Au milieu de ce stupéfiant et bouillonnant XIXe siècle, un poète s’élève comme le cyprès s’élève au-dessus des viornes – des arbrisseaux –, selon la formule que Virgile emploie pour signifier la hauteur de Rome par rapport aux autres villes. Ce poète, c’est Frédéric Mistral (1830-1914).
Lamartine le salue comme « l’Homère de la Provence ». Et il est vrai que celui qui, dans le début de Mireille (1859), se définit comme « l’humble écolier du grand Homère », est vraiment une incarnation, en nos temps modernes, du plus grand écrivain de l’Antiquité. Mais Mistral nous est plus proche, non seulement par l’époque, mais aussi parce qu’il est venu après le Christ, et donc parce qu’il est chrétien.
Les saintes Marie en Provence
Comme Homère, Mistral procède par la description de grands plans magnifiques, d’où il détache, comme un metteur en scène, des personnages qui font l’intrigue. Ainsi apparaissent Mireille et Vincent, héros de cette histoire d’amour et de mort. Mais Mireille – qui est aussi l’allégorie de la Provence – va passer de l’amour humain à l’amour divin grâce aux saintes Marie de la Mer, qui viennent l’évangéliser. C’est le chant XI de Mireille.
Ces saintes sont Marie-Jacobé, sœur de la Vierge, Marie-Salomé, mère de Jacques et Jean, et Marie de Magdala. Chassées de Jérusalem par les docteurs, les rois, les prêtres et toute la racaille des marchands du Temple que le Maître avait dispersés, elles ont quitté la Judée dans une barque sans voile et sans gouvernail, avec Lazare et quelques autres, dont Marthe et Sara. Malgré les intempéries, elles accostent en Provence. La Provence, à l’arrivée des envoyés du Rédempteur, frétille comme un chien à l’arrivée de son maître, et la foi se répand jusqu’en Arles, puis d’Arles en Avignon, jusqu’à la Sainte-Baume où Marie-Madeleine s’enferme dans sa grotte pour pleurer ses péchés. Marthe libère Tarascon de la tarasque, et tous les bords du Rhône sont convertis.
Ainsi Mireille, sur le point de mourir, pourra-t-elle dire à ses parents : « Je ne meurs pas, je m’embarque vers la vie. » Et, en leur montrant la mer que l’on voit du haut de l’église des Saintes-Maries, elle s’écrie : « La mar, bello plano esmougudo/Dou Paradis es l’avengudo » – que l’on peut traduire par : « La mer, belle plaine en remous/Du Paradis est l’avenue (ou l’avant-goût). »