En quoi consiste notre dépendance à l'égard de Dieu ? - France Catholique
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Marie, secours des chrétiens
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En quoi consiste notre dépendance à l’égard de Dieu ?

Le christianisme affirme notre radicale dépendance à l’égard de Dieu. N’est-ce pas une idée infantilisante dont l’homme moderne devrait se libérer ?
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Fresque représentant la création de l’homme.

La création de l’homme, monastère Saint-Antoine-le-Grand, Saint-Laurent-en-Royans, Vercors, France. © Pascal Deloche / Godong

Apparaissant à sainte Catherine de Sienne, le Christ a eu ces mots qui pourraient nous effrayer : « Sais-tu, ma fille, qui tu es et qui je suis ? Si tu as cette double connaissance, tu seras heureuse. Tu es celle qui n’est pas, je suis celui qui suis. » Dieu est l’être au sens le plus profond possible : l’être infini. Mais alors, quelle est la valeur de l’homme en tant que créature ? Dieu ne prend-il pas toute la place ? Si Dieu est le seul être subsistant par lui-même, que sommes-nous ?

« Si Dieu existe, l’homme est néant », affirmait Jean-Paul Sartre dans Le diable et le Bon Dieu (1951). Selon lui, soit la créature se détache de Dieu – autonome, elle ne dépend pas de lui – mais alors ce n’est plus une créature. Soit elle n’est qu’une émanation de Dieu et n’a pas d’existence véritable : « On peut concevoir une création, à la condition que l’être créé s’arrache au créateur pour […] assumer son être. Mais si l’acte de création doit se continuer indéfiniment, si l’être créé est soutenu jusqu’en ses plus infimes parties, s’il n’a aucune indépendance propre, s’il n’est en lui-même que du néant, alors la créature ne se distingue aucunement de son créateur, elle se résorbe en lui. »

Un amour qui fait grandir

Cette alternative est en réalité assez artificielle car elle suppose qu’il n’y a qu’une seule manière d’exister : être totalement indépendant. Dès lors, ce qui est dépendant est sans consistance. Et la notion même de création s’évanouit, car les créatures ne sont rien. Sartre, toutefois, méconnaît le concept traditionnel de création : il imagine qu’elle est une « émanation » de Dieu, alors qu’elle est, selon les mots de l’abbé Charles Moeller, « une communication de l’être, par amour ; elle est don de soi. Elle est volonté de faire participer des êtres à l’Être. Quand il s’agit de l’homme, la création signifie le dessein de le faire participer à la nature divine ».

Oui, Dieu seul existe. Dieu seul subsiste au sens le plus strict du terme. Lui seul peut dire : « Je suis celui qui suis », tandis que l’homme reçoit son existence. Suspendu entre les mains du Créateur, il tient son être de son amour. « En lui, nous avons la vie, le mouvement et l’être », explique saint Paul à l’aréopage, dans les Actes des apôtres (Ac 17, 28).

Les myriades de créatures sont comme le scintillement des vagues dans la lumière du soir : elles ne sont pas la source de la lumière, elles ne font que la recevoir et la refléter de mille façons.Néanmoins, Dieu, s’il est tout, ne fait pas de nous des riens, des fantômes d’être. Sa présence, au plus intime de nous-mêmes, nous fait vraiment exister, vraiment agir, car Dieu n’est pas un tyran qui écrase, mais un amour qui fait grandir.

Découvrir cette dépendance…

Hélas, cette vérité métaphysique nous est très obscure. Nous sommes spontanément très présents à nous-mêmes et très peu à Dieu, qui nous semble lointain. Et nous avons parfois l’impression que nous seuls existons et que, dans l’hostie, il n’y a qu’absence réelle…

Néanmoins, par l’oraison, cette réalité peut progressivement prendre consistance dans notre vie. Nous saisissons peu à peu que c’est Dieu qui est présent, et nous qui sommes « absents » ; que c’est lui qui est, et que nous ne sommes qu’un souffle tiré du néant. Dans son si beau livre Initiation à la prière, réédité par Artège en 2013, le théologien Romano Guardini (1885-1968) écrivait ces mots : « Un recueillement véritable permet d’expérimenter peu à peu cette vérité. […] C’est une expérience grandiose qui a de quoi nous effrayer ; mais c’est aussi une source incomparable de joie, et nous verrons que c’est à cela que correspond un des actes fondamentaux de la prière : l’adoration. »

… et l’accepter

Toutefois, le refus de la subordination à Dieu est souvent plus psychologique ou spirituel que métaphysique. La dépendance, que nous expérimentons dans nos relations aux hommes, faillibles comme nous, qui peuvent nous juger, nous manipuler, nous trahir, est bien difficile à accepter. Quand j’ai été trahi ou souillé par les hommes, puis-je me fier à un autre être, fût-il Dieu ? Et la perspective d’avoir à se mettre entre les mains d’autrui, surtout pour des actes intimes, n’est-elle pas parfois le mobile secret d’une demande d’euthanasie ?

Mais, plus fondamentalement, c’est l’orgueil qui nous fait refuser notre statut de créature, comme le montre cet étonnant aveu de Nietzsche : « Mais je vous révèle tout mon cœur, ô mes amis : s’il existait des dieux, comment supporterai-je de ne pas être un dieu ! Donc il n’y a point de dieux » (Ainsi parlait Zarathoustra, 1883).

L’enjeu est d’accepter humblement l’amour du Christ et l’amour du prochain. Les démons doivent souffrir éternellement d’être dépendants de l’être divin qu’ils détestent. Mais quand on aime, on se réjouit de dépendre de l’autre. Le pasteur Timothy Keller (1950-2023) l’illustre par ces mots : « Quand vous tombez sérieusement amoureux, vous désirez plaire à la personne aimée […]. Vous vous empressez de découvrir les moindres choses qui peuvent lui faire plaisir. […] “Tes désirs sont des ordres”, dites-vous, et vous ne vous sentez pas opprimé pour autant. Observant la situation de l’extérieur, vos amis pensent peut-être, perplexes : “Elle le mène par le bout du nez” mais, de l’intérieur, cela ressemble au paradis. Pour un chrétien, c’est la même chose avec Jésus. L’amour du Christ nous étreint. Lorsque vous vous rendez compte à quel point Jésus […] s’est donné pour vous, vous n’avez plus peur d’abandonner votre liberté pour trouver votre liberté en lui. »