On ne connaît que trop la déclaration d’André Gide : « Familles, je vous hais ! » Elle venait chez lui du sentiment qu’il avait d’être un intrus devant ce « bonheur clos » en quoi se résumait pour lui la vie familiale. Son homosexualité en même temps que son éloignement de la foi, semblait l’exclure de la société « bien pensante » de l’époque. Et il réagissait devant ce modèle que pour rien au monde il ne voulait partager.
Ceux qui bêtement répètent aujourd’hui la formule ne se rendent pas compte que les temps ont changé et que les bien pensants d’aujourd’hui sont ceux qui vantent la déviance et refusent la norme. Si bien qu’il faut un réel courage à présent pour dire qu’on se marie pour avoir des enfants et qu’on veut être fidèle à son conjoint. Déjà Charles Péguy avait dit que les vrais aventuriers sont à présent les pères (et mères) de famille. Et c’est encore plus vrai aujourd’hui. Dans le naufrage de tous les modèles présents sur le marché, il s’agit bien souvent de s’engager sur une voie étroite entre deux abîmes : d’un côté le faux éclat d’une vie livrée à toutes les expériences affectives ou charnelles et de l’autre côté l’égoïsme, l’isolement voulu ou subi. Il faut un réel courage pour s’engager, alors qu’autour de nous, tout paraît fluant, incertain, relatif. Et, au lieu de pointer les défauts de la famille, il faudrait savoir rendre hommage au courage de ceux qui ont tenté l’aventure et y persévèrent.
Ce fut un aspect très important du pontificat de Jean-Paul II. Le pape venu de l’Est ne s’est pas contenté de redire les principes (même s’il l’a fait aussi, avec fermeté et intelligence), mais de témoigner, partout où il passait, de son affection pour les couples et leurs enfants. On n’a pas oublié sa Lettre aux familles, où il laisse parler son cœur. Rappelons-nous : « Par la présente Lettre je voudrais m’adresser, non à la famille ”dans l’abstrait”, mais à chaque famille concrète de toutes les régions de la terre, sous quelque longitude et latitude qu’elle se trouve, et quelles que soient la diversité et la complexité de sa culture et de son histoire. L’amour dont ”Dieu a aimé le monde” (Jn 3, 16), l’amour dont le Christ “aima jusqu’à la fin” tous et chacun (Jn 13, 1), donne la possibilité d’adresser ce message à chaque famille, “cellule” vitale de la grande et universelle “« ”famille” humaine. Le Père, Créateur de l’univers, et le Verbe incarné, Rédempteur de l’humanité, constituent la source de cette ouverture universelle aux hommes comme à des frères et des sœurs, et ils invitent à les prendre tous dans la prière qui commence par les mots émouvants “Notre Père”. »
Quel plus bel encouragement auprès des couples que de leur dire leur privilège ? Même si l’engagement dans la vie religieuse ou le sacerdoce est quelque chose de grand et de prodigieux, cela n’enlève rien, au contraire, à la grandeur de ce choix qu’ont fait un jour les époux de « celui-là » ou de « celle-là », pour l’aimer fidèlement, pas à pas, jusqu’au terme de sa vie. La liberté humaine revêt ici son plus beau visage : ce qu’elle ose n’est pas un choix versatile, une option dictée par les circonstances, c’est un don, et ce don n’est pas arraché mais délicatement offert pour répondre à l’appel d’une autre liberté. Elle est un don humble et respectueux qui continue de s’émerveiller. Elle restera dans cette lumière, si elle ne se laisse pas gagner par l’habitude, la volonté de puissance et le découragement. Et comme nous sommes tous pécheurs, la souffrance sera là aussi, qu’il faudra offrir comme la goutte de sang qui peut cimenter l’union de deux cœurs plus solidement que toutes les déclarations. Chacun des échecs sera comme un défi qu’il faudra apprendre à relever avec plus d‘audace, plus de confiance… Il suffit de voir sur certains ponts de Paris tous ces cadenas qui entourent deux alliances pour comprendre qu’aujourd’hui comme demain « amour » continue de rimer avec « toujours » !