Dieu est-il trop beau pour être vrai ? - France Catholique
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Le trésor des psaumes
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Dieu est-il trop beau pour être vrai ?

Certains rejettent la foi au motif qu’elle nous réconforte. Est-ce une argumentation pertinente ?
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© Fred de Noyelle / Godong

Dans L’Esprit de l’athéisme (2006), le philosophe André Comte-Sponville soutient qu’un des motifs de son athéisme est précisément qu’il aimerait croire : « C’est justement parce que je préférerais que Dieu existe que j’ai de fortes raisons de douter de son existence. » Avoir très envie que Dieu nous comble rendrait suspecte la croyance en Dieu… Les chrétiens seraient comme une jeune fille pauvre rêvant d’épouser un milliardaire : ils possèdent une foi d’autant plus douteuse qu’elle coïncide avec leurs désirs secrets. « Il serait certes très beau, écrivait Freud, qu’il y eût un Dieu créateur du monde et une Providence pleine de bonté, un ordre moral de l’univers et une vie après la mort, mais il est cependant très curieux que tout cela soit exactement ce que nous pourrions nous souhaiter à nous-mêmes. » Comte-Sponville en conclut : « Dieu est trop désirable pour être vrai ; la religion trop réconfortante pour être crédible. » Quelle habile façon de critiquer la foi tout en passant pour lucide et courageux !

« Les maîtres du soupçon »

Cette manière d’argumenter fait songer à ceux que Paul Ricœur appelait « les maîtres du soupçon » : Marx, Nietzsche et Freud. Ces trois auteurs, en effet, partagent cette tendance à chercher les mobiles secrets qui se cachent derrière nos croyances ou nos actions. Au lieu de s’intéresser au contenu – objectif – des discours, d’examiner s’ils sont vrais ou faux, il s’agit pour eux de débusquer ce qu’ils révèlent de nos désirs – subjectifs – ou de notre position sociale. Aujourd’hui, ce procédé nous est devenu familier. Si quelqu’un soulève des questions pertinentes sur l’islam ou le mariage homosexuel, plutôt que de répondre sur le fond, on dira qu’il est islamophobe ou homophobe. L’argumentation, même solide, sera réduite à un moyen habile de déguiser un dégoût irrationnel et malsain. Dans cette perspective, tout discours rationnel n’est que le masque d’une crainte pathologique ou d’une position de pouvoir. Appliquée au christianisme, cette méthode consiste non pas à se demander si le christianisme dit vrai ou non, mais à s’attaquer aux intérêts qu’il y a à croire : se rassurer, obéir à un conformisme social, ne pas se poser de questions, etc.

Néanmoins, ce procédé passe à côté de son objet pour plusieurs raisons. Tout d’abord la foi est tout sauf un confort. Quand on veut vraiment vivre de la foi, quand il s’agit de prendre sa croix pour suivre le Christ, les masques tombent. Penser la foi en termes de confort moral ou intellectuel, c’est ne rien connaître à la foi.
Deuxièmement, une conviction peut être vraie, même si elle est adoptée pour de mauvaises raisons. Je peux être persuadé que telle personne est coupable parce que je n’aime pas sa tête… Cette raison n’est pas solide, mais ça ne veut pas dire que j’ai tort. De même, je peux croire en Dieu parce que ça me rassure, ça ne veut pas dire que Dieu n’existe pas. Le fait qu’une idée me plaise ou non ne la rend pas réelle ou irréelle.

L’arroseur arrosé

Enfin et surtout, la grande faiblesse de ce type d’attaques envers le christianisme est qu’elles peuvent se retourner contre leurs auteurs. Car on peut rejeter la divinité du Christ pour des motifs irrationnels. Le philosophe américain athée Thomas Nagel – né en 1937 – confesse ne pas pouvoir aborder la question de l’existence de Dieu de façon détachée : « Je parle de la peur de la religion elle-même. Je parle d’expérience, étant moi-même fortement sujet à cette peur : je veux que l’athéisme soit vrai. […] J’espère qu’il n’y a pas de Dieu ! »

Le philosophe thomiste Peter Kreeft recense sept motifs, souvent invoqués, parfois tus, de refuser la foi :

1- Le comportement contestable de certains chrétiens revendiqués. Souvent, ce que les gens rejettent, ce n’est pas le Christ, mais des chrétiens à l’attitude parfois… peu chrétienne.

2- La peur de l’Église et de la cohérence de ses enseignements.

3- Les exigences d’ordre moral qui découlent de la foi. « Admettre la nature divine de Jésus, c’est reconnaître son autorité absolue sur votre vie, y compris votre vie privée, y compris votre vie sexuelle… », souligne Kreeft.

4- Le caractère mystérieux et incontrôlable de la réalité surnaturelle. Si Dieu a commis cette folie, cette chose si étrange de s’incarner, alors toutes nos habitudes intellectuelles, toutes ces catégories confortables, nos certitudes pseudo-rationnelles, peuvent éclater.

5- L’orgueil. Le refus d’abandonner les rênes de sa vie.

6- Le conformisme. Se convertir au catholicisme n’est pas très à la mode. Le souci du regard des autres et le conformisme poussent à demeurer dans un doute mondain et prudent. Pour les musulmans, ce pourrait être la crainte d’être exclus d’une communauté.

7- Le relativisme et l’égalitarisme. L’idée qu’une religion puisse être vraie, plus qu’une autre, heurte de plein fouet la sensibilité contemporaine. Dans le film où il décrit son attirance pour le catholicisme, l’humoriste Gad Elmaleh fait une confidence révélatrice. Il confesse être « bloqué » dans son cheminement par la prétention exorbitante du Christ d’être « le chemin, la vérité et la vie ». L’idée d’une vérité unique à laquelle il faut adhérer en paralyse plus d’un.

Or, aucun motif de cette liste non exhaustive n’est rationnel. Ils sont d’ordre psychologique, affectif ou spirituel. Mais ce sont parfois des obstacles décisifs à une conversion sincère. L’argument de Comte-Sponville n’est donc en réalité pas très solide. Il peut néanmoins servir à ce que Simone Weil appelait « l’athéisme purificateur », c’est-à-dire ici à l’examen honnête de nos raisons de croire. Notre foi est-elle fondée sur l’amour du vrai et du bien ou sur le conformisme et la tranquillité ?