« Mourir pour Kiev ? » Comme autrefois l’on se demandait s’il fallait « mourir pour Dantzig », la question est désormais en tête de l’agenda politique et médiatique. La cristallisation remonte au 14 mars, lorsqu’Emmanuel Macron a répondu en direct aux questions de Gilles Bouleau (TF1) et d’Anne-Sophie Lapix (France 2). « Il n’y aura pas de sécurité pour les Français s’il n’y a pas de paix là-bas », a-t-il affirmé au sujet du conflit ukrainien ou encore, énoncé différemment : « Si la Russie venait à gagner, la vie des Français changerait. Nous n’aurons plus de sécurité. » Si la Russie représente, comme l’affirme le chef de l’État, une « menace existentielle », il convient dès lors de se préparer à un conflit de haute intensité. Ce que n’ont cessé de lui répéter depuis des années, les plus hauts responsables militaires du pays, depuis Pierre de Villiers jusqu’à l’actuel chef d’état-major des armées, le général Thierry Burkhard.
« Manuel de survie »
Encore convient-il de le faire de manière rationnelle et organisée. Dans cette perspective, la distribution prochaine à l’ensemble des Français d’un « manuel de survie en cas de crise ou de conflit armé », annoncée par Europe 1 (18/03), pose question. Dans ce fascicule, on découvrira ainsi la liste des objets à glisser dans un sac à dos en cas d’attaque : couteau suisse, bouteilles d’eau potable, petits pots pour bébés, compresses, lampe de poche, piles de rechange, etc. Comment peuvent donc être perçues de telles consignes dans une société dont l’esprit de défense a disparu, et pas seulement à cause de la suppression du service militaire voici bientôt trente ans ? « La patrie a besoin de vous, de votre engagement », disait encore Emmanuel Macron dans une adresse à la Nation, le 5 mars. Un discours semblant tout droit sorti d’un autre temps, que les moins de 80 ans n’ont pas connu, et dont on a du mal à évaluer l’impact.
Interviewée par Le Monde (19/03), la chercheuse Bénédicte Chéron, enseignante à l’Institut catholique de Paris, s’interroge – non sans scepticisme – sur l’utilisation du mot « guerre » dans la parole publique : « Il est toujours plus simple d’analyser les décisions et les discours quand on n’est pas aux responsabilités. Mais une déclaration comme celle du ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, sur France Inter, le 3 mars, évoquant “une ligne de front [qui] ne cesse de se rapprocher de nous”, fait peur, sans aider à comprendre les enjeux. Ces mots écrasent toute compréhension de l’espace et du temps dans lesquels nous évoluons. »
De fait, comment faire surgir un esprit de défense solide, capable de concevoir un conflit de haute intensité quand, pendant des années, les Français ont pu réduire l’armée à une super police, déployée dans le cadre de l’opération Sentinelle ? « La parole politique souffre aussi d’un abus du registre de la guerre. “Nous sommes en guerre”, avait déclaré Emmanuel Macron le 16 mars 2020 : face au Covid-19, il avait décrété la “mobilisation générale” en affichant au premier plan les quelques moyens militaires mobilisés. Faire des armées un outil de politique intérieure abîme la crédibilité de la parole politique sur la défense nationale et la compréhension du sens de l’action militaire », analyse encore Bénédicte Chéron.
Narcotrafic et djihadisme
L’urgence semble aujourd’hui de prioriser les menaces. Or la plus « existentielle » d’entre elles est l’alliance du terrorisme islamiste et des narco-trafiquants, dont l’éradication relève d’abord du ministère de l’Intérieur et du ministère de la Justice. Ensuite, nul ne doute de l’importance de construire un outil militaire puissant, ce qui n’exige pas moins de dix années. Enfin et surtout, le défi est éducatif et culturel : il faut en urgence réapprendre à la jeunesse de France à aimer son pays, à être fier de son histoire et à se tenir prêt à le défendre : un projet colossal, quand c’est au contraire la haine de soi et de ses racines qui est distillée tant dans les manuels scolaires que dans la production culturelle et médiatique mainstream.
« En France, les fondements de l’esprit de défense apparaissent ainsi affaiblis par une jeunesse en souffrance psychologique, des fractures internes et des menaces extérieures exploitant les failles d’un corps social désuni. En retraçant les leçons de l’histoire, cette note montre combien la cohésion sociale et un socle culturel partagé demeurent essentiels à l’esprit de défense. Celui-ci reste, en 2025 comme en 1914 ou en 1939, en Ukraine ou en Israël, l’élément fondamental qui conditionne l’avenir d’un pays », affirme le lieutenant-colonel Louis-Joseph Meynié dans une note récente de l’Institut Montaigne. Si vis pacem…