débarque, au milieu du XVIe siècle, le Japon est déchiré par les guerres civiles. François ne rencontre pas les représentants du pouvoir central, très affaibli, mais les seigneurs féodaux tout-puissants dans leurs fiefs, les daimyō, les « grands noms ». Ils lui font bon accueil car ils visent surtout les possibilités d’un fructueux commerce avec les Portugais. On met là le doigt sur un point essentiel de la mission jésuite au Japon : elle est indissociable des réalités du commerce portugais. Les jésuites participent activement au commerce de la soie entre Canton et le Japon, ce qu’on leur a reproché. Mais les subsides du roi du Portugal, ou du pape, n’arrivaient qu’au compte-goutte et les missionnaires ne voulaient pas vivre aux dépens des Japonais dont le mode de vie était très frugal.

François-Xavier a donc été plutôt bien accueilli par les princes qu’il a rencontrés. Ses contacts avec les moines bouddhistes seront plus compliqués, la barrière de la langue étant très difficile à franchir. François-Xavier, qui n’est resté que deux ans au Japon, d’août 1549 à décembre 1551, n’a d’ailleurs jamais parlé japonais. Il n’a eu qu’une compréhension très limitée des mœurs japonaises. Il a quand même posé le principe de l’adaptation nécessaire au contexte local, ce que reprendront ses successeurs.

Comment expliquer que le Japon soit devenu une terre de martyrs au XVIIe siècle, et même dès la fin des années 1590 ?

Les facteurs qui ont mené à l’interdiction du christianisme et à la persécution sont multiples. La reconstitution d’un pouvoir central fort dans la deuxième moitié du XVIe siècle est une première explication : les daimyō sont soumis aux chefs militaires qui s’emparent du pouvoir – d’abord Toyotomi Hideyoshi (1537-1598), puis la dynastie des shōgun Tokugawa à partir de 1600. Le christianisme est interdit en 1614, et les missionnaires sont expulsés. Le pays sera totalement fermé entre 1639 et 1858. La fragmentation du pouvoir avait facilité la mission, la centralisation lui sera fatale.

De plus, à partir de 1600, les jésuites ne sont plus les seuls missionnaires actifs au Japon : la présence des ordres mendiants venus des Philippines espagnoles fait naître des rivalités. L’année 1600 voit aussi l’arrivée des Anglais et des Hollandais, nations protestantes bien décidées à supplanter sur le sol japonais les Ibériques honnis. Le fait que les Européens introduisent au Japon leurs rivalités commerciales et leurs haines religieuses a certainement joué un rôle dans l’échec de la mission. Comme ont pu le faire certains aspects de la prédication des missionnaires. Ceux-ci ont en effet, dès le début de la mission, mis l’accent sur la polémique avec les religions autochtones, ce qui expliquerait l’animosité constante des bonzes.

Comment ces persécutions se sont-elles déroulées ?

Les supplices les plus courants furent d’abord la crucifixion, qui existait au Japon depuis l’époque de Heian [VIIIe-XIIe siècle, NDLR]. Les modalités étaient différentes de celles en usage dans l’Antiquité romaine. Les condamnés étaient attachés sur la croix et immédiatement transpercés de chaque côté à l’aide de lances : c’est ainsi que l’on représente les 26 martyrs de 1597 – saint Paul Miki et ses compagnons – avec une lance ressortant de chaque épaule. Ensuite, les autorités ont eu recours au bûcher et à la décapitation. Elles ont compris que le martyre galvanisait les chrétiens, car les écrits et la prédication des missionnaires avaient préparé les fidèles au martyre. Les chrétiens japonais, privés de prêtres, se sont transmis entre eux leur enseignement sur le paradis, l’enfer et le purgatoire. La répression s’est durcie à mesure que les autorités ont pris conscience de la résistance des chrétiens japonais. Elles ont mis au point le supplice de la fosse, qui consistait à suspendre le condamné par les pieds au-dessus d’une fosse. Le tourment était tel qu’il provoquait des apostasies, ce qui était le but recherché. Les corps des suppliciés étaient brûlés et les cendres jetées à la mer pour qu’il n’y ait ni reliques, ni tombeaux. L’exemple le plus frappant de la répression se trouve dans les conséquences de la révolte de Shimabara en 1637-1638.

Les Pères des Missions étrangères arrivent en 1863, quand le Japon s’ouvre de nouveau sur l’étranger. Dans votre livre, vous présentez 40 lettres de ces missionnaires, qui évoquent notamment les chrétiens cachés d’Urakami…

Ces lettres sont les premiers documents sur ces chrétiens qui ont préservé leur foi, malgré l’absence de prêtres, et qui sortent enfin de la clandestinité. Elles décrivent les prières et les écrits qu’ils ont gardés, leurs rites, leur organisation. Les missionnaires, limités dans leurs déplacements, s’appuient sur les chrétiens japonais qui sont leurs relais auprès des villageois des montagnes et des îles éloignées. Selon le traité franco-japonais, signé en octobre 1858, les missionnaires ne peuvent en effet circuler qu’à l’intérieur d’un périmètre bien défini autour de Nagasaki. Le dynamisme et l’enthousiasme des chrétiens japonais ne sont pas du goût de tous les missionnaires : par exemple, le jeune Henri Armbruster, qui arrive à Nagasaki en 1866, ironise devant l’engagement de certains laïcs. Pourtant, même lui est amené à exprimer son respect pour les chrétiens d’Urakami qui, malgré leur pauvreté, logent chez eux les chrétiens qui viennent de loin pour consulter les prêtres : « Ils leur donnent leur temps, leur riz, leurs personnes. »

Le Japon est aussi un pays dont la foi doit beaucoup à la Vierge Marie ?

La dévotion mariale est restée très ancrée tout au long de la période de fermeture du Japon. Les jésuites, les dominicains et les franciscains avaient laissé des traces artistiques liées à la Mère de Dieu dès les débuts de la mission. Ensuite, durant la période de fermeture du pays, les chrétiens se sont transmis cette dévotion – qui sera renforcée par le fait que la première rencontre entre les chrétiens d’Urakami et le Père Petitjean, le 17 mars 1865, a eu lieu devant une statue de la Vierge Marie importée de France. De nos jours, les lieux de culte catholiques ont très souvent une statue de la Vierge Marie devant leur entrée. Même la rade de Nagasaki est protégée par une statue de la Sainte Vierge. Bien entendu, les missionnaires étant français, ils ont introduit le culte de Notre-Dame de Lourdes, qui était apparue à Bernadette Soubirous en 1858.

Lettres de Nagasaki, Sylvie Morishita, 354 pages, éd. du Cerf, 2024, 26 €.