« Bon chemin vers la sainte fête de Noël ! » C’est sur un ton plein d’allégresse que le pape François a conclu la messe qui a rassemblé des milliers de personnes sur les hauteurs d’Ajaccio le dimanche 15 décembre. Une célébration eucharistique où le Saint-Père fustigeait les « attentes consuméristes » liées à la fête de la Nativité, qui ne peuvent générer que de « l’angoisse ». « Préparez-vous à Noël dans une attente joyeuse », a-t-il rappelé à l’issue d’une journée magnifiquement ensoleillée. Elle fut aussi sans nuage au niveau de la relation entre le chef de l’Église et le peuple corse, venu de toute l’île pour le saluer et l’écouter avec ferveur.
Piété mariale
Dès son arrivée à Ajaccio, le pape François a effectué un pèlerinage hautement symbolique : le baptistère Saint-Jean, pour marquer l’entrée de la Corse dans le christianisme au VIe siècle, puis la piété mariale avec la prière de l’Angélus récitée avec les membres du clergé dans la cathédrale, devant la statue de la Vierge de la Miséricorde, la Madunuccia. Cependant, si le Souverain pontife avait choisi de visiter le peuple corse, c’est avant tout pour rendre hommage à la force de sa piété populaire : « Vous êtes des pionniers ! Vous êtes un modèle vertueux en Europe ! Vos traditions sont une richesse qu’il faut conserver et cultiver, mais pas pour vous isoler, jamais, toujours en vue de la rencontre et du partage. »
Une adresse très forte qui recelait une intention politique tout aussi percutante. En effet, le pape François a tenu à mettre en lumière la piété populaire à l’aune de la façon dont est vécue la laïcité sur l’île : « Une saine laïcité », selon les mots repris du pape Benoît XVI, qui « garantit à la politique d’opérer sans instrumentaliser la religion, et à la religion de vivre librement sans s’alourdir du politique dicté par l’intérêt ».
Pour le pape François, « la Corse peut réaliser cet entrelacement […] où se noue le constant dialogue entre le monde religieux et le monde laïc, entre l’Église et les institutions civiles et politiques ». C’est la « piété populaire (…) très profondément enracinée » qui permet cette rencontre. « Nous en Corse nous avons gardé cet esprit du sacré, il n’y a pas de rupture dans la tradition qui se fait de père en fils, et nous prônons le message de l’Église qui est celui (…) de l’entraide » et de l’engagement dans la société, souligne fièrement Christian Andréani, de la confrérie Saint-Martin de Patrimonio.
Message pour la France
Le message valait-il pour la Corse et donc pour la France ? Assurément, tant le Saint-Père a souligné à plusieurs reprises l’importance de cette vision positive et « nécessaire » de la laïcité. Avertissant aussi les croyants que considérer la foi comme uniquement du domaine privé est « hérétique ».
De cette laïcité à la corse découle en effet une façon très naturelle de mêler la religion et le politique dans l’espace public. Cette singularité s’explique par des raisons historiques : en 1735, les Corses s’affranchissent de la tutelle de Gênes, et placent alors l’île sous la protection de la Vierge Marie, en la faisant reine de l’île dans la première Constitution. Par ailleurs, l’hymne corse est aussi une hymne mariale : le « Dio vi salvi Regina », chanté aussi bien à la fin d’une rencontre sportive que dans une fête familiale.
Mais une telle symbiose n’élude pas pour autant la désertification de l’assistance à la messe le dimanche, et la disposition à vivre les enseignements de l’Évangile. Un prêtre déplore ainsi que la Corse possède l’un des taux les plus élevés d’avortements en France métropolitaine. Et que le message de l’Église soit très difficile à faire passer. « La piété populaire c’est bien, confie-t-il, mais la difficulté à pardonner, le goût de la vengeance et des armes… C’est cela aussi la Corse. » Toujours est-il que des miracles sont possibles ! Lors de la messe célébrée par le pape François au Casone, on a vu des Corses se parler, aller les uns vers les autres, après des années de silence selon un témoin.
« Une vraie onction pour la Corse »
Y aura-t-il un avant et un après cette visite papale qui pour les Corses restera en tout point extraordinaire ? « Cette journée est une vraie onction pour la Corse », a souligné le cardinal François Bustillo, tandis que le Saint-Père s’exclamait à la fin de la messe : « Je me suis senti à la maison ! »
Son voyage s’est conclu par un entretien de 45 minutes avec Emmanuel Macron à l’aéroport d’Ajaccio, avant son départ pour Rome. Dans son message lors de la réouverture de Notre-Dame de Paris, le pape François avait demandé aux Français de « se réapproprier leur héritage de foi ». En Corse, une semaine plus tard, il aura donné le mode d’emploi.