Piété populaire : une soif d’incarnation de la foi - France Catholique
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Piété populaire : une soif d’incarnation de la foi

Alors qu’on la croyait en voie de disparition, la dévotion populaire est en pleine recrudescence en France. Elle répond à une soif spirituelle et un besoin de vivre sa foi de manière incarnée.
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Procession du Saint-Sacrement. © Pascal Deloche / Godong

On la croyait éteinte… mais la piété populaire revient en force ! Chapelets, médailles, processions, culte des saints et des reliques, scapulaires… De plus en plus de personnes éloignées de l’Église s’emparent de ces signes de piété. « Tout être humain a besoin de sacré, de sens », souligne l’abbé Maximilien de la Martinière, curé d’un groupement paroissial à Élancourt (Yvelines). Malgré la disparition de la religion de notre société, la soif de spiritualité est bien là, mais elle s’exprime autrement. Pour y répondre, nos contemporains « piochent dans tout ce qu’ils peuvent, notamment les signes de la piété populaire catholiques » – que redécouvrent aussi de plus en plus de fidèles.

Cette forme de piété avait été négligée, voire méprisée, par la hiérarchie de l’Église en France, pendant les décennies postconciliaires. « Il y avait une tendance à vouloir se relier directement au Christ, sans médiation », constate l’abbé Matthieu Bévillard, Missionnaire de la Miséricorde divine. Cette forme de piété était aussi considérée comme trop populaire et superstitieuse. « On pensait que c’était un sous-produit du catholicisme. Pourtant, quand Jésus guérit la femme hémorroïsse qui touche son vêtement, il reconnaît dans son geste une foi authentique : il ne lui dit pas qu’elle est superstitieuse ! », rappelle l’abbé de la Martinière.

Lui-même confie avoir vécu une forme de « conversion » à la dévotion populaire pendant ses quatre ans de mission au Brésil. « J’aime la dimension charnelle de la foi des Brésiliens, qui touchent et embrassent les statues de Marie. J’ai compris que cette piété nous réincarne, par le toucher. » Même constat de l’abbé Bévillard, vicaire à la paroisse de Draguignan (Var) : « Après le concile, on a voulu faire grandir les fidèles dans une foi plus intellectuelle – par la théologie et l’exégèse – et moins dévotionnelle. Mais plein de gens sont restés en arrière. Ils cherchaient une piété plus accessible. »

« Jésus se met au niveau de tous »

Ces temps élitistes s’éloignent et le naturel de l’homme revient au galop, avec le besoin de médiations concrètes. « Nous ne sommes pas des purs esprits : Jésus touche les gens, leur met de la boue sur les yeux, marche avec les apôtres, palpe les épis de blé, utilise des paraboles : il se met au niveau de tous. Ce retour des “sens” permet de goûter quelque chose du Christ, il nous aide à aller plus loin dans la foi. » C’est l’expérience qu’a faite saint Jean lui-même : « Ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé et que nos mains ont touché du Verbe de vie, nous vous l’annonçons » (Jn 1, 1).

Cette piété offre un retour au réel de l’incarnation de la foi, en passant par des signes et des objets simples : bougies, médailles, huile, eau bénite, signe de croix, etc. « Elle reprend les codes de la liturgie pour les utiliser à son niveau. En voulant simplifier la messe et ses rites, nous avons perdu tout ce qui exprimait le sacré : les odeurs de l’encens, les lumières des cierges, la beauté des ornements… Nous avons perdu toute la dimension sensorielle de la foi… », regrette l’abbé de la Martinière. Ce qui explique aussi, sans doute, le succès de la liturgie traditionnelle, notamment chez les jeunes. « Les communautés attachées à la liturgie ancienne ont toujours gardé ces dévotions – sans être les seules – et savent que c’est une pédagogie très efficace pour transmettre la foi », confirme l’abbé Bévillard.

Dévotions et saints locaux

À l’heure de la mondialisation, c’est aussi le côté local qui séduit. La paroisse de Draguignan propose, tout au long de l’année, des manifestations collectives extérieures de foi : processions mariales, marche des saints, chapelets publics, marche des rois, chemin de croix théâtralisé, procession au Saint-Sacrement, rogations, etc. « Ça marche parce que nous remettons au goût du jour, avant tout, les dévotions et les saints locaux : ceux qu’on connaît et qu’on aime ! », se réjouit l’abbé Bévillard. Mais c’est la Vierge Marie qui demeure indétrônable dans le cœur des fidèles : « Elle est l’objet principal de la dévotion populaire », confirme l’abbé de la Martinière. La recherche de médiation et de simplicité pousse les fidèles à se tourner spontanément vers notre maman du Ciel.

Les fruits de ces dévotions sont abondants. Par ses manifestations publiques, la piété populaire remet Dieu au centre du village. Alors que la laïcité « à la française » a voulu reléguer les catholiques dans les sacristies, elle ressort librement dans les rues, permettant aux croyants de vivre leur foi au grand jour.

Diffuser largement la foi

Quand l’Église se voit souvent reprocher d’être trop bourgeoise et élitiste, cette piété permet de diffuser largement la foi, attirant des croyants de tous les milieux sociaux. « Elle peut aider l’Église à refaire l’unité avec les milieux plus simples : tout le monde se retrouve dans ces dévotions, dans les pèlerinages et les processions. On marche tous ensemble, quelle que soit notre origine sociale », se réjouit l’abbé Bévillard.

Et pour tous, fidèles habitués ou nouveaux venus, la piété populaire permet d’unifier la vie quotidienne avec la foi : le chapelet pendu dans la voiture, le signe de croix en passant devant l’église, les médailles et les scapulaires… Dieu est présent partout. En offrant un pont entre la catéchèse et la vie chrétienne, elle développe aussi la vertu de piété – rendre à Dieu le culte qui lui est dû – en favorisant le «lien amoureux envers Dieu qui se manifeste dans de petites choses », assure l’abbé Bévillard. Un lien qui grandit par toutes ces petites manifestations extérieures d’amour offertes à Dieu.

« Le but, c’est d’aimer Dieu »

Le grand écueil de cette piété serait cependant d’en rester au niveau affectif. « Le but ultime, rappelle le prêtre, c’est d’aimer Dieu, de lui montrer qu’on l’aime, et de le faire aimer, en ayant l’audace du témoignage de notre foi. »

Autre danger possible : la superstition. « Face à leurs besoins concrets – problèmes de santé, travail, logement, amour… –, ne sachant plus comment se tourner vers Dieu, de plus en plus de nos contemporains recourent aux moyens de la piété catholique. Ils pensent donc qu’il faut les accumuler pour obtenir une protection, une guérison… », constate l’abbé de la Martinière. Eau bénite, médailles, reliques, sanctuaires, neuvaines… Toutes ces médiations sont bonnes en soi mais peuvent, mal comprises, « flirter avec la superstition ».

Face à ces risques, « il faut accompagner par de la pédagogie », confirme l’abbé Bévillard. La piété populaire doit être « l’occasion d’une catéchèse, en rappelant que ces médiations sont des moyens, pas des fins. En montrant, par exemple, comment Dieu a agi dans la vie des saints, et en expliquant que les reliques ne sont pas des talismans mais les restes d’une personne habitée et transformée par le Christ ! »

Un immense enjeu pastoral

Mais « ce n’est pas une raison pour éradiquer » ces pratiques, ajoute aussitôt le jeune vicaire. Car l’enjeu pastoral est immense. Pour beaucoup de personnes éloignées de la foi, ces manifestations spirituelles incarnées et simples, plus immédiatement accessibles que la messe dont la plupart ne connaissent pas les codes, offrent une porte d’entrée dans l’Église. « Les gens ne vont plus à la messe mais viennent mettre un cierge à l’église. Nous devons nous tenir dans ces lieux de contact avec le monde afin de pouvoir ensuite leur proposer la foi dans le Christ, explique l’abbé de la Martinière. Je me tiens souvent près de la statue de Marie pour proposer aux personnes qui viennent mettre une bougie de faire un pas de plus dans la foi. »

À Draguignan, les processions sont toujours accompagnées de missionnaires qui vont à la rencontre des passants pour leur parler. L’objectif est de conduire à une vie de prière et sacramentelle. Sans oublier d’« inciter les personnes à former leur intelligence de la foi », rappelle l’abbé Bévillard.

Malgré ces écueils, plus question aujourd’hui pour les pasteurs de regarder de haut cette forme de piété. Face à la soif spirituelle de nos contemporains, la piété populaire est une opportunité en or de leur proposer la plénitude de la foi catholique.