Vous avez eu l’audace d’inviter le pape. Qu’en attendez-vous pour l’Église en Corse ?
Mgr François Bustillo : Je ne sais pas s’il faut parler d’audace, ou davantage de la volonté du pape François, un homme libre dans ses choix, de poursuivre son pèlerinage en Méditerranée, berceau de civilisations, mais traversée par tant de conflits, et par la tragédie des migrants, une mer au cœur de ses préoccupations. Le Saint-Père a déjà visité la Sardaigne, la Sicile, Lampedusa, Lesbos. La Corse s’inscrit naturellement sur ce chemin. Aucun pape, avant lui, n’a foulé le sol d’une terre chrétienne depuis deux mille ans, où la piété populaire qui a motivé sa venue s’exprime avec force et puissance. C’est un moment historique, une page de l’histoire de la Corse et des Corses qui s’écrit.
Il y a un avant, celui de la préparation qui mobilise ici toutes les énergies, toutes les institutions, le sacré et le laïque, comme un symbole de la piété populaire. Un pendant : ce sera le 15 décembre et nous nous y préparons avec joie, dans la prière. Un après, car la venue du pape François fera ici mémoire pour l’Église de Corse, pour les Corses, ce petit peuple, grand par la Foi et les valeurs chrétiennes qu’il manifeste, ce peuple des périphéries, thème au centre du pontificat de François.
Le message du pape sera-t-il également à entendre pour toute la France ?
Nous savons la portée des messages du pape François. Chacun a en mémoire son appel aux puissants de ce monde lancé depuis Marseille pour qu’ils changent le sort funeste des migrants, pour que la Méditerranée redevienne ce laboratoire de paix entre les peuples et les religions. Le message qu’il adressera depuis Ajaccio parlera aux Corses, à toute la France et, aussi, au monde. C’est la portée universelle de la prière de l’Angélus qu’il prononcera dans la cathédrale Santa Maria Assunta devant le clergé, mais aussi à la ville et au monde, Urbi et Orbi. Du discours qui viendra en conclusion du colloque sur la religiosité populaire en Méditerranée. De l’homélie enfin, qui sera l’un des temps forts de la Sainte-Messe au Casone.
Quelle est la spécificité de la piété populaire en Corse ?
La piété populaire en Corse s’exprime sous de nombreux visages :
- La dévotion aux saints, souvent des saints martyrs qui ont marqué les premiers siècles de la christianisation de l’île. Sainte Julie et sainte Restitude sont ainsi les saintes patronnes de la Corse, sainte Dévote qui nous unit à la Principauté de Monaco occupant une place à part.
- Le culte marial : les Corses et la Vierge Marie entretiennent en effet une belle et longue histoire de dévotion.
- La Semaine sainte, au cours de laquelle les Corses se retrouvent sur les chemins de Croix tracés à travers l’île. Le Catenacciu de Sartène, l’Incatenatu de Bisinchi, les processions de Bonifacio constituent les manifestations qui ont traversé les siècles.
- Le Culte des morts, encore, où les traditions dans les familles, mêlant le religieux et le païen parfois, sont immuables.
Cette piété populaire a même son incarnation : les confréries, qui perpétuent les traditions, accompagnent les prêtres et les familles. Elles sont plus de 80 et connaissent un renouveau dans l’île, assurant la transmission entre les générations.
Quel rôle joue Marie dans l’évangélisation de la Corse ?
La Vierge Marie est vénérée dans l’île depuis le IVe siècle. Plus d’une centaine de cathédrales, d’églises, de chapelles lui sont consacrées. A Madunnuccia, devant laquelle le pape François priera à Ajaccio, A Santa di u Niolu à Casamaccioli, les sanctuaires de Pancheraccia et de Lavasina : Marie est pour les Corses Mère miséricordieuse, protectrice, Mère de toutes les intercessions avec le Ciel. Elle est Reine de la Corse, posée sur ce trône symbolique par la Consulte d’Orezza en 1735, signe encore du sacré présent dans l’espace public. Vénérée de tous, au point que l’hymne national des Corses, le Dio vi salvi Regina, un chant religieux, lui est dédié.
Comment comptez-vous vous appuyer sur la piété populaire comme outil de conversion ?
Le plus naturellement du monde. Les Corses peuplent les églises lors de ces manifestations de piété populaire. Non pas portés par un élan païen, mais par un souffle de ferveur, de foi, de spiritualité qui transcende les êtres dans la simplicité et qu’il faut avoir ressenti une fois au moins, dans sa vie de continental et de catholique. Il est ce moment où le sacré descend dans l’espace public et touche tous les individus.
La « méthode » franciscaine est-elle un modèle d’évangélisation ?
Les pierres portent la trace de 2000 ans de christianisation. Elles jalonneront le parcours du Saint-Père à Ajaccio, la première halte se faisant devant le baptistère Saint-Jean, du Ve siècle. L’eau symbolisera ce lien qui unit l’Église de Corse à son peuple. Après tant d’autres, dans une lignée ininterrompue, les franciscains ont parachevé cette œuvre à partir du XVe siècle avec les valeurs qui fondent notre ordre. L’évêque, le franciscain que je suis, poursuit en quelque sorte cette mission, en communion avec son peuple.
Pour aller plus loin :
- Le défi du développement des peuples et le pacte de Marrakech - la fuite en avant des Nations Unies
- LE MINISTERE DE MGR GHIKA EN ROUMANIE (1940 – 1954)
- Quand le virtuel se rebelle contre le réel, l’irrationnel détruit l’humanité
- Vladimir Ghika : le contexte politique avant la guerre de 1914-1918
- JOUJOUX DE L’ESPACE OU IRRUPTION DE LA VIE ?