Jean Racine, le plus grec des Classiques - France Catholique
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Jean Racine, le plus grec des Classiques

Parmi les Classiques – chez qui l’on voit à l’œil nu l’influence des trois mères patries, Rome, Athènes et Jérusalem –, Jean Racine occupe une place de choix.
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Jean Racine, XVIIe siècle, Jean-Baptiste Santerre.

Si Corneille est le plus romain des « Classiques » – ces grands auteurs qui ont occupé la scène littéraire et théâtrale pendant un peu moins d’un siècle, sous Louis XIII et Louis XIV –, si Bossuet est le plus hébreu de nos orateurs, Racine est le plus grec. Il était doté d’une mémoire prodigieuse. On dit qu’il apprit le grec en moins de dix mois ! On dit même que lorsqu’il écrivit pour les demoiselles de Saint-Cyr, à la demande de Madame de Maintenon, sa tragédie Esther, il composa les poèmes du chœur qui sont inspirés des Psaumes, de mémoire, sans avoir recours à aucun livre.

Une splendide versification

Alliée à sa prodigieuse mémoire, sa faculté de composer des vers était telle qu’il pouvait dire : « Ma pièce est faite je n’ai plus qu’à l’écrire. » Il n’y a pourtant rien de mécanique dans sa versification. Il suffit de se souvenir des adieux de Bérénice à Titus :

« Pour jamais ! Ah ! Seigneur, songez-vous en vous-même / Combien ce mot cruel est affreux quand on aime ? / Dans un mois, dans un an, comment souffrirons-nous, / Seigneur, que tant de mers me séparent de vous ? / Que le jour recommence et que le jour finisse / Sans que jamais Titus puisse voir Bérénice, / Sans que de tout le jour je puisse voir Titus ? »

On sait que Jean Racine abandonna le théâtre sous la pression de ses amis jansénistes, qui le persuadèrent qu’il y perdait son âme. Il y revint pour Madame de Maintenon à la demande du roi et donna Andromaque qui fut jouée par les demoiselles de Saint-Cyr. Le succès fut tel que Madame de Maintenon décida qu’elle ne recommencerait pas : les demoiselles qui avaient joué recevaient des billets énamourés des messieurs de la cour qui avaient assisté à la représentation. C’est alors qu’il composa Esther, pièce plus religieuse mais qui cependant déclencha les mêmes émotions. Racine avait aussi écrit Athalie, que Boileau considérait comme son chef-d’œuvre et qui ne fut jouée qu’après sa mort. C’est probablement la pièce la plus juive et la plus royaliste de notre histoire littéraire. Pour Voltaire, le chef-d’œuvre absolu de Jean Racine est Phèdre, tragédie d’un inceste, puisque l’héroïne est amoureuse du fils de son mari. Or, les jansénistes, pourtant très austères de mœurs, avaient le même jugement. Mais la façon dont Racine sut traiter les passions lui permit de les porter au théâtre.

De véritables proverbes

Vu d’aujourd’hui, ce siècle où existèrent cependant des hostilités considérables manifeste une grande unité à la fois chrétienne et humaine, dans une perfection artistique qui n’est jamais froide. Certains vers sont restés comme de véritables proverbes : « À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire » (Le Cid), « Je suis jeune, il est vrai ; mais aux âmes bien nées,/la valeur n’attend pas le nombre des années » (idem), « La foi qui n’agit point, est-ce une foi sincère ? » (Athalie), etc. Racine et Corneille avaient puisé chez Térence et Ménandre ce don d’émailler leurs dialogues de véritables sentences et la forme de l’alexandrin est si amie de la mémoire que les spectateurs pouvaient se réciter à la sortie de la pièce des passages entiers de ce qu’ils avaient entendu.

Les classiques respectaient les règles fixées par Aristote d’unité de lieu, de temps et d’action, que Boileau avait ainsi théorisées dans son Art poétique : « Qu’en un lieu, en un jour, un seul fait accompli / Tienne jusqu’à la fin le théâtre rempli. » Mais Racine préférait à toutes les règles la règle majeure, qui fut aussi celle de Molière, et qui consistait d’abord à plaire au public.