Inéligibilité de Marine Le Pen : un exercice de discernement - France Catholique
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Inéligibilité de Marine Le Pen : un exercice de discernement

La décision de justice qui frappe Marine Le Pen, ainsi que 24 élus et salariés du RN, a déclenché un séisme politique. Quand la légalité et la légitimité se heurtent de plein fouet, c’est notre capacité de discernement qui est mise à l’épreuve. Ce qui est plutôt sain.
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© Duma / CC by

Il y a les faits pour commencer. Le 31 mars, Marine Le Pen a été condamnée à 4 ans de prison dont 2 fermes – qu’elle pourra exécuter sous bracelet électronique –, ainsi qu’à 100 000 euros d’amende, dans l’affaire dite « des assistants parlementaires du FN ». Le mouvement a écopé d’une amende de 2 millions d’euros, dont 1 million ferme. Le jugement a été assorti d’une « exécution provisoire », rendant Marine Le Pen inéligible avant même que ne soit rendue une décision dans la procédure en appel, immédiatement engagée par la candidate putative du RN en 2027. Une décision lourde de conséquences puisqu’elle prive la chef de file des députés RN de la possibilité de se lancer dans la course à l’Élysée, à moins que, lors de la procédure d’appel accélérée, la décision ne lui soit favorable.

Les faits reprochés

S’agit-il d’une cabale destinée à couper dans son élan celle qui s’apprêtait à briguer pour la quatrième fois la présidence de la République, avec des chances non nulles de l’emporter ? Ses partisans n’ont pas manqué de le penser, passant sans doute rapidement par pertes et profits les éléments tangibles réunis lors de l’instruction de ce procès. Car il semble difficilement contestable qu’un système plus ou moins organisé ait été mis en place à partir de 2004 au sein du RN pour flécher vers le parti des fonds publics attribués à ses élus pour financer leurs activités à Bruxelles.

La décision de la juge Bénédicte de Perthuis, présidente de la 11e chambre correctionnelle, ne se fonde donc pas uniquement sur du vent. Elle est d’ailleurs considérée comme « justifiée » par 61 % des Français, selon un sondage publié par Le Point (02/04), tandis que 64 % d’entre eux s’opposent à une modification de la loi qui permettrait de supprimer l’exécution provisoire, d’après une étude révélée par Ouest France (04/04).

Et pourtant. Ce jugement n’aurait sans doute pas fait autant de bruit s’il ne s’inscrivait dans la continuité d’une jurisprudence solide et rodée : quel responsable politique, à quelque niveau qu’il se situe, pourrait aujourd’hui affirmer que jamais la photocopieuse de son cabinet ou de son bureau parlementaire n’a servi à imprimer des tracts électoraux, ou que sa voiture de fonction n’a pas été utilisée à des fins personnelles ou militantes ?

Il aurait également été bien plus solide s’il ne s’était inscrit dans un contexte où une partie des magistrats – ceux qui se réclament du Syndicat de la magistrature – ont appelé « l’ensemble des magistrates et magistrats, ainsi que toutes celles et ceux qui participent à l’activité judiciaire, à se mobiliser contre l’accession au pouvoir de l’extrême droite », appel lancé le 11 juin 2024, juste après l’annonce de la dissolution par Emmanuel Macron.

Ce syndicat, fondé le 8 juin 1968 et classé à gauche, a recueilli un tiers des voix lors des élections au Conseil supérieur de la magistrature. On se souvient aussi qu’on lui doit « le mur des cons », ce panneau où avaient été affichées, dans ses locaux, des photos de personnalités – mais aussi de parents de victimes – dont ce syndicat désapprouvait les prises de position publiques.

L’expression « subjectivité judiciaire », employée par Henri Guaino dans Le Figaro (04/04) semble une fois de plus confirmée : « La subjectivité du juge a naturellement sa part dans la fixation de la peine, écrit-il. Raison de plus pour qu’il se souvienne qu’il est juge et non justicier. »

Après François Fillon…

Alors ? C’est ici que surgit la vieille dialectique wébérienne entre l’éthique de conviction et l’éthique de responsabilité. Ou que revient à l’esprit ce propos de Goethe, sur lequel ont planché tant d’étudiants, qui – dans certaines circonstances – déclarait préférer une « injustice » à un « désordre ». Après celles de Dominique Strauss-Kahn en 2012 et François Fillon en 2017, la disqualification de Marine Le Pen pour 2022 ne peut qu’avoir un effet délétère au sein d’une population lassée que l’on fasse chuter les favoris, et nourrir le sentiment d’une rupture toujours plus béante entre le « cercle de la raison » et le pays réel, entre le gouvernement « du peuple, par le peuple et pour le peuple », et le « gouvernement des juges », toujours plus politisé à gauche.

C’est ce qu’exprimait le 1er avril Anne Rosencher, directrice de la rédaction de L’Express sur X – ex-Twitter – : « Ce jugement – quoi qu’on en pense sur le fond – ne manquera pas de souffler sur les braises du ressentiment, qui triomphe, petit à petit, dans les nations occidentales. Partout, les peuples ont le sentiment qu’on leur vole leur souveraineté, et partout on assiste en écho à “une remobilisation de l’idéal démocratique qui tend à se rendre illibérale, par embardées autoritaires” (Marcel Gauchet) ».