Le 31 juillet 2023, les cloches de l’église de La Baconnière, en Mayenne, sonnent pour la dernière fois. Sous l’œil traumatisé des villageois, l’édifice est démoli, faute de fonds pour sa rénovation. Plus récemment, c’est une église de Lens (Pas-de-Calais) qui est mise en vente sur Le Bon Coin, l’annonce encourageant le futur propriétaire à « laisser libre cours à son imagination pour ce bien très rare à la vente »…
En 2022, un rapport du Sénat sonnait l’alarme : entre 2 500 et 5 000 églises pourraient disparaître d’ici à 2030. « La situation de dérive est devant nous », confirmait Bertrand de Feydeau, vice-président de la Fondation du Patrimoine, lors d’un colloque sur le patrimoine religieux en Vendée. Comment enrayer cette inquiétante tendance ? Les sénateurs préconisaient dans leur rapport de « développer les usages partagés des édifices cultuels » et de les « faire renaître en véritables maisons communes ». Le débat concerne les églises délaissées par les fidèles. L’abbé Bertrand Chevalier en pose clairement les termes : « Une église qui est fermée, où les chrétiens ne vont plus, s’abîmera sans que personne ne s’en aperçoive. Pour une église qui est utilisée régulièrement, la question ne se posera jamais », résume le responsable de la Commission diocésaine d’art sacré (CDAS) du Maine-et-Loire.
À la charge des communes
Depuis la loi de 1905, la plupart des églises sont la propriété des communes. « Si les églises se portent mal, c’est que, sauf exception, elles n’ont pas été entretenues sérieusement depuis cette date, affirme Jean-Michel Leniau, historien de l’art et ancien directeur de l’École nationale des chartes. L’entretien a été rangé par le législateur parmi les dépenses facultatives des communes. Elles n’y sont donc pas incitées sérieusement. » Et le haut fonctionnaire de s’étonner : « La jurisprudence du Conseil d’État a pourtant qualifié ces églises de patrimoine de la commune. Pourquoi n’a-t-on pas choisi de mieux inciter les municipalités à cet entretien ? »
La ministre de la Culture, Rachida Dati, a proposé l’an dernier que les touristes paient l’accès à Notre-Dame de Paris, environ 5 euros, les fonds perçus allant à « un grand plan de sauvegarde du patrimoine religieux ». Une idée rapidement rejetée par le diocèse de Paris, l’archevêché tenant au principe de « gratuité du droit d’entrée dans les églises ».
Vaut-il mieux raser nos églises pour éviter qu’elles soient détournées de leur usage ou réfléchir à un usage compatible avec leur vocation cultuelle ? Pour l’abbé Chevalier, « l’enjeu est difficile, nous ne voulons pas la destruction des églises. Comment entendre la difficulté des municipalités pour éviter qu’elles ne prennent des arrêtés de péril et ferment les églises en attendant qu’elles s’écroulent avant de les raser ? » L’église de La Tourlandry (Maine-et-Loire), qui a brûlé en 2010, a été reconstruite par la municipalité. Une convention a été signée avec le diocèse pour distinguer deux espaces, l’un réservé au culte, l’autre à un usage culturel : le narthex, qui accueille une salle de réunion et une bibliothèque. Le prêtre insiste sur le caractère réversible de ces opérations : « Si demain les communautés chrétiennes sont entièrement renouvelées et qu’il y a une évangélisation tambour battant, alors ces parties-là pourront revenir à l’usage cultuel. »
« Une église, c’est une église ! »
Mais peut-on se satisfaire de tels accommodements ? L’abbé Antoine Nouwavi, curé des Sables-d’Olonne (Vendée), est farouchement opposé à cette idée : « Je ne laisserai jamais faire cela ! Une église, c’est une église », insiste-t-il – sans exclure que « les gens puissent, par exemple, s’y rassembler en cas de deuil. Aujourd’hui, quand il y a un drame, on fait une marche blanche. Cela ne veut rien dire. Les églises peuvent servir à cela : ce sont des lieux où l’on se réunit, et où l’on fait silence. »
L’abbé Matthieu Raffray, de l’Institut du Bon-Pasteur, est sur la même ligne : « Une église ne peut pas être utilisée pour autre chose que ce pour quoi elle a été bâtie, c’est-à-dire un usage sacré. » Il estime même qu’« il vaut mieux que les églises soient détruites plutôt que profanées. Et, au besoin, les reconstruire plus tard ».
À Château-Guibert (Vendée), l’église Notre-Dame de la Nativité est fermée depuis 2018 pour des raisons de sécurité. Tout en préservant son usage religieux, la mairie souhaite en faire un lieu d’art contemporain. Elle a fait appel au plasticien Fabrice Hyber, natif de la commune, et membre de l’Académie des beaux-arts, afin de créer une fresque géante. Responsable de la commission d’art sacré du diocèse de Luçon, l’abbé Renaud Bertrand reste vigilant, notamment sur l’aménagement du chœur. Il souligne qu’il est difficile de rendre ce projet de création artistique compatible avec la vocation première de l’église, lieu de la célébration de la Sainte Messe, mémorial du sacrifice du Christ. L’évêque, Mgr François Jacolin, rappelle, lui, qu’il faut préserver l’identité de nos églises, signes visibles de la présence de Dieu dans notre monde. La mairie bénéficie du soutien de la Fondation du Patrimoine et de subventions de la région et du département – preuve qu’en combinant les financements des collectivités et de l’État, « on sait parfaitement monter des plans de financements, à condition de le vouloir », note Jean-Michel Leniaud. L’église de Château-Guibert restera-t-elle un lieu sacré ? Son avenir n’est pas encore scellé.
Ces débats et ces projets le prouvent : la tentation est grande d’affecter les édifices religieux à des usages profanes. L’abbé Matthieu Raffray dénonce, par exemple, « la profanation » que constitue l’exposition de femmes voilées dans la basilique Saint-Denis. « Sous prétexte d’utilité ou d’inutilité, on devrait rentabiliser les lieux. C’est une conception purement matérialiste, qui va à l’encontre du message chrétien. Une église, c’est un espace qui ne sert à rien… si ce n’est à Dieu ! »
« Au cas par cas »
Comment ne pas ouvrir la boîte de Pandore ? « C’est au cas par cas, répond l’abbé Chevalier. Cela ne veut pas dire qu’on y fera n’importe quoi. En tout état de cause, ce n’est pas la commune qui va décider seule », souligne-t-il. La réflexion doit associer le maire, le curé et le responsable de la CDAS pour « étudier l’état de l’église et les besoins de la communauté locale : est-ce une posture idéologique, politique, ou est-ce un vrai problème de finances ? » S’ensuit un dialogue au cours duquel « aucun usage partagé ne peut être imposé, car nous sommes affectataires exclusifs des églises. Ce qui serait en opposition avec le cultuel serait inimaginable. Il y a un protocole très particulier pour que ce soit parfaitement maîtrisé ».
Reste qu’il faut rester très attentif à l’évolution du droit. Jean-Michel Leniaud exhorte les fidèles à réagir : « La jurisprudence du Conseil d’État a tendance à restreindre de plus en plus l’étendue de l’affectation cultuelle d’une part, la limitant à une pratique collective avec le prêtre, et l’étendue topographique de cette affectation au sein du bâtiment d’autre part. Je suis très surpris que le Conseil d’État puisse unilatéralement décider ce qui est cultuel ou non. »
L’historien appelle à la plus grande vigilance : « Il faut traiter ces questions-là avec un professionnalisme juridique. L’appréciation de la compatibilité peut être subjective. Il importe donc qu’il y ait une coordination au sein des catholiques en France, pour définir une liste d’usages qui possèdent un caractère cultuel en marge de l’utilisation liturgique ; l’essentiel étant de conserver l’exclusivité cultuelle des bâtiments. » Jean-Michel Leniaud cite le cas d’un orgue qui se trouverait dans une église : « Cet orgue peut servir au conservatoire. On peut organiser des concerts, à condition que les concerts respectent la vocation du lieu. »
« Nous devons les transmettre »
Ces questions devraient inciter les catholiques à s’interroger sur leur responsabilité et leur capacité à s’engager pour défendre leurs clochers. « Nous aurions les finances, ce serait un non-sujet ! Tout le monde serait d’accord pour que l’église reste au milieu du village », glisse l’abbé Chevalier, invitant chacun à se mobiliser dans des associations de sauvegarde du patrimoine ou à faire des dons et du mécénat d’entreprises. Il suffit parfois de venir y passer un coup de balai et de fleurir nos églises, pour montrer aux maires qu’elles ne sont pas abandonnées. Et de se rappeler le conseil de Maurice Barrès : « Nos églises sont au premier rang de nos richesses de civilisation. Nous les avons reçues de nos aïeux, nous devons les transmettre à nos fils, nous n’avons pas à nous laisser étourdir par ceux qui les déclarent inutiles. »
Le patrimoine religieux en chiffres
40 068 édifices cultuels de propriété communale
2 145 édifices cultuels de propriété diocésaine
326 édifices cultuels communaux désaffectés entre 1905 et 2023
411 édifices cultuels diocésains désacralisés entre 1905 et 2023
1 678 édifices cultuels fermés (travaux, sécurité, mise en péril, inutilisation…)
72 édifices cultuels démolis depuis 2000
16 églises en cours de construction.
L’État est propriétaire de 87 cathédrales, ainsi que de la basilique Saint-Nazaire de Carcassonne et de l’église Saint-Julien de Tours.
Source : États généraux du patrimoine religieux, 2024.