« Depuis longtemps je soutenais ma vie spirituelle avec la pure farine contenue dans l’Imitation (de Jésus-Christ). Ce petit livre ne me quittait jamais, en été dans ma poche, en hiver dans mon manchon. J’en connaissais par cœur presque tous les chapitres. » Ces mots de sainte Thérèse de Lisieux, dans l’Histoire d’une âme, montrent la place de ce livre dans la conscience chrétienne des six derniers siècles.
Un monde en crise
Composé au moment de la guerre de Cent Ans, ce livre, édité en format poche dès l’invention de l’imprimerie – son volume est à peine celui des quatre évangiles –, reste un best-seller de la littérature mondiale dans toutes les langues et dans tous les pays. Manuel de référence de la spiritualité occidentale, il s’agit d’une collection de sentences rassemblées et mises en forme par Thomas a Kempis – autrement dit, de Kampen, à l’est d’Amsterdam –, maître de la deuxième génération des Frères de la vie commune.
Ces fils spirituels du flamand Ruusbroec l’Admirable († 1381) sont regroupés dans la vallée du Rhin autour de Gérard Groote († 1384) et Florent Radewijns († 1400). En rupture assumée des monastères et universités d’une chrétienté à bout de souffle dans le nord de l’Europe, ils demandent à la vie intérieure ce qu’ils ne trouvent plus dans des abbayes et des diocèses pratiquement sécularisés. Au milieu des décombres de la scolastique moribonde, lire la Parole de Dieu, dans la Bible et les commentaires des Pères, en relever les passages essentiels, les méditer en présence du Dieu caché dans nos cœurs : telle était la voie enseignée par Thomas aux novices du Mont-Sainte-Agnès, véritable laboratoire monastique d’une nouvelle façon de prier, qui s’épanouira au siècle suivant chez Thérèse d’Avila et Jean de la Croix, au lendemain du concile de Trente.
Des sentences ciselées
À quoi tient l’incroyable succès de l’Imitation ? D’abord à la beauté de son latin tout simple, très rythmé et facile à mémoriser. Ensuite, chaque sentence, que l’on sent longuement méditée et ciselée avec la précision des miniaturistes flamands, dit quelque chose d’essentiel, propre à nourrir des heures de réflexion. Enfin, et peut-être surtout, Thomas a Kempis s’adresse au cœur plus qu’à la cervelle, et nous maintient au contact immédiat de la personne du Christ : Jésus l’Ami, Jésus le Consolateur, Jésus doux et humble… Dans le monde désolé de la grande peste et de la guerre interminable, où tous les repères s’effondrent, l’Imitation reçoit et transmet ce qui traverse les siècles chrétiens, et qui, aujourd’hui comme hier, permet à l’ami du Christ de relativiser tout ce qui n’est pas Dieu.
Une bonne traduction à venir
Il nous reste à lire l’Imitation dans une bonne traduction. La plus répandue, celle de Lamennais au début du XIXe siècle, est absolument à éviter, car elle décline sur le registre moral – « ce que tu dois faire ou ne pas faire » –, ce que Thomas a Kempis fait miroiter sur le plan spirituel – « ce que Jésus, ton ami, aime ou n’aime pas que tu fasses ». De grands auteurs, Corneille par exemple, se sont risqués à la traduire, mais sans cette sensibilité mystique qui en fait tout le charme. Osons dire que de nos jours, le travail reste à faire, tant le texte original est d’une beauté et d’une exactitude irremplaçables.
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Le Père Max de Longchamp est l’auteur d’une traduction et d’un commentaire des passages essentiels de l’Imitation dans le bulletin Oraison, disponible sur le site Internet du Centre Saint-Jean-de-la-Croix.