Depuis l’agression terroriste du 7 octobre 2023 par le Hamas et la réplique d’Israël sur la bande de Gaza, tous les regards se sont portés vers cette Terre sainte comme lieu névralgique de la planète. Et les passions, pour peu qu’elles s’étaient endormies, ont atteint un degré de fusion qui n’est pas près de s’éteindre. N’est-il pas question d’holocaustes de part et d’autre ? L’islamologue Gilles Kepel publie même un essai, écrit à la hâte sous cet intitulé. Et il prend soin de définir ce terme : « Holocaustes, au pluriel, est à prendre au sens propre de sacrifices de victimes en masse, que musulmans palestiniens et juifs israéliens se sont mutuellement infligés durant un processus spécifique qui s’est déroulé en automne 2023. »
« Pourquoi un État ? »
Le face-à-face des partisans des deux causes s’est imposé jusqu’au bord de la Seine, avec le blocage de Sciences Po Paris, d’une radicalité à la mesure du conflit, de ses enjeux géostratégiques, mais aussi du questionnement civilisationnel qui s’impose. Qu’on le veuille ou non, l’existence de ce minuscule État d’Israël inséré dans l’immensité du monde arabo-musulman constitue à elle seule une inépuisable énigme qu’un chrétien investi de culture biblique ne peut s’empêcher de rapporter à un mystère providentiel. Bernard-Henri Lévy, qui vient lui aussi de réagir à l’événement, ne saurait être démenti, lorsqu’il se demande : « Pourquoi Israël ? […] Pourquoi un État plutôt que rien ? Pourquoi un État plutôt que l’assimilation, la fin de l’exception, la paix des ménages et des nations ? Pourquoi un État plutôt que le dépassement des contradictions, la nouvelle formule, la grande alliance ? »
Pourquoi, en effet, en démenti de l’histoire, la création d’une nation juive, interrompant un destin d’éternels exilés ? Il n’est pas sûr qu’une réponse définitive puisse être apportée en raison de l’essence vraiment particulière de ce peuple choisi entre tous. L’écrivain George Steiner (1929-2020), qui ne partageait pas la foi de ses Pères, tenait farouchement au message de la Bible. Mais il n’a jamais accepté qu’Israël devienne un État comme les autres, soumis aux mêmes contraintes et aux rapports de force. Quant au philosophe Martin Buber (1878-1965), il admettait cet État, mais fidèle à son idéal supérieur personnaliste, en dialogue constant avec un interlocuteur qui ne saurait être un ennemi. Cette position était-elle tenable ? Emmanuel Levinas lui a opposé un certain sens des réalités. Il y avait lieu, notait-il, « de s’effrayer du dialogue que Buber a voulu pratiquer même là où il n’y avait pas d’interlocuteur, et d’avoir ainsi combattu en Israël pour des concessions au monde arabe sans se soucier de prudence ».
Telle est bien, en effet, la difficulté ! Du côté chrétien, lorsque durant la guerre, Jacques Maritain réfléchit à la création possible d’Israël, il insiste sur les traits distinctifs qui devront être les siens pour être fidèle à sa vocation spirituelle. Et d’établir un parallèle entre la fonction de l’État juif et celle de l’Église, avec sa vocation supranationale. Mais un tel vœu est-il envisageable ? Il se heurte à l’objection de Levinas à Buber. Dès sa création, Israël s’est trouvé en situation de guerre, et il n’a cessé d’affronter les menaces qui mettaient en péril son existence.
« Que Dieu règne »
Sans doute, le mouvement sioniste n’était pas de nature religieuse. Mais il ne pouvait se séparer de l’histoire du peuple de la Promesse. Israël ne renvoie-t-il pas au mot hébreu signifiant « que Dieu règne » ? C’est bien pourquoi on ne saurait dissocier le destin du mystère de ce peuple. Bernard-Henri Lévy livre à ce propos une formule qui mérite d’être retenue : « Un coin minuscule de la planète pour les survivants, s’ils le souhaitent, du peuple qui a donné le Livre à l’humanité et qui est aussi le plus vieux peuple persécuté du monde. » Le peuple qui a donné le Livre à l’humanité…