Charles Péguy, le chevalier français - France Catholique
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Charles Péguy, le chevalier français

Converti, Péguy a relancé le pèlerinage de Chartres à notre époque. Mais ses oeuvres sont-elles lues avec l’attention qu’elles méritent ? Rien n'est moins sûr.
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Charles Péguy en 1914, par Eugène Pirou.

Charles Péguy en 1914, par Eugène Pirou.

Il arrive à Charles Péguy le même malheur qu’à Victor Hugo, dont les boulevards remplacent la lecture de ses œuvres. Or, Péguy, qui meurt à 41 ans le 5 septembre 1914, domine le XXe siècle par sa prose et sa poésie, qui n’ont pas pris une ride.

Il avait commencé à l’extrême gauche en voulant fonder la république socialiste universelle et, sur les conseils de Lucien Herr, bibliothécaire de l’École normale supérieure, il s’était attelé à la lecture du procès de Jeanne d’Arc, ce qui a changé sa vie. Lucien Herr était anarchiste, athée et anticlérical. C’est par lui que Péguy a été conduit à Jeanne et, par Jeanne, au royaume de France et à l’Église, ce qui prouve que les chemins de la grâce défient toute logique humaine.

Il s’en souviendra dans son poème de la cathédrale de Chartres, où il évoque un jeune homme mort d’une overdose : « La mort est passée par le trou qu’il s’est fait dans la peau. » Péguy ajoute : « Où est passée la mort passera bien la grâce. » Sa marche vers Notre-Dame est une imploration de la miséricorde. À son ami Lotte, il écrit : « J’ai marché… Mes gosses sont sauvés… Les croisades, c’était rien à côté. » Sans le savoir, il a refondé le pèlerinage de Chartres qui rassemble aujourd’hui des milliers de jeunes gens.

Jeanne d’Arc le conduira de la République socialiste universelle qu’il voulait fonder, au royaume de France qu’il doit continuer. Il écrira une méditation sur ce thème : La République, notre royaume de France, qui résume son espérance politique – espérance déçue, comme le dit son Cahier de la quinzaine intitulé « Nous sommes des vaincus ». Mais, vue d’aujourd’hui, son œuvre prouve à qui en douterait qu’au XXe siècle le royaume de France fut toujours vivant, et nous savons qu’il se perpétue au XXIe siècle.

Une douleur féconde

Péguy était un homme vrai. Il a parlé de la famille et il a été père de famille. Ses quatrains disent le tourment de son cœur quand il a été saisi de passion pour une jeune étudiante qui travaillait avec lui et partageait cette passion. Et comment, par fidélité, il a brisé ce rêve, préférant l’honneur au bonheur, s’étant assis à la croisée des chemins et ayant choisi délibérément la voie de la fidélité. Ensuite, son cœur a saigné, mais sa douleur a été féconde.

Il a célébré le soldat, notamment dans L’Argent et L’Argent suite où, face au matérialisme du monde moderne, il proclame la noblesse de son sacrifice – et il a été soldat, interrompant son écriture au moment où il reçoit son ordre de mobilisation en posant sa plume et en laissant sa phrase inachevée, sacrifice majeur pour un écrivain, en disant : « Il faut. » Et il est parti à la tête de sa section, comme lieutenant de réserve, mourir à Villeroy, près de Meaux, dans l’un des tout premiers combats de la première bataille de la Marne. Bien sûr, il avait encore devant lui au moins quarante ans d’écriture mais, telle que son sacrifice l’a couronnée, son œuvre demeure prophétique et chaque année apporte un éclairage nouveau sur les richesses qu’elle nous prodigue. Il avait tout vu, de la crise du monde moderne, de la crise de l’Église, des nécessités du royaume de France, et du rôle que les familles et les laïcs auraient à jouer, quand les clercs et les ecclésiastiques se rendraient trop facilement aux sirènes du monde moderne.

Combattant des justes causes

Péguy avait la plume très prolixe. Il a mis en exergue de son Victor Marie Comte Hugo cette phrase imitée du Cid de Corneille : « À moi Comte de Meaux » («À moi, comte, deux mots », s’écrie Rodrigue). Ces deux mots sont devenus plus de deux mille mais il explore tout le génie de Victor Hugo, celui de Corneille et, au passage, parle bien sûr de Jeanne d’Arc, comme il le fait dans toute son œuvre. Ses poèmes dessinés comme une tapisserie – il leur a d’ailleurs donné ce nom – emmènent le lecteur, de fil en fil et d’image en image, jusqu’au tableau complet qui révèle la dimension de l’œuvre. On peut marcher avec lui sur la route de Chartres et prier avec lui dans Le Porche du mystère de la deuxième vertu, ou dans Le Mystère de la charité. On peut aussi sourire dans la vivacité de la satire qui s’exprime dans son essai L’esprit de système et vibrer à ses indignations contre « le parti intellectuel ».

Combattant de toutes les causes justes, Péguy incarne la vraie noblesse, celle du chevalier français.