Dans cette période où le monde est enflammé par le péché, que symbolise la rénovation de Notre-Dame, encore plus belle qu’avant l’incendie ?
Un moine bénédictin : L’incendie du péché a commencé par l’étincelle du péché des origines ! L’histoire sainte est une succession de chutes et de redressements, de ruptures et de renouvellements de l’alliance entre Dieu et son peuple. Mais « là où le péché abonde, la grâce surabonde » (Rm 5, 20). Les images de l’incendie de Notre-Dame, symbole du déferlement du mal, laissent place à celles d’une cathédrale resplendissante, symbole de l’Immaculée. À mon sens, la rénovation de Notre-Dame incarne la soif de pureté et de renaissance qui est, consciemment ou non, au cœur de chaque homme.
Vous écrivez dans votre livre, « Jamais sans ma Mère », que Marie est « la créature la plus affligée par le mal ». Peut-on voir cet incendie comme un symbole du péché qui blesse Marie en France ?
La souffrance de Marie – après celle de Jésus – est à la fois la plus pure et la plus intense. Innocente, elle n’a l’expérience du mal qu’au travers du spectacle que lui donne un monde d’injustice et de péché, spectacle qui l’afflige selon la mesure de son amour d’un Dieu bafoué. Marie aujourd’hui glorifiée ne souffre plus. Mais si sa passion a pris fin, sa compassion continue. C’est précisément ce que manifestent les larmes de Notre-Dame à La Salette, en 1846 et, d’une manière tout aussi saisissante, l’incendie de Notre-Dame, en 2019.
Vous dites que Dieu a « repris sa création afin de se façonner une Mère à nulle autre pareille ». De même qu’en Marie, Dieu montre comment il tire du mal du péché un bien infiniment plus grand, l’Immaculée, peut-on voir en Notre-Dame restaurée une image de ce mystère ?
À chaque vigile pascale nous entendons la fameuse formule de l’Exsultet : « Heureuse faute qui nous a valu un tel Rédempteur ! » Dieu a répondu au péché de nos premiers parents par l’Incarnation rédemptrice, à laquelle est liée la maternité divine de Marie. La restauration de Notre-Dame nous offre effectivement une belle image du renouveau opéré par la grâce plus forte que le péché, une image suggestive aussi de la puissance divine qui tire le bien du mal.
Vous écrivez que nous pouvons « renaître spirituellement » en nous plaçant « sous le regard de Marie, pour laisser sourdre en nous les eaux vives de la grâce » dont elle est le canal. Marie sera-t-elle aussi le canal du renouveau de la France ?
Sans nul doute, puisque Marie porte en son intercession chaque âme en particulier mais aussi notre pays dans son ensemble, et même l’humanité tout entière. Un renouveau spirituel échappe néanmoins aux regards et aux statistiques. Il relève d’un double mystère : celui de la communion des saints – le bien accompli par chacun rejaillit sur tous – et celui de la libre coopération de chaque âme à la grâce. Tout au plus pouvons-nous déceler des signes de renaissance, comme de petites lueurs d’espoir qui brillent dans les ténèbres. Ainsi en est-il de la vague d’émotion puis de générosité suscitée par l’incendie, signe de l’attachement des Français à cet édifice érigé à la gloire de Marie.
Marie est l’étoile de l’espérance, dit Benoît XVI. Quelle espérance nous apporte-t-elle ?
La Vierge Marie apparaît dans l’Apocalypse sous les traits d’une femme éblouissante, revêtue du soleil (Ap 12). Ainsi se présente-t-elle comme un astre rayonnant qui brille dans notre nuit pour raviver notre espérance du Ciel et notre conviction que l’amour divin aura le dernier mot, comme aussi pour nous soutenir et nous guider sur le chemin de la vie.
Que nous dit cette cathédrale mariale du lien de Marie avec la France ?
Dans sa dernière encyclique, Dilexit nos, le pape François a évoqué nombre de saints français pour leur dévotion au Sacré-Cœur. On pourrait en dire autant des saints dévots de Marie, un constat confirmé par les nombreuses apparitions de la Sainte Vierge sur notre sol. N’oublions pas que Marie, en son mystère de l’Assomption, est la patronne principale de la France. La présence de Notre-Dame au cœur de l’île de la Cité et au centre de la capitale exprime merveilleusement le lien privilégié qui unit Marie à la France et aux Français.
La cathédrale est-elle une image du sein maternel de Marie, le lieu où l’on peut se ressourcer, trouver refuge ?
Le sein de Marie ou, si l’on préfère, son Cœur immaculé est un refuge pour les âmes éprouvées, une fontaine de grâces, un nouveau jardin d’Éden. Elle est aussi l’arche de la Nouvelle Alliance, contenant le Verbe de Dieu, ou encore la nouvelle tente de la Rencontre sur laquelle repose la gloire de Dieu. À chaque instant de nos journées, nous pouvons nous replonger en elle pour trouver force et réconfort. Un temple, comme Notre-Dame, voué à Marie, nous rappelle que la Vierge est le premier temple de Dieu, toujours ouvert pour venir y adorer Dieu « en esprit et en vérité » (Jn 4, 23).
Vous citez le bienheureux Guerric d’Igny, qui nous « invite à vivre “dans le sein de Marie” » : qu’est-ce qui manque à notre vie spirituelle sans la présence de Marie ?
Par cette expression audacieuse, le moine cistercien évoque une union étroite : Marie agit en nous, tandis que nous vivons en Marie. La métaphore est éloquente. Le sein maternel est un milieu protecteur dans lequel l’embryon se forme harmonieusement. Ainsi Marie nous façonne-t-elle à l’image de son Fils, non comme un sculpteur qui taille à grands coups de marteau, mais à la manière d’un moule dans lequel nous devons nous couler. On peut parler d’un raccourci pour aller directement à Dieu. C’est d’ailleurs l’argument de saint Louis-Marie Grignion de Montfort pour encourager les âmes à la vraie dévotion envers la Sainte Vierge.
Selon vous, « Marie nous apporte une grâce irremplaçable, sans laquelle il manquerait quelque chose dans notre vie chrétienne » : c’est-à-dire ?
Sans la Vierge Marie, notre vie spirituelle court le risque de se scléroser, ou du moins de s’affadir. Par son exemple, son influence, elle apporte dans notre relation à Dieu une coloration propre, une modalité particulière, faite d’intériorité, de douceur et de gratuité. Certes, toutes les grâces passent par Marie, mais ceux qui ont recours à elle sont mieux disposés à accueillir ses grâces et à les laisser fructifier en eux.
Vous insistez sur la jeunesse de Marie. En quoi la piété mariale est-elle le meilleur élixir de jouvence spirituelle ?
La dévotion mariale est une variante de la voie d’enfance spirituelle. Disons mieux : c’en est la plus belle réalisation. Quelle meilleure voie pour redevenir enfant que de nous en remettre à une Mère qui nous porte en sa prière et en son amour maternels comme en son sein, nous engendrant à une vie nouvelle ? Marie, toujours jeune car indemne du péché, nous communique sa jeunesse d’âme, faite d’invincible confiance et d’enthousiasme renouvelé. Par ailleurs, comme Marie à l’Annonciation et la Visitation, c’est la fécondité par le don de soi-même et le don de Jésus, et l’inventivité de la charité, qui maintiennent dans la jeunesse d’âme. C’est la maternité perpétuelle de Marie qui la rajeunit sans cesse. Comme le Buisson ardent, elle brûle d’amour et se donne sans se consumer.
Vous dites que « l’astre divin qui habite en son cœur irradie autour d’elle, manifestant, aux yeux de tous, la beauté du Seigneur qui la possède » : que nous dit Marie de la beauté de Dieu ?
Marie est l’icône de la beauté de Dieu. Seuls les bienheureux peuvent pleinement saisir la beauté divine dans le face-à-face de la vision. Ici-bas nous n’en percevons que des reflets à travers les merveilles de la Création : un paysage, une œuvre d’art, un visage. Le Christ est la parfaite image visible du Dieu invisible. Marie est elle aussi, en quelque sorte, le visage humain de Dieu.
Jamais sans ma Mère. Présence et Grâce de Marie, un moine bénédictin, éditions Sainte-Madeleine, octobre 2024, 94 pages, 9 €.