« Dieu se transmet par la beauté » - France Catholique
Edit Template
Aumôniers militaires : servir les âmes et les armes
Edit Template

« Dieu se transmet par la beauté »

La restauration réussie de Notre-Dame de Paris a rappelé combien la beauté soutenait la foi. L’Église a toujours souhaité entretenir des liens étroits avec les artistes. Distendus à l’époque moderne, ils ont besoin d’être renoués pour le bien des âmes. Entretien avec Pierre Henri-Rousseau, artiste-peintre, à l’occasion de la « Journée Fra Angelico ».
Copier le lien

Retable de Marie-Madeleine, la rencontre à l’entrée de Béthanie, Pierre Henri-Rousseau, paroisse de Morzine.

Qu’est-ce qu’un artiste chrétien ?

Pierre Henri-Rousseau : Le grand modèle, c’est le bienheureux Fra Angelico. Comme lui, un artiste se situe en référence au seul vrai artiste – Dieu – et il n’est pleinement artiste qu’en participant à la créativité de Dieu. Cela donne une grande humilité à l’artiste, mais également toute la noblesse de sa mission. Et s’oppose à une vision moderne de l’art qui fait bien souvent de l’artiste un petit dieu. Il est très intéressant de revenir aux enseignements des papes sur l’art, qui donnent de solides directives aux artistes. Pie XII déjà, avant Jean-Paul II – qui l’a béatifié –, donnait Fra Angelico comme modèle aux artistes, les incitant à pratiquer un art ayant la « dignité de ministre de Dieu dont il reflète […] les perfections ».

Mais aucun artiste ne peut rendre compte parfaitement de la beauté de Dieu. Fra Angelico lui-même n’y est pas parvenu. Le travail de l’art sacré est toujours partiel : nous ne donnons à voir qu’un aspect du divin, plus ou moins essentiel, c’est toute la question. Pour cela, il nous faut contempler la beauté, dans ses manifestations sensibles, mais aussi dans l’univers spirituel, par la prière et la contemplation de Dieu. Fra Angelico exprime cela de manière sublime. Par ailleurs, bien sûr, l’artiste doit se souvenir qu’il est lui-même une « œuvre d’art de Dieu », en recherchant sa sainteté personnelle…

Quelle est la différence entre art sacré et religieux ?

On peut faire une première distinction technique. L’art sacré sert à la liturgie : un retable destiné à un autel, le chant grégorien… L’art religieux, lui, a pour sujet la religion mais il n’est pas nécessairement destiné à une église. Jean-Paul II donne une vision plus philosophique, très intéressante : il distingue deux rôles de l’artiste chrétien. Ceux qui réalisent une œuvre d’art profane ont pour mission de révéler l’amour créateur de Dieu et sa bonté, à travers ses œuvres, même de manière implicite : un artiste non croyant qui fait des œuvres belles révèle Dieu malgré lui. Il appelle ces artistes les « prophètes de la Création ». Ceux qui pratiquent l’art sacré doivent révéler l’amour salvateur de Dieu, l’histoire de la rédemption. Il nomme ces artistes les « prophètes de la Rédemption ». Pour le pontife, il ne suffit pas à une œuvre d’être religieuse et d’être utilisée dans la liturgie pour être considérée comme de l’art sacré : c’est la foi de l’artiste et sa capacité à révéler l’amour rédempteur, qui sont le gage de sa qualité. Et, de la même manière, si un artiste refuse de révéler la présence cachée de Dieu dans la Création, il ne pratique pas un art profane authentique.

Comment voyez-vous personnellement votre mission d’artiste ?

Je pratique quasi-exclusivement l’art sacré, donc j’essaie d’évoquer les mystères du Salut et la beauté divine de manière explicite, pour que les gens qui regardent mes œuvres perçoivent immédiatement ce que Dieu veut leur dire, sans qu’il y ait besoin de mots. J’aimerais que Dieu se serve de mes peintures pour attirer les âmes à lui, qu’elles soient mises en contact avec lui, et s’ouvrent à sa présence, par la révélation de sa beauté. J’essaie d’aider l’Église dans son ministère d’apporter aux hommes les mystères du Salut.

Pourquoi la beauté est-elle importante dans la liturgie ?

Dans la liturgie, l’homme doit convoquer tous les éléments harmonieux de la Création, toute l’harmonie cosmique – fibres naturelles des ornements, lumière des cierges, voix pour louer Dieu avec l’orgue… – devant l’autel de Dieu, par la beauté, pour la faire participer à la louange de Dieu, pour honorer son œuvre rédemptrice accomplie dans le saint sacrifice de la messe. Cela explique aussi l’harmonie de tous les mouvements des déplacements du prêtre et des acolytes, dans la messe en forme traditionnelle, qui rappellent les mouvements des planètes autour du soleil. Tout doit être beau et harmonieux pour Dieu.

Dans les grands courants d’art sacré, peut-on dire que l’un vaut plus que l’autre ?

Les débats entre l’art roman, gothique et baroque argumentent pour savoir lequel est le plus spirituel. Je crois personnellement que chacun exprime quelque chose de différent de Dieu. Le roman exprime plutôt le mystère de Dieu, la solidité, l’éternité, ce qui est transcendant. Le gothique va plus exprimer la lumière divine. Et le baroque la fécondité, l’abondance, la vie qui vient de Dieu, dans un contexte déjà en voie de déchristianisation. à l’époque du roman et du gothique, tout le monde était chrétien, personne ne remettait en question la foi, et même avait un zèle religieux très fort. Peut-être est-ce pour cette raison que ce qu’expriment ces deux formes d’art sur Dieu est plus essentiel à dire. En ce sens, il pourrait y avoir une hiérarchie, mais elle n’est pas absolue.

Pourquoi voit-on tant d’œuvres modernes si laides dans les églises ?

L’Église a toujours lutté contre l’esprit du monde mais, actuellement, le combat est particulièrement dur… On entend beaucoup qu’il faut « s’ouvrir », « sortir de soi », faire travailler des artistes non croyants… C’est une tentation. Il me semble que c’est l’inverse qu’il faudrait faire. Non pas se fermer au monde, mais revenir à l’intérieur de soi pour y trouver Dieu, dans le sanctuaire sacré de notre âme, dans le sanctuaire de l’Église, où il se tient présent. C’est là que l’on pourra vraiment apporter quelque chose au monde.

L’art doit-il être beau ?

La beauté est d’ordre spirituel : étant liée à l’amour, elle est moralement bonne. à l’inverse, la haine, engendre la laideur : une œuvre d’art qui exprime la haine est de l’art mais, comme il se rapporte à quelque chose de mauvais, il va faire du mal, donc il est moralement mauvais. De la même manière qu’un art voulant exprimer volontairement l’absence de Dieu. En revanche, une laideur apparente peut, paradoxalement, être belle si elle est habitée par la charité : la laideur du Crucifié, mis sur la Croix par le péché, est rendue belle par l’amour qui l’animait… En tant qu’artiste, mon devoir moral est donc d’exprimer la beauté. Notre époque a une difficulté autant avec la vérité qu’avec la beauté : cela va ensemble. Notre mission est de les garder unies dans notre travail.

Que pensez-vous du mobilier liturgique de Notre-Dame, qui est très discuté… ?

C’est sobre – comme dans un monastère cistercien. Personnellement, je pense que c’est du symbolisme trop réducteur, au point de ne plus exprimer grand-chose… Cela ne me semble pas adapté à une cathédrale, qui n’est pas faite pour des moines mais pour le peuple, pour la masse des fidèles et même pour les gens qui n’ont pas la foi. On aurait aimé voir du mobilier qui exprime davantage de choses, qui annonce Dieu et se fasse « prophète de la Rédemption ». Par ailleurs, un autel en pierre aurait été beaucoup plus adapté : il aurait évoqué immédiatement la pierre du sacrifice et la table de communion. C’est un problème de considérer que les artistes doivent faire original. Ce n’est pas le but d’un tel travail…

Qu’aimeriez-vous dire aux commanditaires d’art sacré ?

Je leur conseille de se mettre dans leur mission de pasteurs, qui veulent transmettre la vie de Dieu aux âmes, et leur rappeler que Dieu se transmet en grande partie par la beauté, qui est la manifestation de son amour invisible, disait saint Augustin. Voilà pourquoi beaucoup de papes ont voulu associer le travail des artistes à la mission de l’Église. Donc, aujourd’hui encore, il faut que les évêques, les prêtres, fassent appel à des artistes dont ils pensent que leurs œuvres vont transmettre cette beauté qui met les âmes en contact avec l’amour de Dieu. Outre le fait d’avoir un talent, bien sûr, et une inspiration, l’Église doit demander aux artistes de pénétrer les mystères de la foi, par la contemplation, afin de pouvoir les transmettre. Et si elle choisit de faire travailler des gens très talentueux mais n’ayant pas la foi, elle doit leur demander de connaître, au minimum, le contenu de la foi, et d’être admiratifs du Christ, de l’histoire de l’Église, de son message… Il faut s’affranchir des critères de mode, se libérer de l’esprit du monde.

Faut-il donner des contraintes aux artistes ?

Le positionnement de l’Église est délicat. Quand un artiste n’est pas libre dans sa manière d’exprimer sa contemplation, s’il a trop de contraintes, il ne peut plus travailler, cela devient de l’illustration plate. Le commanditaire d’art sacré doit donc choisir un artiste de confiance, dont il connaît l’authenticité de sa foi, et lui laisser une marge importante de liberté. Le choix de l’artiste est donc très important. Le cardinal Journet, qui est par ailleurs très classique, avait demandé à l’Église de laisser plus de liberté d’exploration aux artistes, de leur faire confiance, de les laisser prendre des risques.

Pie XII aussi disait : « Il importe extrêmement de laisser le champ libre à l’art de notre temps. » Malheureusement, aujourd’hui, l’Église est passée à l’excès inverse de ne plus donner de directives assez précises… Il faudrait retrouver un juste équilibre, comme cela a été le cas la plupart du temps dans l’Église, avec un cahier des charges exigeant et en choisissant, a minima, des artistes dont la vision du monde est chrétienne et qui ne se prennent pas pour des petits dieux créateurs. 

Pierre Henri-Rousseau
Après trois ans de noviciat au monastère du Barroux, où il a appris « à l’école de saint Benoît le lien entre le monde spirituel et le monde sensible, charnel », Pierre Henri-Rousseau est devenu peintre d’art sacré et travaille pour des écoles, des paroisses et des particuliers. 
https://lestoilesdumatin.fr/

Journée Fra Angelico
La Journée Fra Angelico aura lieu le 8 février à l’église Saint-Roch, à Paris. L’objectif premier est de faire connaître Fra Angelico – béatifié en 1982 par Jean-Paul II – aux artistes, pour susciter une dévotion à leur saint patron. Le deuxième est d’offrir aux artistes les richesses de l’Église concernant l’art. Le troisième, de créer une amitié entre les artistes catholiques, autour du Christ. Au programme : conférences sur l’identité de l’artiste chrétien, du Père Pascal Fagniez, et sur Fra Angelico, de Laurent Dandrieu, écrivain et journaliste. Déjeuner amical. Messe de Fra Angelico, célébrée par Mgr Éric Aumônier.