Cimabue et la naissance de la peinture occidentale - France Catholique
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Le trésor des psaumes
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Cimabue et la naissance de la peinture occidentale

Image :
Maestà, après restauration, Cimabue, vers 1280, musée du Louvre, Paris. © C2RMF, Thomas Clot

Cimabue et la naissance de la peinture occidentale

Cimabue et la naissance de la peinture occidentale

Le musée du Louvre offre de redécouvrir Cimabue, le maître de la magistrale Maestà, tout imprégné de la spiritualité franciscaine.
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Dans Les Vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes (1550), Giorgio Vasari écrit de Cimabue que Dieu le destinait dès sa naissance à Florence, vers 1240, à « remettre en lumière l’art de la peinture », en un temps où « la race des artistes était complètement éteinte […]. Il fut en peu de temps si bien aidé par la nature qu’il surpassa de beaucoup, tant dans le dessin que dans le coloris, la manière des maîtres qui l’enseignaient ».

Mais Dante, qui fut son contemporain, ajoute dans La Divine Comédie que la gloire de Giotto allait rapidement obscurcir sa renommée. Cet oubli se prolongea longtemps : son nom demeurait connu mais l’on savait si peu de choses sur son œuvre que le premier tableau attribué à Cimabue qui entra au Louvre en 1802 était en réalité une Vierge à l’Enfant de l’atelier de Botticelli – peinte près de 200 ans après sa mort !

« Trésor national »

On mesure à cette anecdote l’importance de l’exposition que le musée du Louvre lui consacre, jusqu’au 12 mai : « Revoir Cimabue ». Exposition qui s’articule autour de deux chefs-d’œuvre, sa Maestà – c’est-à-dire une Vierge en majesté portant l’Enfant – et La Dérision du Christ – ou Le Christ moqué – dont l’histoire mérite d’être contée : découvert en 2019 chez un nonagénaire de Compiègne qui l’avait accroché dans sa cuisine, ce petit panneau de bois (environ 25 x 20 cm) faisait partie d’un tableau de dévotion peint vers 1285, aujourd’hui démantelé. Attribué à Cimabue par un expert qui le sauva ainsi du rebut, il fut d’abord adjugé 24 millions d’euros lors d’enchères à Senlis, avant d’être déclaré « Trésor national » et de rejoindre finalement les collections du Louvre…

La Dérision du Christ, après restauration, vers 1285, Cimabue. © GrandPalaisRmn (musée du Louvre), Gabriel de Carvalho



La Maestà restaurée

Mais, si La Dérision du Christ présente un grand intérêt pour l’histoire de l’art, c’est d’abord la Maestà, peinte pour l’église Saint-François de Pise, qui impressionne par ses proportions imposantes (427 × 280 cm) et par sa facture : sa récente restauration révèle la finesse du trait et la richesse des coloris, restituant son bleu profond au manteau de la Vierge qui paraissait presque vert sous les couches accumulées de vernis. Si l’on n’y prend garde, on dira que l’œuvre emprunte à l’art byzantin des icônes – l’Italie accueillait à cette époque de nombreux peintres venus d’Orient. Entourée d’anges aux ailes multicolores, la Vierge assise sur un trône se dessine sur un fond d’or. L’Enfant, sur ses genoux, bénit le spectateur d’un geste solennel.

Maestà, après restauration, Cimabue, vers 1280, musée du Louvre, Paris. © C2RMF, Thomas Clot

Pourtant, l’œuvre se distingue des représentations byzantines par son modelé, plus souple, et par l’attitude de la Vierge, plus naturelle – au point qu’on la présente parfois comme « l’acte de naissance de la peinture occidentale » : sous le pinceau de Cimabue, l’art italien s’affranchit pas à pas des conventions et de la rigueur byzantine. Ses sujets gagnent en humanité. La Vierge mais aussi le Christ. C’est l’époque – le XIIIe siècle – où l’on commence à représenter les souffrances du Christ en Croix, alors qu’il apparaissait auparavant surmontant son supplice et triomphant de la mort : au Christus triumphans succède alors le Christus dolens (cf. l’article de Marie-Gabrielle Leblanc, La Croix du Christ, fierté des chrétiens, FC n° 3807). Le grand crucifix de la basilique Santa Croce de Florence, réalisé vers 1280, illustre parfaitement ce changement. Cimabue peint un Christ souffrant, les yeux fermés, la tête retombant sur l’épaule, le corps arqué dans un spasme de douleur et s’affaissant sous l’effet de la gravité terrestre.

Crucifix, vers 1280, Cimabue, Santa Croce, Florence, Italie. © ismoon – cc BY-SA



Pourquoi cette évolution ? Pourquoi à ce moment-là de l’histoire de l’Église ? Ce crucifix devait orner le jubé d’une église franciscaine – Santa Croce – et la plupart des commandes adressées à Cimabue le furent par les franciscains : à Assise, il travailla notamment, vers 1290, à la décoration de la basilique Saint-François, réalisant dans la basilique supérieure des fresques malheureusement si abîmées aujourd’hui – la Passion et l’Apocalypse – qu’on croirait voir un film négatif… Cimabue se fait l’interprète en peinture de la spiritualité de saint François d’Assise, dont Renan dit un jour dans un raccourci saisissant : « Ce mendiant est le père de l’art italien. »

« Aiguillon d’amour »

Partout, les ordres mendiants – dont les dominicains font aussi partie – « apportent la parole bienfaisante, l’Évangile de tendresse et de pitié […] dont l’humanité avait soif. Partout leur idéal fut l’aiguillon d’amour dont l’âme avait besoin pour vivre », écrit l’académicien Louis Gillet dans son Histoire artistique des ordres mendiants (1912). Il s’agit pour les franciscains d’édifier le peuple par la compassion, d’émouvoir les fidèles par les souffrances qu’endura le Christ, de les impliquer dans sa Passion, de montrer la permanence de la Nouvelle Alliance en situant les scènes évangéliques dans leur environnement quotidien. Ainsi, dans La Dérision du Christ, Cimabue choisit-il d’habiller les personnages de vêtements de son époque. Il peint Jésus, les yeux bandés, au moment où la foule l’interpelle : « Fais le prophète ! Qui est-ce qui t’a frappé ? » (Mt 22, 64). La composition est animée, le dessin virtuose : après lui, les artistes rivaliseront d’invention pour donner dans leurs œuvres l’illusion de la vie.

De son vrai nom Cenni di Peppi – son surnom pourrait signifier « tête de bœuf » ou « homme fier », ce qui laisse supposer qu’il était assez têtu –, Cimabue collabora aussi au célèbre cycle des mosaïques du baptistère de Florence. Il s’éteint vers 1302, cédant définitivement le pas à Giotto, dont il avait éclairé la voie.

Revoir Cimabue. Aux origines de la peinture italienne, musée du Louvre (Paris Ier), jusqu’au 12 mai 2025, de 9 h à 18 h, sauf le mardi, jusqu’à 21 h le mercredi et le vendredi.