De la dissolution devait naître, selon Emmanuel Macron, un grand « moment de clarification ». Pari perdu pour le chef de l’État qui plonge la France dans un brouillard institutionnel et parlementaire sans précédent. Difficile d’y voir clair, en effet, quand aucune majorité ne se dégage et que la gauche rassemblée, sous la bannière du Nouveau Front populaire, a tenté de s’imposer pour envoyer un premier ministre à Matignon.
Contre toute attente, alors que le Rassemblement national était arrivé largement en tête des élections européennes et que le premier tour des élections législatives confirmait sa progression dans toutes les circonscriptions, hormis quelques métropoles dont Paris, c’est le Nouveau Front populaire qui rafle la mise : il obtient 182 sièges dans le prochain hémicycle, contre 168 pour le camp présidentiel qui résiste mieux que prévu. Le Rassemblement national – dont LR-RN – devra se contenter de 143 sièges et les LR « canal historique » de 46 députés. Auxquels s’ajoutent 14 divers droite, 24 autres députés d’autres sensibilités politiques, dont quatre régionalistes, qui complètent cet Hémicycle. Cependant, il est aisé de constater que les représentants de La France insoumise, bien qu’ils plastronnent sur les plateaux de télévision, ne sont pas les gagnants du scrutin. Le parti de Jean-Luc Mélenchon ne gagne pas de députés supplémentaires dans le Nouveau Front populaire, quand le RN progresse de 36 sièges. Selon les décomptes définitifs du ministère de l’Intérieur, 10,1 millions d’électeurs ont voté pour le RN, 7,4 millions pour le NFP et 6,5 millions pour Ensemble. N’oublions pas les partisans du « ni ni » : 1,2 million d’électeurs ont voté blanc, soit 4,13 % des suffrages exprimés.
« Front républicain »
Que comprendre donc aux résultats du 2e tour, porté par une participation record depuis 1981 – 66,63 % –, alors que le Rassemblement national était aux portes du pouvoir à l’issue du premier tour ? Le « front républicain » fonctionne encore et la stratégie des désistements a été très efficace. Sur 306 triangulaires, 224 candidats macronistes ou du Nouveau Front populaire se sont retirés pour « faire barrage » au RN et l’empêcher d’obtenir au palais Bourbon une majorité absolue. Dans les duels Ensemble/RN, 72 % des électeurs NFP et 53 % des électeurs LR ont voté Ensemble. Dans les duels LFI/RN, 43 % des électeurs Ensemble ont voté LFI et 26 % des électeurs LR ont voté LFI ! Enfin, dans les duels LR/RN, 70 % des électeurs NFP ont voté LR et 79 % des électeurs Ensemble ont voté LR.
À la stratégie de terrain s’est ajouté le matraquage « antifasciste », devenu un rituel des entre-deux-tours dans notre pays. Des artistes et des sportifs ont dit leur crainte de voir gagner « l’extrême droite », des magistrats ont prôné la désobéissance et des syndicats ont annoncé des blocages. Bref, le spectre d’une France au bord de la « guerre civile », agitée par Emmanuel Macron, a eu raison d’un pays qui vote pourtant à droite. Le plus absurde, moralement, étant de constater la victoire du candidat Raphaël Arnault, militant de la jeune Garde antifasciste, un mouvement qui revendique une stratégie violente, fiché S et récemment interrogé par la police pour apologie de terrorisme, l’emporter avec près de 55 % des voix à Avignon face au candidat RN.
Divisions à gauche
Désormais, une nouvelle bataille commence, au sein même du Nouveau Front populaire. Dans le détail, LFI est fort de 75 députés, le PS de 65, les écologistes de 33 et les communistes de 9 élus. Si LFI et EELV se retrouvent sur de nombreux combats, dont l’abrogation de la réforme des retraites, comment croire qu’ils puissent s’entendre avec les socialistes pour valider un budget ?
Comme toujours, c’est sur les questions sociétales qu’un consensus pourrait être trouvé et François Hollande, qui fait son grand retour à l’Assemblée comme député de Corrèze, a évoqué un premier grand texte porté de nouveau par la gauche : celui sur la fin de vie.
Cependant, comment l’ancien chef de l’État va-t-il subir la domination vociférante d’un Jean-Luc Mélenchon ? Le Nouveau Front Populaire ne porte-t-il pas déjà en lui-même tous les ferments de la division ? C’est le pari d’Emmanuel Macron, désormais, d’espérer réussir à former une coalition allant des socialistes, fort du soutien de quelques écologistes, pour rassembler jusqu’aux Républicains. Cependant, Laurent Wauquiez, réélu en Haute-Loire avec près de 61 % des suffrages, a déjà fermé la porte à une telle option. Une chose est en tout cas certaine, Emmanuel Macron devra largement consulter dans les prochains jours, dès son retour de Washington où il devait participer au sommet de l’OTAN du 9 au 11 juillet, pour tenter de trouver une solution à la crise politique, chercher des majorités de projets, échapper à une motion de censure et voter un budget à l’automne en sachant que les dernières lettres de cadrage sont arbitrées dans les ministères durant l’été…
Joutes sportives à l’Assemblée
En attendant d’y voir plus clair, les députés, tout juste élus, siégeront du 18 juillet au 2 août, en pleins Jeux olympiques dans la capitale. Ils se réuniront pour des joutes presque aussi sportives que celles des athlètes quand il faudra se répartir les nombreux postes à responsabilités du palais Bourbon : la présidence de l’Assemblée nationale, la nomination du bureau, la présidence et la composition des diverses commissions dont celle de la prestigieuse commission des Finances qui revient en principe à un député de l’opposition.
Mais où est désormais l’opposition ? Comment trouver des compromis dans un climat politique survolté où l’adversaire devient presque systématiquement un ennemi ?