Il y a 61 ans, la Vierge Marie, à Alger, à Oran, à Stora voyait partir ses enfants. Après huit années d’une guerre horrible, nous avons été contraints de choisir entre « la valise ou le cercueil ». Ce fut l’exil pour une terre qui, bien qu’étant notre patrie, nous accueillit du bout des lèvres. Et que penser du sort qui fut réservé aux harkis et à leurs familles ?
Une blessure toujours ouverte
La foi et la volonté nous ont fait tenir debout. Envers et contre tout, nous avons réussi à nous établir. Mais notre cœur souffre toujours d’une blessure qui, sans doute, ne cicatrisera jamais, parce que le mensonge prévaut toujours sur la vérité. Notre peuple – celui des Français d’Algérie – disparaîtra, mais nous n’en sommes pas encore là. Nous devons continuer de nous battre pour faire reconnaître le martyre de tous ceux des nôtres, chrétiens, musulmans, non-croyants, qui sont tombés sous les coups des terroristes. Que l’on ne vienne pas nous parler de repentance ! Je vous le dis en tant qu’homme et en tant que prêtre. Oui, je prends la responsabilité de le dire : nous n’avons pas à nous repentir de fautes que nous n’avons pas commises. Chaque chrétien doit se repentir de son péché devant Dieu et lui seul, devant ce Dieu trois fois Saint et infiniment miséricordieux qui nous est révélé par Jésus-Christ.
Mais en tant que chrétiens, nous ne pouvons pas ne pas envisager le pardon. Ce n’est pas facile, mais le Christ, notre seul Maître et nous n’en avons pas d’autres, nous le demande. Lui qui, du haut de la Croix, a demandé à son Père de pardonner à ceux qui l’ont crucifié, nous demande de le suivre sur cette voie de la miséricorde. Comprenez bien : il ne s’agit pas de demander pardon pour ce qui ressort de la guerre d’Algérie, mais d’accorder notre pardon.
Le Christ, notre seul maître
Voici un récit qui me fut confié par une femme médecin, oranaise. Nous sommes en 1962, très peu avant l’indépendance. Le frère de cette femme, étudiant en médecine à Paris, est de retour chez les siens pour quelques jours de vacances. Il se rend à Notre-Dame de Santa Cruz pour l’y prier. Sur le chemin du retour, il est arrêté par des terroristes et enlevé. Un témoin donne l’alerte. Des recherches sont entreprises. On le retrouve dans un fourré, égorgé, émasculé mais encore vivant. Lorsque sa mère entre dans la chambre de l’hôpital, elle prend la main de son fils et lui dit : « Si tu pardonnes à ceux qui t’ont fait ça, serre-moi la main. » Elle répète la phrase. Le jeune homme serre alors la main de sa mère. Avant toute vengeance ou ressentiment, cette maman a pensé au salut éternel de son fils, qui va mourir quelques instants plus tard. Je sais quelle est notre souffrance. Nous la portons depuis plus de 60 ans. Mais, parce que « le soir approche et déjà le jour baisse » (Lc 24, 29), je fais cette démarche de pardon.
Ainsi donc, pour tous les innocents sacrifiés à Sétif, Guelma, Philippeville, El Halia, Seigneur je pardonne.
Pour tous ceux qui ont été massacrés à Melouza, et dans tant d’autres douars qui ne voulurent pas suivre la rébellion, Seigneur je pardonne.
Pour les fusillés de la rue d’Isly à Alger le 26 mars 1962, Seigneur je pardonne.
Pour les centaines d’hommes et de femmes assassinés à Oran le 5 juillet 1962, Seigneur je pardonne.
Pour les dizaines de milliers de harkis et leurs familles abandonnés par la France, Seigneur je pardonne.
Pour les milliers d’autres victimes encore. Seigneur, je pardonne.
Je pardonne, Seigneur, mais je ne peux pas oublier. Je ne les oublierai jamais !
Pour aller plus loin :
- Harkis et devoir de mémoire
- La France et le cœur de Jésus et Marie
- Le défi du développement des peuples et le pacte de Marrakech - la fuite en avant des Nations Unies
- Vladimir Ghika : le contexte politique avant la guerre de 1914-1918
- EXHORTATION APOSTOLIQUE POST-SYNODALE « AFRICAE MUNUS » DU PAPE BENOÎT XVI