« Citius, altius, fortius est une devise de génie » - France Catholique
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Marie dans le plan de Dieu
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« Citius, altius, fortius est une devise de génie »

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Le Père Henri Didon. © Archives de la Province dominicaine de France

« Citius, altius, fortius est une devise de génie »

Derrière la devise des Jeux olympiques se trouve un dominicain : le Père Henri Didon. Sa rencontre avec Pierre de Coubertin en 1891 le mit aux premières loges pour assister au retour des Jeux. Entretien avec Yvon Tranvouez, auteur de Plus vite, plus haut, plus fort (éd. du Cerf).
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Qui était le Père Didon, avant sa rencontre avec Pierre de Coubertin, l’homme qui relança les Jeux olympiques ?

Yvon Tranvouez : Il y a trois grandes phases dans la vie de ce dominicain. De 1865 à 1880, il est un prédicateur doué d’un grand talent oratoire, qui lui assure beaucoup de succès… mais aussi des épreuves. Entre 1880 et 1881, il est ainsi contraint à l’exil en Corse, à Corbara, à la suite de propos jugés excessifs par la hiérarchie ecclésiale. Il se consacre ensuite à la préparation de Jésus-Christ, une monumentale biographie de 1 000 pages qui paraît en 1890 et sera un grand succès de librairie dans les milieux catholiques.

C’est alors que débute la troisième et dernière phase de sa vie, lorsqu’il se retrouve, un peu par hasard, à la tête du collège catholique d’Arcueil, l’école Albert-le-Grand. Là, il trouve, comme il est de coutume dans les collèges dirigés par les dominicains, la pratique d’activités physiques pour les élèves. La nouveauté apportée par Père Didon dès 1891, sur la suggestion de Pierre de Coubertin, c’est la participation des élèves à des compétitions avec ceux des lycées publics. Car il y voit la possibilité d’utiliser le sport non seulement comme un élément d’éducation, mais aussi comme un élément du rapprochement des catholiques avec la République, le Père Didon étant lui-même un républicain convaincu.

Comment cela se passe-t-il ?

En 1891, le Père Didon a 50 ans et Coubertin seulement 28. Ce dernier, en tant que dirigeant de l’Union des sociétés françaises de sports athlétiques, essaie de développer les activités athlétiques en France, notamment dans les établissements scolaires. Le Père Didon crée l’Association athlétique Albert-le-Grand et lui donne des couleurs dominicaines, c’est-à-dire noires et blanches. Il lui donne également une devise : « citius, altius, fortius », c’est-à-dire « plus vite, plus haut, plus fort ».

Donnait-il un sens particulier à ce triptyque ?

Il ne faut pas chercher une dimension spirituelle. C’est tout simplement une devise de compétiteurs : courir plus vite, sauter plus haut et taper plus fort. Quoi qu’il en soit, lorsque Coubertin entend ces mots, il sait qu’il tient une formule résumant sa propre vision de l’athlétisme. En 1894, il reprend cette devise pour le premier congrès du Comité international olympique. Cette formule est un coup de génie : des tas de gens mêlés au début du mouvement olympique sont oubliés aujourd’hui, alors que grâce à ces trois mots, on se souvient du Père Didon !

La devise a changé au fil des années…

Effectivement : le premier bulletin du Comité international olympique change l’ordre des trois mots et indique « citius, fortius, altius ». Elle apparaît épisodiquement jusqu’en 1906, puis elle disparaît. Elle fait sa réapparition en 1916, dans l’ordre établi par le Père Didon : « citius, altius, fortius ». Elle restera la devise olympique jusqu’à ce qu’un quatrième terme fasse son apparition, en 2021 : communiter, que l’on traduit par « ensemble ».

Ce changement est-il dans l’esprit du Père Didon ?

J’ai tendance à penser que cela affaiblit la devise, en cassant son rythme ternaire. De plus, quand le Père Didon a conçu cette devise, il pensait à l’ensemble des sports, dont les individuels – il y avait par exemple beaucoup d’équitation et d’escrime dans son collège. Cela dit, il est vrai que le Père Didon voyait dans le sport à l’école un moyen de rassembler des élèves divisés et de faire cesser les coteries au cœur d’un établissement.

Sait-on comment le Père Didon accueille l’idée des Jeux olympiques ?

Positivement. Il se rend même avec des grands élèves d’Arcueil à Athènes pour les premiers Jeux, en 1896. Il y prend la parole dans la cathédrale catholique pour fêter cette reprise. Le Père Didon y voit la fermeture d’une parenthèse ouverte par l’empereur Théodose, qui avait aboli les Jeux olympiques en 393 à cause de leur paganisme. Le dominicain est heureux de voir que les chrétiens sont aussi partie prenante de cette renaissance des grandes compétitions sportives.

Quelle place occupera-t-il dans la tenue des Jeux ?

On le retrouve en 1897, lors du deuxième Congrès international olympique. Le Père Didon est choisi par Coubertin pour être un des orateurs principaux afin d’y développer la valeur morale et éducative de l’olympisme. Il devient en quelque sorte une ressource intellectuelle et théorique pour Coubertin. Didon développe d’abord l’idée selon laquelle le sport est un élément fondamental dans l’éducation et que, loin de s’opposer à la réussite intellectuelle, il ne peut que la favoriser. Ensuite, l’idée que le sport doit être moral : ni tricherie ni la moindre entorse aux règles de l’honneur ne sauraient être tolérées. Ces paroles sont à double sens, car elles laissent entendre qu’il existe des endroits où l’on triche, notamment en politique… Nous sommes alors juste après le scandale de Panama !

Comment expliquer le relatif silence autour de la figure du Père Didon ?

D’abord, je pense qu’il est une victime collatérale de l’image assez négative que l’on se fait aujourd’hui, bien injustement, de Pierre de Coubertin. Ensuite, il est reproché au Père Didon d’avoir été un « militariste » et un « antidreyfusard » notable. Mais la réalité est plus complexe. Ce qu’il lui a été reproché, notamment dans une tribune de Libération en 2000 lors des Jeux de Sydney, c’était un discours de 1898 où il avait, en pleine affaire Dreyfus, pris la défense de l’armée qu’il estimait injustement attaquée par les « intellectuels », disait-il, dans lesquels il incluait Zola. Il était donc apparu, objectivement, comme un porte-parole antidreyfusard. Mais Didon n’était ni antisémite – il n’y a aucune matière à discuter sur ce point – ni antirépublicain. C’était un patriote soucieux de défendre l’honneur de l’armée et qui s’inquiétait de sa déstabilisation provoquée par l’affaire Dreyfus. Mais la France était alors tellement clivée qu’il s’était vu étiqueté comme antidreyfusard. Il en fut très affecté. Cela peut expliquer le silence qui entoure, encore aujourd’hui, la mémoire du Père Didon.

Plus vite, plus haut, plus fort, Yvon Tranvouez, éd. du Cerf, 2024, 356 pages, 29 €.