D'où vient le projet de loi sur l’euthanasie ? - France Catholique
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Marie dans le plan de Dieu
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D’où vient le projet de loi sur l’euthanasie ?

Les députés examineront en séance le projet de loi sur la fin de vie à partir du 27 mai. Après la contraception et l’avortement, la légalisation de l’euthanasie s’inscrit dans le programme de « transformation sociétale » des obédiences maçonniques qui ont toujours voulu contrôler la vie, de la naissance jusqu’à la mort.
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Freemason temple sign

© Philippe Lissac / Godong

«Quelle est l’opinion du Grand Orient de France concernant la création d’une journée éducative sur la mort à destination des enfants ?
– Cette éducation nous semble essentielle, dans le cadre de cette loi de liberté et de laïcité. »


Voilà ce dont on parle dans les cénacles de la République : de « l’éducation » des enfants à la mort. Cet échange glaçant s’est déroulé au sein de la « Commission spéciale » de l’Assemblée nationale chargée de préparer l’adoption du projet de loi sur la fin de vie. Les députés en débattront en séance publique à partir du 27 mai. Présidée par Agnès Firmin Le Bodo, ancien ministre de la Santé favorable à l’euthanasie et au suicide assisté, la Commission spéciale auditionnait les obédiences maçonniques le 25 avril. La question sur « l’éducation » des enfants à la mort est de Caroline Fiat, députée LFI qui a déposé, dès 2017, une proposition de loi visant à légaliser l’euthanasie et le suicide assisté. La réponse est de Guillaume Trichard, grand maître du Grand Orient de France (GODF), lui aussi favorable à ce projet, même s’il juge nécessaire de « l’améliorer » : le Grand Orient « a toujours été aux avant-postes du combat pour une mort digne », a-t-il rappelé, soucieux de délivrer les hommes de « l’angoisse de la mort [qui] constitue le terreau sur lequel s’est édifié le pouvoir des Églises sur les hommes ». Dans un communiqué de presse du 30 mars 2021, les organisations maçonniques présentaient déjà l’euthanasie et le suicide assisté comme « la réponse républicaine, laïque et humaniste à la question de la mort ».

« La France, fille des Lumières »…

Le 8 novembre dernier, le président de la République était allé saluer l’œuvre du Grand Orient de France, lors du 250e anniversaire de cette obédience. « Je pense notamment au droit de mourir dans la dignité […]. Et je vous remercie pour les contributions que vous avez produites en lien avec le gouvernement qui va nous permettre de faire cheminer dans les prochains mois ce texte », avait-il déclaré, après avoir relevé que « les francs-maçons n’ont, semble-t-il, jamais été aussi nombreux » en France : 135 000 à 140 000, dont « plein de journalistes », dit Alain Bauer, ancien grand maître du Grand Orient. Et de politiques, précise Serge Abad-Gallardo, ancien franc-maçon revenu à la foi chrétienne en 2012, qui estime à 40 % le nombre des parlementaires francs-maçons, dont beaucoup font partie de la Fraternelle parlementaire (FC n° 3821).

En accueillant le chef de l’État, Guillaume Trichard avait réaffirmé la « position de toujours » du GODF : « La libre disposition pour chacune et chacun de son corps, durant sa vie jusqu’à sa mort. » « Par cette loi, la France, fille des Lumières, garantira cette liberté ultime. Après les luttes menées pour ne plus enfanter dans la douleur, après les combats pour le droit à la contraception, puis l’interruption volontaire de grossesse, il s’agit peut-être de la dernière liberté que nous souhaitons conquérir, en tant que franc-maçonnes, femmes et citoyennes », a résumé Catherine Lyautey, grande maîtresse de la Grande Loge féminine de France, devant la Commission spéciale de l’Assemblée.

« L’homme, un peu de boue »

Car il y a dans tous ces combats une grande cohérence : l’ambition démesurée de maîtriser la vie de la naissance à la mort, en s’affranchissant de Dieu et même de la nature. Prétention qui remonte au matérialisme du siècle des Lumières, puis a traversé le temps en assimilant les théories malthusienne, darwiniste et eugéniste élaborées au XIXe siècle. Directeur du Centre européen pour le droit et la justice (ECLJ), Grégor Puppinck en a retracé l’histoire et les évolutions dans une étude très documentée, La Promotion de l’euthanasie au XXe siècle, disponible sur le site Internet de l’ECLJ. Selon cette conception, l’homme ne serait qu’un matériau, « un peu de boue », écrit Julien Offray de La Mettrie, médecin et philosophe libertin à qui l’on doit, en 1747, un essai préfigurant la doctrine transhumaniste : L’Homme Machine. Et, selon Diderot, la vie, comme le mouvement, seraient seulement « des propriétés de la matière » que l’homme pourrait « améliorer » selon les progrès de la science.

Se greffent sur cette approche matérialiste la recommandation malthusienne de limiter la population pour des raisons économiques ; puis la tentation d’appliquer à la société des hommes les théories de Darwin sur l’évolution et la sélection naturelle des espèces : « Toute protection artificielle des faibles est un handicap pour le groupe social auquel ils appartiennent, dans la mesure où cette protection a pour effet […] de le mettre en position d’infériorité face aux groupes sociaux rivaux », écrit le sociologue Herbert Spencer, contemporain de Darwin, qui préconise « la survie du plus apte » (Principles of Biology, 1864). L’eugénisme s’inscrit dans cette logique d’élimination des êtres les plus fragiles, considérés comme une charge pour la société.

« Poussées hors de l’existence »

« Ce sont ces changements majeurs dans la conception de la vie humaine qui ont rendu possible ce qui était inenvisageable jusqu’alors dans une société judéo-chrétienne, à savoir la justification de l’infliction de la mort à un être humain innocent pour un motif de nature biologique ou sociale », résume Grégor Puppinck. Ces théories inspireront la fondation en 1907, au Royaume-Uni, de l’Eugenics Society, dont fit partie George Bernard Shaw (1856-1950). En 1910, cet écrivain socialiste n’avait pas hésité à préconiser « le meurtre par l’État » et la création de « chambres létales », jugeant qu’« un grand nombre de personnes devraient être poussées hors de l’existence simplement parce qu’elles gâchent le temps des autres personnes de prendre soin d’elles-mêmes ». Plusieurs membres de cette « société eugénique » créeront la Voluntary Euthanasia Legalisation Society en 1935. Aux États-Unis, c’est l’Euthanasia Society of America, fondée en 1938, qui propagera ces thèses.

En Allemagne, Hitler assimilera les discours du biologiste Ernst Haeckel, du psychologue Adolf Jost et du juriste Karl Binding qui publie en 1920 un plaidoyer pour la « libéralisation de la destruction de vies indignes d’être vécues ». « La pitié des sages […] ne connaît qu’un seul mode d’action : laisser mourir les malades », écrit Hitler dans Mein Kampf (1925). C’est ainsi que nous pourrons « nous purifier et nous régénérer nous-mêmes ».

Du droit de tuer au « droit à mourir »

Comprenant après-guerre que l’argument eugéniste ne pouvait plus servir d’assise à la promotion de l’euthanasie, ses partisans vont modifier leur discours en mettant habilement l’accent sur la liberté individuelle. Ils insistent moins sur le droit de tuer que sur le « droit à mourir » – sans remettre en cause les présupposés matérialistes de leur « philosophie », ni abandonner leur volonté de maîtriser la vie en contrôlant le vivant. « La vie comme matériau, tel est le principe de notre lutte […]. N’y voyons plus un don de Dieu mais un matériau qui se gère. C’est l’avenir tout entier que nous faisons basculer. Voici que des millénaires s’achèvent en notre temps. Cette nouvelle approche de la vie, celle du gestionnaire, rien ne peut l’arrêter. Sa logique la conduit à rationaliser de plus en plus un domaine que gouvernaient encore les lois du hasard pour certains, pour d’autres les desseins de la Providence. »

Extraite de son autobiographie, De la vie avant toute chose (1979), cette citation de Pierre Simon (1925-2008), ancien grand maître de la Grande Loge de France, donne la (dé)mesure de l’ambition maçonnique. Son propos, d’apparence libérale, demeure bel et bien eugéniste : il faut « veiller à ce que le matériau ne se dégrade pas » car ce serait « ruiner l’espèce ». Il est donc indispensable de « bloquer la transmission des tares héréditaires transmissibles connues ». La santé étant « devenue propriété collective », Simon estime qu’il revient à la société de décider qui doit naître – ou pas : « Ce n’est pas la mère seule, c’est la collectivité tout entière qui porte l’enfant en son sein. C’est elle qui décide s’il doit être engendré, s’il doit vivre ou mourir, quel est son rôle et son devenir. »

« Une morale évolutive »

Gynécologue de profession, Pierre Simon sera l’un des principaux artisans, discret mais influent, des réformes préparées dans les loges, qui ont progressivement mis à bas l’ordre juridique de la société française, jusque-là fondé sur des valeurs chrétiennes. « La franc-maçonnerie procède d’une morale évolutive, expliquait-il ; contrairement à ce que dictent les dogmes, nous pensons qu’il y a lieu de redéfinir quotidiennement les concepts à la faveur des connaissances acquises. » Selon cette méthode, une loi en appelle toujours une autre. « En tant que francs-maçons, nous sommes attachés au travail itératif, ce que nous appelons dans notre jargon “tailler la pierre” ou “améliorer nos plans” », dit Guillaume Trichard.

Ainsi Pierre Simon ira-t-il d’abord en Union soviétique étudier l’accouchement sans douleur, pour prouver que « la douleur recommandée par l’Église n’était pas indispensable ». Avant d’aller en Chine observer la mise en place par Mao du contrôle des naissances, en 1955. Et de ramener d’Inde le stérilet, en 1961. Puis il entame en France la bataille de la contraception. « Le Planning familial manquait de structures pour entreprendre ce combat. Nous fournîmes ces moyens au mouvement qui, ainsi animé et dirigé par la Fraternelle [parlementaire], devint d’inspiration maçonnique. » C’est Pierre Simon qui rédigera la proposition de loi déposée par le député gaulliste Lucien Neuwirth, autorisant l’usage des contraceptifs, en décembre 1967. Proche de Robert Boulin, alors ministre de la Santé, c’est encore lui qui, dès 1970, animera le groupe de travail préparant la dépénalisation de l’avortement, acquise en janvier 1975. Tout ce programme vise à dissocier la sexualité de la procréation.

Fondateur de la Fraternelle parlementaire

C’est au cours de la rédaction de la loi Veil qu’il fera la connaissance du rapporteur de ce texte au Sénat, Henri Caillavet… qui déposera la première proposition de loi sur la fin de vie, en 1978 – Emmanuel Macron rendra d’ailleurs hommage aux deux hommes devant le Grand Orient. Membre du GODF depuis 1935, Caillavet (1914-2013) fut, avec Paul Ramadier, le fondateur de la Fraternelle parlementaire, en 1947. Député de 1946 à 1958, puis sénateur de 1967 à 1983, il fit preuve d’une intense activité législative, préparant des textes sur le divorce par consentement mutuel, l’avortement, l’insémination artificielle, l’euthanasie, l’homosexualité, le transsexualisme… Il présidera l’Association pour le droit de mourir dans la dignité : créée en 1980 par Pierre Simon et l’écrivain Michel Lee Landa, cette association a obtenu de Xavier Bertrand, ancien ministre de la Santé et franc-maçon assumé, de siéger dans les commissions des usagers des hôpitaux. Elle milite pour l’euthanasie, regrettant que le projet de loi du gouvernement n’aille pas assez loin.

De fragiles verrous

Mais jusqu’où veulent-ils aller, justement ? En octobre 2015, le Grand Orient de France avait consacré un colloque à « la fin de vie des enfants ». Y participait notamment le sénateur belge Philippe Mahoux, cheville ouvrière de la loi de 2002 dépénalisant l’euthanasie en Belgique, étendue aux enfants en 2014 : « Le scandale, avait-il alors déclaré, ce n’est pas la mort mais la souffrance et la maladie. Encore plus lorsqu’il s’agit d’un enfant », en appelant les parlementaires français à ne pas poser de limite d’âge à l’euthanasie. Le sujet est revenu devant la Commission spéciale de l’Assemblée, le 25 avril. « Certaines catégories sont exclues de son champ d’application, dont les mineurs, les personnes âgées atteintes de maladies dégénératives progressives et de polypathologies, mais aussi les personnes âgées, chez lesquelles le taux de suicide est le plus élevé », a regretté le Dr Frédérique Moati, de la Grande Loge féminine de France.

Il s’agira de faire sauter ces fragiles « verrous », dès l’adoption de cette loi… ou à la prochaine. Il s’est écoulé près de 60 ans depuis le vote de la loi sur la contraception. Les francs-maçons savent compter sur le temps pour imposer leur programme.