« Un pays sans idéal, un corps sans âme, est voué à la mort de son âme […]. L’âme de la France sera chrétienne ou elle ne sera pas. À cette œuvre de reconstitution morale et religieuse, nous convions tous les braves gens, tous les patriotes soucieux de l’avenir de notre pays […]. À l’œuvre donc, encore une fois, pour Dieu et pour la France. » Ainsi le général Édouard de Castelnau sonnait-il symboliquement la charge dans La France Catholique du 21 novembre 1940, à l’heure du grand désastre national.
Ce combat pour la France, le vieux soldat n’a jamais cessé de le mener, c’est l’histoire de sa vie. Dans l’armée, à la Chambre des députés, puis en rassemblant autour de lui deux millions d’hommes désireux, comme lui, de défendre le legs de leurs aînés, cette civilisation mûrie par le christianisme. France Catholique en fut, dès le début, un instrument et le reste, fidèle à son fondateur.
Dès sa parution en 1924, l’adversaire déclaré fut la franc-maçonnerie qui inspirait le programme du Cartel des gauches. Au fil des ans, et plus encore après la défaite de 1940, revient de façon lancinante la question non plus de défendre mais de « refaire » une France chrétienne, selon le mot de Jean Le Cour-Grandmaison, vice-président de la FNC. Son éditorial, datant de 1941, entre en résonance avec notre époque quand il recense les raisons de la défaite : « Elles tiennent en un seul mot : égoïsme. Trop peu d’enfants […], trop peu d’armes […], trop peu d’alliés […]. Pour relever la France, il faut en extirper l’égoïsme ; on ne détruit que ce que l’on remplace. Donc, pour sauver la France, il faut la refaire chrétienne. »
Combat culturel
Vaste programme ! Par où commencer ? France Catholique portera le fer sur le terrain des idées : le relèvement d’un pays ne passe-t-il pas par celui de ses élites ? Dans un article du 11 janvier 1963, Jean Guitton mesure la complexité de cette mission – et même les périls qui guettent les chrétiens soucieux d’évangéliser : « Après la période des catacombes […], le christianisme se trouve posséder, sans l’avoir désiré, ni souhaité, ni préparé, du pouvoir suprême dans le domaine temporel qu’il laissait jusque-là à Satan et à César […]. L’élément négatif de cette civilisation inspirée par le message chrétien est qu’il se trouve rarement à l’état pur […]. Dans l’Église, le noyau est pur mais la couche extérieure qui, sans cesse est en contact avec l’atmosphère pour l’évangéliser, se laisse imprégner par ses miasmes qui demeurent. »
Dans la même veine, Jacques Maritain écrit, en 1963, un article intitulé L’Église et le temporel. En plein concile Vatican II, le philosophe souligne que « la distinction des choses qui sont à César et des choses qui sont à Dieu est fondamentale pour la conscience catholique. Cependant, cette distinction n’est pas une séparation : les choses divines doivent coopérer avec les choses humaines. Il est à remarquer, à ce point de vue, que l’irruption de l’Évangile dans l’histoire humaine n’a pas simplifié les affaires des hommes. Mais elle a accéléré le mouvement de l’histoire et lui a assigné sa direction. »
Pas de civilisation chrétienne, donc, si l’homme n’entretient pas la Création, s’il ne lutte pas contre sa corruption – en clair, contre un laïcisme qui s’attaque à la famille, à l’école, à la société. D’où le besoin d’affirmer à temps et à contretemps les valeurs fondamentales du journal. Le devoir de La France Catholique « est de rappeler que c’est l’Église qui éclaire et conduit le monde, non le contraire », rappelle Jean de Fabrègues, directeur de la publication, en 1969.
Subordination au monde ?
Au combat contre le laïcisme s’agrège « celui contre les chrétiens progressistes alliés au parti communiste jusque sur le terrain de la doctrine ». Sans citer le concile Vatican II, le journaliste écrit : « La suite de l’événement a montré que là était bien le grand tournant : celui où on essaierait de fondre l’Église dans un courant de subordination aux mouvements du monde tenus pour plus révélateurs qu’elle-même de l’histoire d’un salut qui devenait purement temporel. »
Depuis, d’autres défis ont vu le jour, comme celui que pose l’islam à notre société. Dans le numéro de France Catholique du 19 juin 2020, Annie Laurent, spécialiste de l’islam, en souligne les enjeux pour le chrétien à travers la figure de saint Charles de Foucauld, qui écrivait dans une lettre de 1901 : « La parole est beaucoup, mais l’exemple, l’amour, la prière sont mille fois plus. Donnons-leur l’exemple d’une vie parfaite […]. Prions pour eux avec un cœur assez chaud pour leur attirer de Dieu une surabondance de grâces et nous les convertirons infailliblement. Mais pour cela, il faut être des saints, c’est cela seul qu’il faudrait et c’est ce que nous ne sommes pas. »
« Sortir des sacristies »
En juin 2021, le philosophe Pierre Manent ajoutait cependant qu’on ne pouvait « se contenter de la parabole du Bon Samaritain quand des mouvements migratoires concernaient des millions de personnes et modifiaient substantiellement la population d’une nation […]. Les chrétiens se mettraient délibérément en danger en favorisant la domination d’une religion aujourd’hui conquérante ». Pour Pierre Manent, il est urgent que « la religion catholique retrouve un rôle de repère dans la vie française. Un repère qui éclaire, rassure et encourage ».
Plus qu’à l’Église, c’est à chaque lecteur de France Catholique que Philippe de Villiers attribue un rôle dans le combat contre la désagrégation de notre civilisation, « prise en tenaille entre le mondialisme islamique et le mondialisme wokiste » (France Catholique du 18 novembre 2022). L’écrivain et homme politique appelle à « multiplier les cellules de la résistance, de l’indignation et de la transmission » : « Ne soyez pas les ravis des santons de Provence. Il est temps de sortir des sacristies et de descendre sur l’Agora pour éclairer le monde. » Un vibrant appel aux accents lyriques que n’aurait pas renié le général de Castelnau.