Que se passera-t-il au moment de notre mort, pourrons-nous choisir Dieu et son salut, si on ne l’a pas encore fait ?
Père Philippe-Marie Margelidon, op : Au moment de la mort clinique – arrêt du cœur et encéphalogramme plat – l’âme est séparée du corps et continue seule à vivre. À cet instant précis, elle est fixée dans les choix qu’elle a posés pendant sa vie, jusqu’à ce dernier instant où elle n’a plus la liberté de choisir pour ou contre Dieu. Elle paraît alors face à lui pour le jugement particulier. Une – fausse – doctrine circule depuis les années 1950, sur un soi-disant choix « en pleine connaissance de cause », qui serait donné à l’âme juste après la mort, dans une sorte de « dialogue » post-mortem avec Dieu, de dernière chance… C’est la fameuse « option finale ». En réalité, ce n’est pas du tout comme cela que les choses vont se passer : le temps du choix et de la conversion est uniquement celui de la vie sur terre. À partir de l’instant de la mort, nous sommes fixés dans les choix que nous avons faits pendant notre vie, nous n’avons plus de liberté. Nous recevons alors la récompense – ou la sanction – de ce que nous avons fait durant notre vie, selon nos mérites ou démérites : paradis ou purgatoire – en attendant de pouvoir aller au paradis – ou enfer éternel. L’enjeu est immense et bien réel : dans le canon numéro 1 de la messe, le prêtre demande à Dieu : « Arrache-nous à la damnation éternelle. »
Comment va se passer ce jugement particulier ?
Dieu lui-même, par une illumination de l’âme, va porter un jugement discriminateur pour évaluer la vérité de notre foi – explicite ou implicite – et la qualité de nos actes sur la terre. Au terme de ce jugement, soit l’âme est jugée digne d’aller au Ciel, soit elle porte encore trop de scories du mal et va au purgatoire. Sinon, c’est la « seconde mort » (Ap 20, 14) : l’enfer éternel.
De quelle manière Dieu nous jugera-t-il ?
Le jugement de Dieu est guidé à la fois par sa miséricorde et sa justice. La justice, c’est rendre à chacun ce qu’on lui doit, ce qui lui revient, en fonction de ses actes bons ou mauvais, comme le fait la justice humaine mais de manière infaillible car la justice divine connaît parfaitement la vérité du cœur des hommes. Elle sait bien aussi ce en quoi ils ne sont pas responsables, les circonstances atténuantes de leur incapacité d’accueillir l’amour divin… La justice ne s’oppose donc pas à la miséricorde. Saint Thomas d’Aquin rappelle même que celle-ci est première : avant d’être juge, Dieu est avant tout miséricorde. Mais celle-ci ne s’exerce pas sans justice. On peut donc dire que sa justice est miséricordieuse ou que sa miséricorde est juste. Mais elle est donnée au-delà de la justice, car Dieu donne beaucoup plus : son amour est surabondant.
Est-ce l’âme qui choisit d’aller en enfer ou est-ce Dieu qui l’y envoie pour la punir ?
C’est la personne elle-même qui, par son refus volontaire de Dieu pendant sa vie terrestre, s’auto-exclut du Royaume, de la vie divine, de l’amour divin… Dieu pose alors sur elle un jugement de rétribution, qui consiste à rendre à chacun selon ses mérites ou ses démérites. Dieu récompense les justes et punit les pécheurs, en les excluant du Royaume, par la peine du dam – la séparation définitive et éternelle avec Dieu – qui résulte du choix, en mal, de la personne.
Si l’enfer existe, sommes-nous certains qu’il y a des gens dedans ?
Croire que l’enfer est vide, et ne serait utilisé par Dieu que pour nous exhorter à la conversion, est une idée moderne, mais qui ne repose sur rien : c’est une doctrine fausse que l’Église condamne également. Nous ne savons pas combien de personnes, ni qui s’y trouve. Mais nous avons de nombreuses attestations dans l’Écriture, les prophètes, l’Église, les saints et des apparitions – comme celles de Fatima –, affirmant qu’il y a des âmes en enfer… C’est un avertissement très sérieux de la part de Dieu.
Dieu ne peut-il pas empêcher les âmes de se perdre ?
Dieu n’impose pas sa miséricorde : il ne peut l’offrir qu’à celui qui désire la recevoir et se convertir. Si une âme la rejette, en refusant de se convertir, il ne peut que la rejeter en retour, pour respecter sa liberté : il ne peut pas lui imposer de passer l’éternité avec lui… Le problème ne vient donc pas de Dieu, qui serait justicier et dur, mais de ceux qui ont le cœur dur et se sont fermés jusqu’au bout à sa grâce – c’est ce qu’on appelle l’impénitence finale –, pour lesquels la miséricorde n’arrive pas à s’exercer… La racine du problème est donc dans le cœur de l’homme, pas dans celui de Dieu. Dieu est juste parce qu’il rend à chacun ce qui lui est dû : ce n’est pas de la dureté. Les âmes enfermées dans le péché mortel en subiront la peine : l’enfer éternel. Puisque c’est l’amour de Dieu qui sauve, celui qui le refuse ne peut être sauvé. Il ne restera alors que la justice, qui rend à chacun ce qui lui est dû, selon ses œuvres… C’est la foi de l’Église.
Comment savoir qui sera sauvé ou damné ?
Nul ne peut le savoir car nous ne mesurons pas le degré de liberté et de responsabilité de chacun, dans les actes bons comme dans les actes mauvais. La seule certitude que nous ayons c’est que les saints sont au Ciel. Pour les autres, nous n’en savons rien. Dieu seul peut juger une âme avec vérité et amour. Ce dont nous sommes sûrs, c’est qu’il veut que tous les hommes soient sauvés donc il va prendre tous les moyens pour nous offrir son salut et nous permettre de l’accepter, jusqu’à notre dernier souffle. Mais ceux qui s’obstinent à le refuser ne pourront être sauvés… Avant, on pensait qu’il y avait peu de sauvés : c’était la prédestination restreinte.
À l’inverse, depuis quelques décennies, nous sommes passés à une conception démocratique et égalitaire : c’est le salut de tous et pour tous ! Les deux sont fausses.
Que penser des « ouvriers de la onzième heure » et du bon larron, sauvés in extremis ?
Ils sont la preuve que la mesure du jugement divin n’est pas la nôtre ! Nous ne pouvons juger à la place de Dieu, pour mettre les gens en enfer ou au paradis – comme on le fait trop souvent lors des enterrements… Ils nous montrent aussi que nous pouvons espérer le salut pour le plus grand nombre car, si Dieu a donné sa vie pour nous, c’est pour que cela aboutisse ! Mais, encore une fois, ne croyons pas qu’il soit acquis.
Une thèse n’affirme-t-elle pas que nous serons tous sauvés à la fin des temps ?
Certains pensent, en effet, que Dieu fera un « coup de force », un putsch, à la fin du monde : c’est la doctrine de l’apocatastase, selon laquelle Dieu rétablira toutes choses à la fin, forçant les âmes à rentrer dans son amour, qu’elles avaient pourtant refusé… L’Église a clairement condamné cette doctrine – au concile de Constantinople II, en 553 – car ce n’est pas ce qui nous est enseigné dans la Sainte Écriture. Cela va contre la liberté que Dieu nous donne : puisqu’il nous aime, il prend très au sérieux notre liberté et ne peut nous forcer à l’aimer…
La véritable miséricorde suppose-t-elle la conscience de nos péchés ?
Par amour, Dieu vient au secours de notre misère. Mais il nous demande, en retour, de quitter le péché et de faire pénitence, comme Jésus ne cesse de nous y exhorter dans l’Évangile. C’est ce qu’on appelle les « paroles dures » de Jésus. Ainsi, à la femme adultère, Jésus demande de ne plus pécher, saint Pierre pleure sur sa trahison, le bon larron reconnaît son péché, etc. C’est tout le sens du Carême. Celui qui pense qu’il n’a rien à se reprocher devrait s’inquiéter pour lui-même… La justice est liée aussi à la crainte de Dieu : celui qui n’éprouve pas de crainte devant le jugement du Créateur, qui ne craint rien, se met en grave danger…
Est-ce la justice de Dieu qui nous sauve ?
En effet, le premier aspect de la justice divine est qu’elle est justifiante : elle fait de nous des saints, elle nous sauve. Nous méritions l’enfer, car nous étions coupés de Dieu par le péché originel, mais Dieu est venu nous sauver, nous réouvrir les portes du Ciel, par pure grâce. La justice divine est donc une très bonne nouvelle. Et, en ce sens, elle rejoint la miséricorde : Dieu nous fait grâce bien au-delà de ce que nous méritons. C’est ce qu’accomplit et nous montre la mort du Christ sur la Croix. Son Église est ministre des grâces : c’est par elle, par les sacrements qu’elle nous distribue, que Dieu nous communique le salut. Elle ne cesse d’appeler les hommes à la conversion pour les conduire au Ciel. Le prêtre, le mercredi des Cendres, nous l’a rappelé : « Convertissez-vous et croyez à l’Évangile ! »
Le deuxième aspect est que la justice divine est rétributive : Dieu nous jugera et nous rendra selon ce que nous aurons fait de ses dons. C’est aussi une bonne nouvelle, car cela signifie que le jugement de Dieu n’est pas arbitraire : il donne à chacun de quoi parvenir au salut et tiendra compte de la vérité et des circonstances atténuantes de notre histoire. Mais nous sommes libres de nous soustraire à ses dons. Ceux qui se perdent se perdront par leur faute. C’est l’endurcissement du cœur qui mène en enfer.
Cela nous engage-t-il à prier pour les pécheurs ?
Oui, nous devons prier et poser des actes de charité et de pénitence, pour notre propre conversion et pour celle des pécheurs et des incrédules. On ne le fait pas assez malheureusement. Nous sommes responsables les uns des autres, dans la communion des saints. Mais faisons tout ce que nous pouvons pour eux en laissant Dieu faire le reste : nous avons une obligation de moyens, pas de résultats. Notre prière pour les pécheurs s’appuie d’abord et avant tout sur la confiance en la miséricorde infinie de Dieu.
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À paraître : Fins dernières, eschatologie, avec Thomas d’Aquin, Philippe-Marie Margelidon o.p., éditions Saint-Léger, 2025 (à paraître).