Le Parlement débat en ce moment du budget de l’État, mais la famille est étrangement absente de ces discussions. Qu’en pensez-vous, en tant qu’économiste ?
Jean-Didier Lecaillon : Qu’il y a urgence à investir dans la famille ! On ne le dira jamais assez : la croissance démographique est nécessaire au développement économique. Beaucoup de responsables politiques le reconnaissent en privé. Pourtant, quand ils arrivent au pouvoir, ils vous rétorquent que la politique familiale coûte cher… Qu’il faille être attentif à l’équilibre des comptes publics, bien sûr ! Mais on ne peut pas résumer l’économie aux économies que l’on fait… Il faut savoir dépenser pour préparer l’avenir. En un mot : investir. Et la famille est un investissement nécessaire et bénéfique, car l’argent qu’on lui consacre rapporte plus que les dépenses engagées. Mais c’est une politique de long terme, c’est vrai. Pas de courte vue.
Comment expliquez-vous que la famille soit si négligée, alors qu’elle est si utile à la société et donc à l’économie ?
Il faut changer de perspective : la famille n’est pas valorisée par les pouvoirs publics parce qu’ils la considèrent seulement comme une unité de consommation. Or elle produit aussi de la richesse, et beaucoup ! Cette production domestique – l’éducation, la transmission du savoir et d’une culture, le savoir-être, le civisme, l’honnêteté intellectuelle, les valeurs morales, etc. – est indispensable au bon fonctionnement de l’économie. Or ce travail n’est comptabilisé nulle part, et donc n’est pas considéré… Schématiquement, la société se compose de trois ordres différents : politique – nous sommes citoyens –, marchand – nous échangeons sur des marchés – et communautaire – nous appartenons tous à une famille. Du bon fonctionnement de chaque ordre dépend le bon fonctionnement de tout l’ensemble. Or la famille est au cœur de chacun de ces trois ordres : elle est vraiment la pierre d’angle de la civilisation. En la réduisant à sa « fonction » de consommation, nous sous-estimons tout ce qu’elle apporte au bon fonctionnement des ordres politique et marchand.
Quelles seraient les mesures prioritaires d’une politique familiale française ?
La politique familiale de la France s’est détériorée au fil du temps, en particulier sous la présidence de François Hollande, sans volonté de redressement depuis. C’est d’autant plus regrettable qu’il y a bien une corrélation entre le dynamisme démographique et les mesures prises en faveur des familles : l’histoire le prouve, même si certains le nient… Il faudrait commencer par supprimer le plafonnement du quotient familial, redonner aux allocations familiales leur caractère universel – beaucoup de prestations sont aujourd’hui versées sous conditions de ressources ou modulées selon le revenu des ménages –, et tenir compte, dans la fiscalité et dans le calcul des retraites, de la dimension familiale en considérant l’investissement que font les parents dans leurs enfants. Il conviendrait aussi d’adapter notre politique du logement à l’accueil de la vie.
Par ailleurs, l’environnement médiatique et sociétal dévalorise la maternité, ce qui est très problématique. Par exemple, on met dans la tête des jeunes que l’enfant pollue alors qu’au contraire, c’est en ayant des enfants, et en les éduquant, que nous pourrons inventer de nouvelles manières de gérer la question écologique. Les enquêtes disent toutes que les couples désirent avoir plus d’enfants – en moyenne, 2,3 – qu’ils n’en ont en réalité – 1,6. Le remplacement des générations n’est plus assuré depuis le milieu des années 1970 ! Commençons donc par permettre à ceux qui souhaitent mettre au monde des enfants de le faire : ni contrainte, ni stigmatisation, mais un peu de justice. Aujourd’hui, nous finançons ceux qui ne veulent pas d’enfants – la contraception et l’avortement – alors que ceux qui en veulent ne sont pas aidés…
La France peut-elle encore compter sur sa propre natalité ou doit-elle recourir à l’immigration pour subvenir à ses besoins économiques ?
Cela fait des années que la natalité baisse, ce qui s’explique notamment par l’éclatement des familles et par l’absence de politique publique. Ceux qui n’ont rien voulu voir, ou voulu faire, considèrent qu’il suffit de recourir à l’immigration. Cette solution est surprenante, voire choquante : nous avons été cigales, et nous devrions aujourd’hui compter sur les autres… Là encore, c’est un raisonnement à courte vue. Je le répète : la famille est une source de prospérité – l’économiste dirait qu’elle est « productrice de capital humain » – car l’éducation des enfants, entre autres services, bénéficie à la société. C’est un investissement. Or, il faut aussi former la population immigrée, surtout si ses us et coutumes sont différents. Cela prend du temps et coûte aussi de l’argent. Si nous continuons à nier le réel, cette solution paraît inéluctable. Mais est-elle vraiment efficace ? Pour dire les choses autrement, il me semble plus réaliste de « produire » nos propres enfants et de les former !
La doctrine sociale de l’Église (DSE) est-elle une réponse pour notre temps ? En quoi peut-elle inspirer les politiques publiques ?
Les encycliques sociales s’adressent, au-delà des croyants, aux « hommes de bonne volonté ». Elles cherchent à répondre à des problématiques d’actualité – les « choses nouvelles », Rerum novarum – à partir de principes naturels et universels. En cela, elles peuvent éclairer les responsables politiques, à qui il revient d’élaborer des programmes. Il est intéressant de voir comment les principes de la DSE permettent d’aborder de façon efficace les sujets actuels. C’est dans cet esprit que j’ai travaillé : en tant qu’économiste s’intéressant à la famille, je me suis attaché à confronter la conception de la famille proposée dans la DSE aux enseignements de la science économique pour en vérifier la pertinence, la cohérence et l’efficacité. Ce qui permet de faire des propositions concrètes en matière de politique familiale.
La Famille au cœur de l’économie, Jean-Didier Lecaillon, éd. Salvator, octobre 2024, 260 pages, 22 €.