« En Iran, les conversions au christianisme se multiplient » - France Catholique
Edit Template
Noël : Dieu fait homme
Edit Template

« En Iran, les conversions au christianisme se multiplient »

Quarante-cinq ans après la proclamation de la République islamique, quelle est la situation des chrétiens en Iran ? Entretien avec Emmanuel Razavi, grand reporter, qui vient de publier La face cachée des mollahs.
Copier le lien

Des chrétiens prient dans la cathédrale Saint-Sarkis de Téhéran.

© sima-ghaffarzadeh – pexels

Quelle est aujourd’hui la situation du régime iranien ?

Emmanuel Razavi : La République islamique d’Iran est fragilisée par de nombreuses crises, et d’abord par celle entre ceux qu’on appelle les « réformateurs » d’un côté, et les « khomenistes » de l’autre – les seconds étant partisans de réprimer très sévèrement les manifestations contre le régime, qui perdurent même si elles n’ont pas l’ampleur qu’elles avaient en 2022, après la mort de Mahsa Amini.

Mahsa Amini ?

C’est cette étudiante iranienne d’origine kurde, tuée en septembre 2022 par la police des mœurs parce qu’elle portait mal son voile islamique. Ce rejet du voile est éminemment politique. Quand il prend le pouvoir, en 1979, l’ayatollah Khomeini impose aux femmes de le porter pour que l’islam s’impose visuellement dans l’espace public. Le voile est un moyen d’influence autant qu’un instrument d’asservissement. Les femmes iraniennes en ont pleinement conscience.

Crise politique, mais aussi crise économique…

Un Iranien sur deux peine à faire deux repas par jour. Et l’inflation est telle – 45 à 60 % par an, selon les sources – que la population s’appauvrit. Cette crise économique a pour corollaire une crise sanitaire. Le prix des médicaments s’est envolé : 30 à 40 euros pour une boîte de paracétamol… Il faut y ajouter une crise environnementale aggravée par la corruption des piliers du régime. Les « gardiens de la Révolution » contrôlent à peu près 60 % de l’économie iranienne. Dans ce pays aride, ils ont fait construire de nombreux barrages en contrepartie d’importants bakchichs. Or ces barrages, dont certains sont anciens, ne sont pas du tout entretenus, de sorte que l’accès à l’eau potable est devenu très difficile dans certaines régions. Et une bouteille minérale, cela coûte très cher !

Malgré ces crises, l’Iran semble pratiquer l’escalade sur les terrains extérieurs, notamment au Yémen et au Liban.

Et vous pourriez ajouter en Israël car on sait que le régime a prêté main forte au Hamas, le 7 octobre.

Pour quelles raisons ?

Téhéran voulait à tout prix saboter le rapprochement qui se dessinait entre Israël et l’Arabie saoudite. Elle dispose dans la région de deux cartes : le Hezbollah – le « Parti d’Allah » – implanté au Liban, et le Hamas – le « Mouvement de résistance islamique » – qui contrôlait la bande de Gaza. L’Iran a donc soutenu l’opération du 7 octobre en formant sur son sol et en armant les terroristes du Hamas. En favorisant le déclenchement de ce conflit, il a bloqué tout accord entre Israël, l’Arabie saoudite et tout autre pays arabe.

Et que se passe-t-il au Yémen ?

Au Yémen, l’Iran soutient les rebelles Houthis, là encore contre l’Arabie saoudite. Armés par Téhéran, les Houthis ont pris parti pour le Hamas, annonçant après le 7 octobre qu’ils prendraient pour cible « tous les navires de la mer Rouge à destination des ports israéliens ». Ce qu’ils ont fait, au point de perturber le trafic maritime. En réaction, plusieurs pays, à l’initiative des États-Unis, ont formé une coalition internationale pour protéger les navires de commerce. La France participe activement à cette surveillance.

Contesté à l’intérieur, affaibli par les sanctions occidentales, le régime iranien vous semble-t-il condamné , à terme ?

Il ne tient que par la répression et la force des armes. Les gardiens de la Révolution sont d’une férocité sans limite. Mais dans les faits, le régime est fracturé, donc instable. Quatre Iraniens sur cinq sont contre le régime. On le sait par des enquêtes internes, même si les sondages sont interdits en Iran. Surtout, c’est un pays jeune : la moyenne d’âge y est de 32 ans. Et les jeunes sont bien formés car les universités iraniennes sont d’un bon niveau. Ils en ont assez du totalitarisme islamique, ils aspirent à la liberté. Ils ont la nostalgie d’un temps qu’ils n’ont d’ailleurs pas connu, celui du shah – une époque où les hommes et les femmes avaient les mêmes droits, par exemple. Les mollahs sont âgés et minés par les divisions. Tôt ou tard, ils seront contraints de céder la place.

On dit que bon nombre d’Iraniens se convertissent au christianisme…

C’est tout à fait vrai ! Pendant longtemps le régime islamique a toléré les chrétiens car ils étaient peu nombreux, discrets… et ils se gardaient bien de tout prosélytisme. Et pourtant, les conversions se multiplient depuis une dizaine d’années : on compte aujourd’hui près d’un million d’Iraniens chrétiens ! Ce qui est d’autant plus surprenant – et courageux – que la conversion, considérée comme un crime d’apostasie, est passible de mort. Or ce phénomène prend de l’ampleur, au point d’inquiéter sérieusement le régime : les chrétiens sont arrêtés, emprisonnés. On sait que certains sont battus, fouettés, parfois contraints de suivre des sessions de rééducation religieuse imposées par les gardiens de la Révolution.

Comment expliquez-vous ces conversions, malgré la répression ?

Dans un pays corseté, le christianisme incarne à leurs yeux la liberté. C’est en tout cas ce que m’ont dit les convertis avec qui j’ai pu discuter. La religion chrétienne leur parle de liberté, là où le régime islamique, depuis quarante-cinq ans, leur parle d’interdits.

La face cachée des mollahs, Emmanuel Razavi, Éditions du Cerf, janvier 2024, 236 pages, 22 €.

UN NOMBRE CROISSANT DE CONVERSIONS
L’Église en Perse a été fondée par l’apôtre Thomas, mais ses fidèles ont été réduits au rang de « dhimmis » après la conquête musulmane, au VIIe siècle. Les fidèles catholiques se rattachent soit à l’Église de rite latin, soit aux Églises catholiques orientales, de rite chaldéen ou arménien. La plupart des conversions au christianisme sont le fait de protestants évangéliques.
Selon l’ONG Portes Ouvertes, l’Iran fait partie des pays où les chrétiens, considérés comme des citoyens de seconde zone, privés d’occuper certains emplois, subissent une « persécution extrême ». « Phénomène clandestin, la pratique de ceux qu’on appelle parfois les croyants d’origine musulmane se caractérise par un manque de ministres et de lieux de culte et par des réunions de communautés autonomes de quatre à cinq membres chacune dans de petites églises aménagées dans des maisons et au son de chants entonnés à voix basse, quand il y en a », résume l’Américain Daniel Pipes, directeur du Forum du Moyen-Orient.
« Le gouvernement les accuse d’être à la solde de l’Occident et de miner la culture islamique du pays », poursuit Portes Ouvertes. Les autorités ont procédé à une vague d’arrestations massives en juillet 2023, les tribunaux condamnant plusieurs d’entre eux à de lourdes peines de prison pour « atteinte à la sécurité nationale » ou « propagande au détriment de la sainte religion de l’islam », comme le pasteur Anooshavan Avedian, 61 ans, en septembre dernier. Pourtant, le mouvement de conversion se poursuit. En 2020, un exilé iranien travaillant aux États-Unis pour l’université Johns-Hopkins, Shay Khatiri, écrivait même à propos de l’Iran que « l’islam y est la religion qui connaît la diminution la plus rapide et le christianisme, la croissance la plus rapide ».