Chartres selon Péguy, Malraux et Huysmans - France Catholique
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Marie dans le plan de Dieu
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Chartres selon Péguy, Malraux et Huysmans

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J. K. Huysmans, vers 1900.

Dans l’imaginaire national, Chartres occupe une place centrale. Et la littérature s’est chargée d’en rendre compte, ne serait-ce qu’avec Charles Péguy, dont le nom est comme définitivement lié à la cathédrale dressée dans la plaine de Beauce. Mais l’agnostique André Malraux se trouvait en pleine communion avec l’auteur de La Présentation de la Beauce à Notre-Dame de Chartres. Littéralement fasciné par la cathédrale, il la considérait comme « l’âme même de la France ». Il eut particulièrement l’occasion d’affirmer cette conviction, lorsqu’il se rendit à Chartres, le 10 mai 1975, à l’occasion du trentième anniversaire de la libération des camps de concentration, sur la demande de Geneviève de Gaulle-Anthonioz. Au porche de la cathédrale, devant ce peuple de statues, c’est d’abord à la Vierge Marie qu’il adresse son salut, à l’enseigne de « la Mère des douleurs ».

Dans son récent essai, Malraux devant le Christ (Desclée de Brouwer), François de Saint-Chéron explique l’importance d’une sorte d’acte de foi : « Un homme comme Malraux ne pouvait aborder un tel sujet à la légère, et surtout pas devant d’anciennes déportées de la Résistance. C’est donc devant ce portail, avec ses statues-colonnes des rois et des reines de Juda et au-dessus le Christ bénissant, que réside, selon Malraux, cette part la plus pure de la France. » Notre pays n’est pas né en 1789, et quelle que soit l’admiration de l’écrivain pour les soldats de l’an II, c’est le portail de l’édifice où passa Saint Louis, qui a la primauté.

Mais on se doit aussi de rappeler, lorsqu’on évoque la littérature vouée à la nef royale, le grand roman de J. K. Huysmans, intitulé simplement La Cathédrale.

Merveille de l’Occident

Ce titre dit tout, car il s’agit d’un hymne d’amour à l’égard de l’édifice, qui pourrait être défini, lui aussi, comme la merveille de l’Occident. Peut-être son auteur est-il, aujourd’hui, assez injustement méconnu. À l’exception plutôt remarquable de Michel Houellebecq, son lecteur très attentif. Il conviendrait de resituer le livre dans l’ensemble d’une œuvre, qui est à l’image du parcours tumultueux d’un personnage qui ne semblait nullement prédestiné à atteindre de tels accents aux limites de la mystique. C’est ce que rappelle dans la préface de l’édition Folio, l’éminente critique qu’est Dominique Millet-Gérard : « Curieux roman dont l’examen générique s’impose, La Cathédrale est aussi explicitement […] un hymne de reconnaissance à la Vierge, bien surprenant quand on connaît la violence misogyne des œuvres précédentes ; à de nombreux égards, et de l’aveu même de Huysmans, axe de l’œuvre entière, La Cathédrale absorbe les apparentes contradictions, s’inscrit en continuité paradoxale avec le cheminement antérieur et se fait le puissant révélateur de l’unité d’une création littéraire stylistiquement très maîtrisée et consciente de l’urgence de combler le fossé déjà dénoncé dans En Route entre un art digne de ce nom et une foi catholique débarrassée de ses étroitesses jansénisantes. »

« Une blonde aux yeux bleus »

Étrange roman que cet hymne à la gloire d’un monument, qui s’appuie sur une érudition considérable. Car ce chef-d’œuvre oblige à s’ouvrir à une réflexion sur toute l’ampleur de la culture catholique, à l’unisson de l’histoire sainte et de la Création tout entière.

Mais, afin de donner le goût de cette réflexion, qui est aussi méditation, le mieux est de citer le texte, lorsqu’il condense en quelques expressions ce en quoi ce monument nous transporte jusqu’à la contemplation : « Cette Basilique était le suprême effort de la matière cherchant à s’alléger, rejetant, tel qu’un lest, le poids aminci de ses murs, les remplaçant par une substance moins pesante et plus lucide, substituant à l’opacité de ses pierres l’épiderme diaphane des vitres. Elle se spiritualisait, se faisait toute âme, toute prière, lorsqu’elle s’élançait vers le Seigneur pour le rejoindre ; légère et gracile, presque impondérable, elle était l’expression la plus magnifique de la beauté qui s’évade de sa gangue terrestre, de la beauté qui se séraphise. » Et encore : « Elle stupéfiait avec l’essor éperdu de ses voûtes et de la folle splendeur de ses vitres. » En somme avec ses pierres et ses vitraux, « Notre-Dame de Chartres était une blonde aux yeux bleus ».