Je suis tombé récemment sur une publicité pour une institution financière qui, c’est triste à dire, exposait plus de sagesse que l’on en trouve aujourd’hui chez beaucoup, y compris chez les catholiques : « La confiance est binaire. Vous en avez ou pas. »
Une déclaration audacieuse ces jours-ci, quel qu’en soit l’auteur. Pour le politiquement correct, les choix « binaires » sont non seulement stupides et simplistes, mais pleins de haine – le plus célèbre étant « Homme et femme Il les créa. » Il y a même des théologiens catholiques qui soutiennent que de tels choix binaires sont une simple erreur dans notre cerveau.
Oubliez ce prêcheur palestinien itinérant qui disait : « Que votre oui soit oui et que votre non soit non. » En ce moment, nous sommes beaucoup pris par les zones grises, par notre conscience morale supérieure à celle des âges précédents, par de récents changements dans la compréhension publique, par des libérations stylées de « conscience ».
Mais cela va changer désormais, ne serait-ce que parce qu’il le faut. Des révélations sur la direction de l’Église dans plusieurs pays et même au Vatican nous ont amené au point où l’on se demande si l’on peut toujours faire confiance à ce que font et disent nos propres chefs religieux. A en juger par ce que j’entends des dirigeants catholiques et des laïcs, nos évêques doivent se réveiller devant l’ampleur et l’intensité de la colère. Et vite.
À peu d’exceptions près, ils ne semblent pas reconnaître que nous sommes proches d’un « point d’inflexion ». Pendant des années, l’Église catholique aux États-Unis a eu de nombreux et grands avantages, à tel point que les croyants ordinaires – contrairement à leurs homologues européens – considéraient les dirigeants de l’Église comme des remparts du vrai et du bien. Nous les admirions pour ce qu’ils faisaient dans l’église mais également à l’extérieur de la communauté.
La confiance est binaire. Nos évêques ne peuvent plus supposer qu’ils l’ont. Ici, les évêques risquent d’être très proches du point où la hiérarchie irlandaise a perdu sa crédibilité, à l’immense détriment du mariage, de la famille et de l’enfant à naître.
Cela ne devait pas être ainsi et ne doit pas se poursuivre. Nous avons eu seize ans de ce qui a parfois été le traitement vraiment dur de prêtres accusés d’abus sexuels. Cela fait presque deux décennies et tout évêque qui a couvert l’inconduite de prêtres sous son autorité pendant cette période est non seulement incompétent et coupable mais aussi, avec tout le respect dû à l’oint du Seigneur, un imbécile.
Lorsque le rapport John Jay est sorti en 2004, il estimait que le nombre de prêtres agresseurs était un peu au-dessus de quatre mille, pris dans les cent mille hommes qui étaient prêtres pendant la même période. Soit environ quatre pour cent.
Est-ce que la proportion d’évêques qui ont mal géré les abuseurs ou qui étaient eux-mêmes des malfaiteurs est plus grande ? Même si c’est le cas, il n’est pas possible de revenir à la confiance fondamentale sans traiter – brutalement si nécessaire – cette chose qui, autrement, détruira l’innocent avec le coupable.
Une partie de la reconnaissance des faits doit aborder franchement la composante homosexuelle des abus. Quatre-vingt pour cent des abus par des prêtres impliquent de jeunes hommes, pas des enfants. C’est de la violence homosexuelle, pas de la pédophilie. L’ancien cardinal McCarrick est concerné par les deux, et il y a de bonnes raisons de regarder ces deux aspects dans de futures investigations. Le pape François a justement pressé les évêques italiens à ne pas admettre au séminaire quiconque serait suspecté de tendances homosexuelles.
Il y a sans aucun doute des questions théologiques sur la manière dont des évêques peuvent être l’objet de mesures disciplinaires ou révoqués. Mais une fois que les évêques acceptent que personne ne croit qu’ils peuvent eux-mêmes mener les investigations – et que les catholiques et les autres vont regarder – il n’est pas difficile du tout de trouver des enquêteurs vraiment indépendants. Et de stipuler que ceux qui ne coopèrent pas se mettront publiquement eux-mêmes sous le coup de la suspicion.
Des prêtres qui ont été responsables de traiter de cas de prêtres abuseurs m’ont dit que les visites annuelles des représentants de la Commission nationale d’examen de la Conférence des évêques des États-Unis (USCCB) peuvent être vraiment intrusives, et efficaces. C’est bien le moins qui est nécessaire à présent pour s’occuper des évêques égarés. Cela marche avec les prêtres, cela peut être fait avec les évêques.
A ce jour, seuls trois évêques ont présenté des propositions concrètes, efficaces, pour se tenir responsables, eux-mêmes et leurs homologues. Beaucoup plus ont manifesté pénitence et honte, nécessaires bien sûr, mais pour la plupart d’entre nous, ce ne sont que des mots.
Tard vendredi dernier, le cardinal de Boston Sean O’Malley a publié un communiqué à propos de deux allégations concernant la conduite au séminaire St John, qui venaient d’être portées à sa connaissance. Sans savoir encore si les charges sont vraies ou non, il a dit :
« Je suis engagé dans l’action immédiate… Tout d’abord, j’ai demandé à Mgr James P. Moroney, recteur de St Jean, de prendre un congé sabbatique pendant le semestre d’automne, à effet immédiat, afin qu’il puisse y avoir une enquête complètement indépendante sur ces sujets. Ensuite, j’ai chargé le Révérend Stephen E. Salo
cks, professeur d’Écriture Sainte, d’assurer l’intérim du Recteur… »
Et parmi les étapes suivantes : « la faculté, le personnel et les étudiants du séminaire seront informés de mon attente que tous coopèreront pleinement à l’enquête. »
Voilà du sérieux pour faire ce qu’il faut afin de conserver la confiance. Pouvons-nous demander moins à nos évêques ?
Pourtant, la plupart des évêques américains semblent plutôt sereins, et se contentent d’attendre leur réunion annuelle de novembre à Baltimore. Ils devront finalement construire une réponse coordonnée et bien conçue. Mais penser que l’on peut attendre des mois, ou des indications de Rome, peut être fatal. Celles de Boston pourrait n’être que les premières de beaucoup d’autres révélations dans les jours et les semaines à venir, pas des mois.
Le rôle de Rome dans tout cela va être délicat. Le pape François a dit un grand nombre de choses justes. Il reste à voir si lui et l’équipe très hétérogène qui est autour de lui vont agir rapidement pour parer au désastre.
Aucune institution financière n’attendrait trois mois pour agir sur des questions de crédibilité. Même les enfants de ce monde savent qu’il faut agir plus vite que ça, même lorsqu’il ne s’agit que d’argent.
Il y a beaucoup plus en jeu dans l’Église. Et c’est un moment binaire, pas moyen de l’éviter. Il n’y a que deux choix : commencer à reconstruire la confiance – immédiatement – ou risquer de laisser passer l’occasion.
Robert Royal
Dr. Robert Royal est rédacteur en chef de The Catholic Thing, et président de l’Institut Foi & Raison de Washington, D.C. Son livre le plus récent est A Deeper Vision: The Catholic Intellectual Tradition in the Twentieth Century (Une vision plus profonde : la tradition intellectuelle catholique au vingtième siècle), publié par Ignatius Press. The God That Did Not Fail: How Religion Built and Sustains the West (Le Dieu qui n’a pas échoué : comment la religion a construit et soutient l’Occident), est à présent disponible en édition de poche chez Encounter Books.
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Photo : Le cardinal O’Malley : sérieux pour rétablir la vérité.
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Source : https://www.thecatholicthing.org/2018/08/13/trust/
Note du traducteur : Cet article date de la mi-août. Dans le texte, Royal s’insurge contre une réaction qui attend des mois pour voir le jour, et il fait nommément référence à une réunion des évêques américains qui doit se tenir en novembre. Publié en novembre en version française, si le lecteur n’a pas la date de parution initiale en tête, il risque de ne pas comprendre.