Le célèbre auteur athée Richard Dawkins soutenait en 2007 : « La science n’est pas seulement corrosive envers la religion, la religion est corrosive envers la science. Elle enseigne aux gens à se satisfaire de pseudo-explications surnaturelles et triviales et les aveugle au sujet des explications merveilleuses et réelles que nous avons à portée. Elle leur apprend à accepter l’autorité, la révélation et la foi au lieu de toujours mettre l’accent sur les preuves. » Rien de plus faux que cette idée. Non seulement la religion chrétienne n’a pas empêché la science de se développer, mais elle a au contraire permis et favorisé l’émergence de la démarche scientifique.
Copernic, Descartes, Galilée…
Il est tout d’abord établi que les pionniers de la science moderne étaient de fervents chrétiens. On pourrait le prouver en étudiant les biographies de Copernic, Descartes ou même de Galilée. Mais on peut également le démontrer par la statistique. Ce qu’a fait le sociologue des religions Rodney Stark. Ce dernier a dressé, à partir d’encyclopédies spécialisées, la liste des 52 scientifiques les plus marquants des XVIe et XVIIe siècles. Puis il a analysé minutieusement leurs écrits afin d’établir la religiosité de chacun d’eux. Dans la catégorie « dévots », il a placé ceux pour lesquels il y a « des preuves évidentes d’un engagement religieux intense. Par exemple, Robert Boyle a investi de grandes sommes d’argent pour faire traduire la Bible dans des langues non occidentales. Isaac Newton a écrit bien davantage sur la théologie que sur la physique […]. Johannes Kepler, vivement intéressé par la mystique et les questions bibliques, s’efforça de dater la Création du monde […]. » Dans la catégorie « religiosité conventionnelle », ceux dont la foi n’a pas eu un impact aussi décisif que les précédents, mais qui ne manifestent aucun signe de scepticisme. Tel, par exemple, Marcello Malpighi qui ne montre pas un engagement aussi ardent que Boyle pour les questions religieuses, mais qui finit sa vie comme médecin personnel d’Innocent XII, « un pape très pieux de la Contre-Réforme, qui s’attendait sans doute à un degré de piété similaire chez les personnes de son entourage ».
Étaient enfin considérés comme « sceptiques » tous ceux chez qui on pouvait percevoir des indices d’incrédulité. À vrai dire, un seul de ces 52 savants put être placé dans cette dernière catégorie : Edmund Halley. Les 51 autres furent répartis ainsi : 31 savants dans le groupe des « dévots » (soit 60 %) et 20 dans celui des « chrétiens conventionnels » (38 %)… Ce n’est donc pas, contrairement à un préjugé développé au XVIIIe siècle, en s’émancipant de la religion chrétienne que la science a pu s’épanouir. Les exploits scientifiques qui ont ébranlé le monde ne viennent pas d’athées s’étant « libérés »de la foi religieuse, mais au contraire de chrétiens sincères.
Dans la continuité des médiévaux
Par ailleurs, cette révolution a été largement préparée par le Moyen Âge chrétien, pendant lequel les progrès furent immenses sur le plan technique – charrue, collier d’épaule, moulin à vent, astrolabe, lunette, horlogerie, etc. –, esthétique ou architectural, mais aussi bel et bien sur le plan scientifique. Par exemple, au XIIIe siècle, l’inégalable Albert le Grand, maître et ami de saint Thomas d’Aquin était un érudit passionné de biologie. Il ne se contentait pas d’observer, il pratiquait l’expérimentation et n’hésitait pas à remettre en question l’autorité des Anciens. À peu près à la même époque, Robert Grosseteste et Roger Bacon développaient résolument la méthode expérimentale et faisaient franchir des pas décisifs à la science. Au même XIIIe siècle, la dissection devint pratique courante en Italie. Au XIVe siècle, le grand théologien Nicole Oresme soutenait que la Terre tourne sur elle-même et que la couleur est en réalité de la lumière blanche brisée et reflétée. Parallèlement, la théorie de l’impetus, ancêtre du principe d’inertie galiléen, était perfectionnée par Jean Buridan et Albert de Saxe, et bientôt admise par tous. En réalité, la plupart des grandes découvertes de l’âge classique
existaient en germe au Moyen Âge.
La révolution chrétienne
Mais pour quelle raison le christianisme médiéval a-t-il été un terreau si fertile pour l’émergence de la science ? Cela tient, entre autres, aux traits fondamentaux de la foi chrétienne : une foi en un Dieu transcendant qui crée la nature et l’ordonne avec sagesse et amour. Cette transcendance de Dieu va conduire à désacraliser la nature : « Si la nature a perdu sa divinité, notait Pierre Hadot, c’est à cause du christianisme qui a permis à la science de se développer […]. Dans la perspective créationniste chrétienne, la nature est un objet fabriqué par un artisan distinct d’elle et qui la transcende. Œuvre de Dieu, elle n’est plus divine. » Pour un chrétien, la nature n’est pas un jeu de forces mystérieuses et capricieuses, mais l’œuvre d’un Dieu rationnel autant que bon. Cette idée traverse toute la Bible : « Il fait la terre par sa puissance, il établit le monde par sa sagesse, et par son intelligence il a déployé les cieux »(Jr 51, 15). « Mais tu as tout organisé avec mesure, en calculant les choses et en les pesant » (Sg 11, 20). Dans cette optique, la science fut très vite perçue comme un hommage indirect au Créateur, comme une manière de contempler sa Sagesse éternelle, d’où cette parole de saint Grégoire de Nazianze – IVe siècle – « Je ne connais rien de plus grand, rien de plus précieux que la science, excepté ce qui est au-dessus de tout, Dieu lui-même et les biens éternels […]. Les études profanes nous aident à pénétrer plus avant dans la connaissance du divin auteur de la nature. » La science moderne est sans doute un fruit de ce désir merveilleux de mieux connaître Dieu.