Jusqu’à sa mort en 2017, Georges Rencki ne pourra s’asseoir dans les cafés et restaurants que le dos au mur, l’œil vissé sur la porte d’entrée. Un vieux réflexe de survie chez cet homme, qui consacra toute sa vie à la construction européenne auprès de certaines de ses figures majeures, d’André Philip à Jacques Delors. Un réflexe acquis à Varsovie, lorsqu’en pleine adolescence, il s’est engagé dans la résistance polonaise, dans une ville asservie par des nazis qui multiplient les rafles et les exécutions sommaires.
La guerre fut un véritable coup de tonnerre pour cet adolescent, issu d’une famille cultivée, polyglotte, catholique, dans laquelle fut longtemps occultée, du côté paternel, une ascendance juive. Cette enfance, qui n’est pas sans évoquer quelques pages du Monde d’hier de Stefan Zweig, est balayée dès 1939 par le dépeçage de la Pologne entreprise par l’Allemagne et l’URSS, unies par un pacte diabolique. Une chape de plomb tombe sur sa patrie.
Réalisme terrifiant
Toute sa vie, alors qu’après-guerre il vivra à Paris ou à Bruxelles, il ne fera allusion que de manière parcellaire et furtive à cette période de sa vie. Après son décès, c’est l’un de ses deux fils, Julien – l’autre, Jean, est prêtre du diocèse de Paris – qui va découvrir des notes éparses, griffonnées sur des brouillons ou des Post-it, retraçant la nature de son engagement. Patiemment reconstitué, ce puzzle livre une image terrifiante de réalisme de ce que fut le sort de la Pologne durant la guerre.
Engagé dans l’AK, l’armée de l’intérieur, Georges Rencki – dont le père fut assassiné par le NKVD soviétique lors des massacres de Katyn – participe à de nombreuses actions clandestines contre l’occupant allemand. Parallèlement, avec ses camarades, par ses études, par ses jeux, par ses amitiés, il s’efforce de sauvegarder une humanité dont l’occupant voulait priver ceux qu’il considérait comme des sous-hommes.
Des résistants décimés
En août 1944, plus d’un an après l’écrasement impitoyable de la révolte du ghetto de Varsovie, il prend part à l’insurrection de la capitale alors que les forces du Reich reculent à l’est comme à l’ouest. Il est alors âgé de 18 ans. La bataille est héroïque, livrée d’une cage d’escalier à l’autre. Elle fit pas moins de 200 000 morts tandis que l’armée soviétique, stationnée non loin de la ville, attendait cynique et l’arme au pied que nazis et Polonais s’autodétruisent.
Affamés, décimés, attendant en vain des parachutages qui ne vinrent jamais, les résistants combattent dans les conditions les plus précaires, avec de vieux fusils, quelques mitraillettes, ou encore des obus de mortier recyclés, presque aussi dangereux pour ceux qui les utilisent que pour ceux qu’ils ciblent. Impressionnés par l’acharnement de leurs adversaires, les Allemands accepteront – fait rarissime – qu’ils soient considérés comme des prisonniers de guerre à l’issue de leur reddition.
Au travers de ce récit poignant, à hauteur d’homme, c’est toute la tragédie d’un pays martyrisé, lâchement oublié par l’Occident durant des décennies, parfois caricaturé aujourd’hui, qui se dessine. Un témoignage incontournable pour l’histoire et pour notre temps.
Varsovie 1944. Journal d’un insurgé, Georges Rencki, éd. Perrin, août 2024, 349 pages, 23 €.