Aujourd’hui, lendemain de Noël, l’Eglise célèbre la fête de Saint Etienne, le « proto-martyr », ce qui signifie à la fois qu’il est le premier dans le temps et qu’il sert d’exemple pour nous tous. On pourrait se demander, mais pourquoi ? Nous sommes dans l’octave de Noël après tout. Qu’est-ce que le martyre d’Etienne a de commun avec la naissance du Christ ?
L’office des lectures de ce jour contient un sermon d’un évêque du 6e siècle, Saint Fulgence, qui explique pourquoi. Fulgence est l’un de ces saints peu connus dont on est ébahi par ce qu’on apprend de lui (mais tous les saints sont ainsi.) Est-il possible qu’un tel homme ait vécu ?
On lu a enseigné le grec avant le latin, si bien qu’il le parlait couramment. Enfant, il a mémorisé l’Iliade et l’Odyssée en entier. Il s’est tourné vers la vie monastique après avoir découvert le commentaire d’Augustin sur le psaume 36. Il a passé sa vie adulte à chercher (avec prudence) une règle de vie plus austère et plus stricte tout en souffrant persécution et exil de la part des ariens.
Il était si révéré pour son enseignement et sa sainteté qu’un jour où il s’était présenté dans un monastère, l’abbé avait résilié sa charge et déclaré que Fulgence méritait d’être abbé à sa place. Ou lorsque des vents contraires avaient empêché son bateau de quitter le port quand il était envoyé en exil, des milliers avaient appris la nouvelle et s’étaient rassemblés pour l’entendre prêcher et recevoir la communion de ses mains.
Le sermon commence ainsi : « Hier nous célébrions la naissance dans notre temps de notre Roi éternel. Aujourd’hui nous célébrons la souffrance triomphante de son soldat » ce qui est intéressant – en nous montrant que déjà au sixième siècle, les deux fêtes étaient juxtaposées.
Fulgence dévoile trois connexions entre les deux fêtes. La première est la connexion entre la vie et la mort. Pour un chrétien, la mort est la naissance à la vie éternelle, comme cela est reflété dans l’expression « Dies natalis » (jour de naissance) pour marquer la date de trépas de l’un des fidèles.
Nous voulons imiter le Christ. Comme Nicodème le fait remarquer, nous ne pouvons pas retourner en arrière pour naître à nouveau, afin de l’imiter à Noël. Mais nous pouvons l’imiter en mourant. « Hier », nous dit le saint, « notre roi, revêtu d’un d’un vêtement de chair a quitté sa place dans le ventre de la vierge et a aimablement rendu visite au monde. Aujourd’hui, son soldat a quitté le tabernacle de son corps et est entré triomphalement dans les cieux. »
Donc, chrétien, le lendemain de Noël, réfléchis à ta mort et demande la grâce de mourir dans la même joie que celle que tu as partagée au matin de Noël, en imitation du Christ enfant.
La deuxième connexion qu’il dessine, déjà évidente dans les deux citations, est entre le Christ, né Roi, et Etienne, son soldat. C’est extrêmement intéressant. Nous parlons de « Royaume de Dieu », dans lequel Dieu règne comme Roi.
Mais « Roi » est un terme qui découle d’autre chose. Comment nous référons-nous à ceux qui sont « sous » le Roi ? Sont-ils des « citoyens » dans ce Royaume, ou ses « serviteurs » ? Fulgence pense à eux comme à des soldats, probablement sur la base qu’il est demandé aux sujets d’un Royaume de montrer la plus parfaite loyauté jusqu’à donner leur vie, ce que font précisément les soldats.
La Bonne Nouvelle de l’arrivée du Royaume est par conséquent également la nouvelle que nous avons été enrôlés comme soldats. La vie de Fulgence a montré une véritable compréhension de la demande de combat spirituel. Il tient justement le martyre comme l’expression la plus complète et la plus claire de la loyauté du chrétien envers son Roi.
Il est dit que l’encens apporté par les Mages préfigure la Passion et la Mort du Seigneur, mais par le même symbolisme il préfigure le martyre – « rouge », « blanc » ou inaperçu – auquel nous sommes appelés.
Mais dans son sermon, Fulgence consacre la plus grande partie de son attention à une troisième connexion : la charité. La charité qui a conduit le Seigneur sur la terre est la même que celle qui a conduit Etienne au ciel :
Il a apporté un grand don à ses soldats, qui non seulement les a enrichi mais les a également rendu invulnérables dans la bataille, car c’était le don de l’amour, qui allait conduire les hommes à partager sa divinité. Il a donné de son abondance, sans pourtant aucune perte pour lui-même. D’une façon merveilleuse, il a changé en richesse la pauvreté de ses disciples tout en restant en pleine possession de ses propres inépuisables richesses. Et ainsi, l’amour qui a amené le Christ du ciel sur la terre a élevé Etienne de la terre vers le ciel.
Cette pensée procure une interprétation fascinante des cadeaux de Noël. Ce n’est pas pour « célébrer » le jour, ou même pour donner des cadeaux aux autres dans le but d’en donner au Christ enfant. A la place, l’explosion de cadeaux le jour de Noël se révèle comme l’effet d’une cause. Nous sommes censés voir l’amour divin dans ses effets – pendant que dans le même temps, par le don de cadeaux, nous sommes censés nous conduire mutuellement vers le ciel.
Le martyre d’Etienne l’a fait de façon exemplaire. L’amour est une force unitive, de façon frappante, entre lui et Saul : « L’amour était l’arme d’Etienne, grâce à laquelle il a gagné toutes les batailles et ainsi obtenu la couronne signifiée par son nom [stephanos veut dire couronne en grec].
Son amour de Dieu le préserve de céder à la foule féroce ; son amour du prochain le fait prier pour ceux qui le lapident… Fortifié par la puissance de son amour, il surmonte la sauvage cruauté de Saul et gagne son persécuteur sur terre comme compagnon dans le ciel… Maintenant enfin, Paul se réjouit avec Etienne, avec Etienne il fait ses délices de la gloire du Christ, avec Etienne il loue, avec Etienne il règne… Cela, assurément, est la vraie vie, mes frères, une vie dans laquelle Paul ne ressent aucune honte en raison de la mort d’Etienne, et où Etienne se réjouit de la compagnie de Paul, car l’amour les remplit tous deux de joie.
Ce qui mène à la prière de conclusion du saint : « mes frères, le Christ a fait de l’amour l’escalier qui permettra à tout chrétien de monter au ciel. Veillez-y attentivement, donc, en toute sincérité, et donnez-vous en les uns aux autres des témoignages, et par vos progrès en amour, faites votre ascension ensemble. »
Michael Pakaluk, érudit aristotélicien et ordinaire de l’Académie Pontificale Saint Thomas d’Aquin, est professeur à l’école d’économie et de commerce de l’Université Catholique d’Amérique. Il vit à Hyatsville (Maryland) avec son épouse Catherine, également professeur dans le même établissement, et leurs huit enfants.
Illustration : « La lapidation d’Etienne » par Pietro da Cortona, vers 1660 [musée de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg]
Source : https://www.thecatholicthing.org/2018/12/26/dies-natalis/
Pour aller plus loin :
- La France et le cœur de Jésus et Marie
- Liste des ouvriers pastoraux, Evêques, Prêtres, Religieux, Religieuses et Laics tués en 2011 et 2010
- Vladimir Ghika : le contexte politique avant la guerre de 1914-1918
- Le défi du développement des peuples et le pacte de Marrakech - la fuite en avant des Nations Unies
- Jean-Paul Hyvernat