Les soins palliatifs et les mesures concernant « l’aide à mourir » – en l’occurrence l’euthanasie et le suicide assisté – devraient faire l’objet de deux textes de loi différents. Qu’en pensez-vous ?
Claire Fourcade : Cela fait deux ans que nous le demandons ! Les soignants ne cessent de répéter que la mort n’est pas un soin. On ne peut absolument pas traiter ces deux sujets dans un même texte. Il y a un consensus sur les soins palliatifs : tout le monde est d’accord pour les développer. Or, ce consensus n’existe pas sur l’euthanasie, ni sur le suicide assisté. Associer les deux sujets, c’était brider l’expression des parlementaires en empêchant un vote libre : il devenait en effet difficile de s’opposer à l’euthanasie sans donner l’impression de s’opposer aussi aux soins palliatifs. Dissocier les deux, c’est restaurer les conditions d’un débat clair et, je l’espère, serein.
Les partisans d’un seul texte – le député Olivier Falorni, la présidente de l’Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet – soutiennent cependant qu’il y a un « continuum » entre les soins palliatifs et l’euthanasie…
Il est difficile de suivre leur raisonnement. Ils nous disent, depuis quelques jours, qu’il n’est pas nécessaire de faire une loi pour avancer sur les soins palliatifs, tout en soutenant qu’il est nécessaire d’inclure ce sujet dans un texte traitant aussi de l’euthanasie… C’est pour le moins contradictoire. Le développement des soins palliatifs ne doit pas servir d’alibi à la légalisation de l’euthanasie ou du suicide assisté. Il y aurait, de plus, un avantage à proposer un texte de loi distinct sur les soins palliatifs : il pourrait être adopté à l’unanimité, en tout cas à une très forte majorité, ce qui serait symboliquement très fort. Ce serait un très beau message adressé aux patients et à leurs proches, ainsi qu’aux soignants.
Le projet initial prévoyait, dans son titre 2, de légaliser l’« aide à mourir ». Que contestez-vous dans ce projet ?
À peu près tout ! Je remarque, d’abord, que les mots dissimulaient la chose : jamais les mots « euthanasie » et « suicide assisté » n’étaient employés dans ce projet. Pourtant, c’est bien ce dont il s’agit ! C’est important de dire les choses, de ne pas se cacher derrière les mots. Encore une fois, donner la mort, ce n’est pas administrer un soin. Quelles qu’en soient les conditions. On nous dit que ces conditions seraient très strictes. C’est absolument faux. Nous touchons à l’humain. Comment être sûr qu’un patient est capable de discernement ? Comment savoir si son pronostic vital est engagé au-delà de six mois ? C’est impossible : dans 20 % des cas environ, les patients à qui l’on donne six mois à vivre sont encore en vie trois ans plus tard [selon une étude anglaise, NDLR].
J’ajoute – ce qu’on n’a pas assez dit – que les partisans de ce projet disent vouloir préserver la liberté du patient en le soustrayant à la toute-puissance des médecins. Or ce projet, tel qu’il a été voté, confère au médecin le droit de vie ou de mort sur le patient, puisqu’il lui revient de décider si celui-ci remplit les critères de « l’aide à mourir », de faire la prescription, et de faire le geste. C’est précisément ce que refusent les soignants : nous ne voulons pas de ce pouvoir sans mesure !
Vous craignez des dérives ?
Dérive, ce n’est pas le bon mot. Je ne parle pas de dérapage. C’est la logique même de la loi qui est en cause. Il n’y a pas un seul pays, parmi ceux qui ont autorisé l’euthanasie, où les conditions initialement fixées aient tenu : elles ont été progressivement élargies, au risque de totalement disparaître. La pression normative est très forte. Et le nombre d’euthanasies a considérablement augmenté. Au Canada, par exemple, elles représentent près de 5 % des décès.
Vous êtes médecin en soins palliatifs. Que vous disent vos patients ?
Je l’ai dit récemment à M. Falorni, qui voudrait légiférer rapidement : aucun de mes patients ne m’a parlé de ce projet depuis la dissolution de l’Assemblée nationale, et donc l’arrêt des débats, en juin dernier. Aucun. Ce que les patients attendent de nous, c’est qu’on les accompagne. Ils ont besoin d’être rassurés. Ils veulent être sûrs qu’on ne les abandonnera pas, qu’on soulagera leur souffrance en les soignant. Quand un patient demande à mourir – ce qui est bien moins fréquent qu’on ne le pense –, la première question que nous lui posons, c’est : « Pourquoi ? » Puis : « Qu’est-ce qui se passe aujourd’hui pour que vous nous demandiez ça ? Qu’est-ce qui vous fait souffrir ? » Nous essayons de comprendre. Et dans l’immense majorité des cas, nous trouvons une solution. Si demain une loi était votée, autorisant l’euthanasie, le risque est grand que les questions ne portent plus sur le « pourquoi » mais sur le « comment » : les préoccupations humaines céderaient la place à des interrogations techniques, au détriment du soin et, finalement, de l’humanité. Ce qu’il faut comprendre, c’est que nous faisons aujourd’hui du « singulier », car chaque patient est unique. Or on ne peut pas légiférer sur des cas individuels. Aujourd’hui, la loi, telle qu’elle est, envoie comme message aux patients que nous tenons à eux. Mais demain, quel message leur enverrait une loi autorisant l’euthanasie ? Qu’ils ne comptent plus pour la société ? Et comment maintenir une politique de prévention du suicide si l’on légalisait le suicide assisté ? Est-ce cela, la fraternité ?
Dans ces débats, on évoque souvent de grands principes. Or vous constatez, dans votre livre, que les responsables politiques ignorent souvent les réalités du monde soignant…
Oui, c’est d’ailleurs l’une des raisons qui m’ont poussée à l’écrire. Ce qu’on entend est tellement éloigné du réel ! Ces débats sont portés par des gens en bonne santé, très éloignés des questions de la fin de vie. C’est pourquoi nous proposons aux parlementaires de venir dans des services de soins palliatifs pour qu’ils découvrent la diversité des situations. D’autres, au contraire, ont vécu la mort d’un proche dans des conditions éprouvantes. D’où l’urgence de développer les soins palliatifs : aujourd’hui, la moitié des gens qui devraient en bénéficier n’y ont pas accès. Cela veut dire que 150 000 personnes meurent chaque année, en France, sans avoir été correctement soignées.
Journal de la fin de vie, Claire Fourcade, éd. Fayard, janvier 2025, 360 pages, 22,90 €.
Pour aller plus loin :
- Affaire Ulrich KOCH contre Allemagne : la Cour franchit une nouvelle étape dans la création d’un droit individuel au suicide assisté.
- Débat parlementaire du 19 novembre sur l'Euthanasie
- Le défi du développement des peuples et le pacte de Marrakech - la fuite en avant des Nations Unies
- Non à l'acharnement thérapeutique...
- Erwan Le Morhedec : « Cette loi est une tromperie »