Joachim du Bellay, l'honnête serviteur - France Catholique
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Joachim du Bellay, l’honnête serviteur

Alors que tout semble indiquer que le corps du poète a été retrouvé lors des fouilles sous Notre-Dame-de-Paris, retour sur l'œuvre de Joachim du Bellay (1522-1560), qui en dit aussi long sur notre époque.
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Portrait de Joachim du Bellay, par David d'Angers. Gravure sur bois.

Joachim du Bellay, par David d'Angers.

Il y a un peu plus de cinq cents ans, naissait en Anjou Joachim du Bellay.

Nous connaissons tous « Heureux qui comme Ulysse » et la tranquille audace du jeune poète qui compare l’Odyssée, le livre sacré des Grecs et l’un des poèmes fondateurs de notre civilisation, à « un beau voyage ».

Nous avons aussi tous compris qu’il faut savoir « vivre entre ses parents le reste de son âge » et combien la France, aujourd’hui, serait bien inspirée de suivre ce conseil.

À la recherche des pères

Mais où sont ses parents ?

J’entends les évêques et les rois. « Les évêques ont fait la France comme les abeilles font la ruche », écrivait Gibbons, en contemplant Remi, Vaast – qu’on appelle aujourd’hui Gaston – Martin, Paulin de Nole, Sidoine Apollinaire, Césaire, et tant d’autres qui, en énonçant la foi, pleine, entière et sans tache, refondèrent, par surcroît, la civilisation.

Du Bellay nous touche plus par ses plaintes, car sa sensibilité s’accorde à ce que nous sentons. Il est parti à Rome dans les fourgons de son oncle cardinal, avec la ferveur d’un pèlerin de la Terre promise. Seule, la déception a été au rendez-vous. Déception devant la poudre qu’est devenue la Rome éternelle. Déception devant les intrigues et les bassesses vaticanes et cardinalices.

« Malheureux l’an, le mois, le jour, l’heure et le point
Et malheureuse soit la flatteuse espérance
Quand, pour venir ici, j’abandonnai la France :
La France et mon Anjou dont le désir me poingt. »


Pourtant, le désir était noble et l’intention parfaitement pure.

« Ce n’est l’ambition, ni le soin d’acquérir
Qui m’ont fait délaisser la rive paternelle. »

Ce fut seulement « l’honnête servitude où le devoir me lie ».

Un honnête serviteur

Comme Ronsard et les autres, Du Bellay est un homme de service, « d’honnête servitude ». Cette honnête servitude que nous retrouvons dans toutes les lettres du temps : « Je suis votre très humble et très dévoué serviteur » n’est pas une abdication de la liberté, au contraire !

L’honnête serviteur garde le regard aussi juste et la langue aussi bien pendue que les servantes de Molière. Nous ne sommes pas à la cour du roi que La Fontaine, dans ses fables, peindra comme une furieuse ménagerie, mais à la cour du pape.

Contrefaçons hypocrites

On vous y étrangle avec du fil de soie et des manières que ne connaissent pas nos pauvres bourreaux laïcs, mais c’est une plus haute hypocrisie.

« Marcher d’un grave pas et d’un grave sourcil,
Et d’un grave souris à chacun faire fête,
Balancer tous ses mots, répondre de la tête,
Avec un Messer non ou bien un Messer si :
Entremeler souvent un petit E cosi
Et d’un Son Servitor, contrefaire l’honnête. »


On voudrait tout citer de ces regrets si fins, si délicats, et, comme tous nos auteurs penchés sur l’âme et le cœur humains, si lucides jusqu’à en être, peut-être, involontairement cruels !

La veine est la même que celle qui fleurira avec La Fontaine, Molière, Boileau, La Bruyère, Pascal et La Rochefoucauld. Même quand elle tourne à la méchanceté avec Voltaire, le vinaigre vient du même cépage.

Au commencement de la modernité

Au fond, pour savoir qui nous sommes, en nos temps de crise d’identité, rien ne vaut le retour vers nos poètes du commencement et du recommencement, de la Renaissance.

Le poète n’est pas tendre avec la Curie :

« Il fait bon voir dehors toute la Ville en armes
Crier le Pape est fait, donner de faulx alarmes,
Saccager un palais : mais plus que tout cela
Fait bon voir, qui de l’un, qui de l’autre se vante,
Qui met pour cestui-ci, qui met pour cestui-là,
Et pour moins d’un escu dix Cardinaux en vente. »


Il n’en reste pas moins, et peut-être encore plus, un bon et fidèle chrétien que rien, de ce désordre trop humain, ne peut ébranler. D’où vient ce socle inébranlable sinon de notre être historique, de notre constitution première, qui n’est pas une déclaration des Droits ni un texte solennel voté par une assemblée, mais l’eau du baptême sur le front du premier de nos rois « et de trois mille de ses guerriers avec lui » ? Parce que nous sommes nés, en tant que nation, du baptême de notre roi, nous sommes enracinés dans l’Église qui nous a baptisés, à une profondeur telle que les coups de vent et les orages qui agitent sa chevelure, s’ils peuvent nous émouvoir, ne peuvent, en aucun cas, nous ébranler.

« France, Mère des arts, des armes et des lois. »