Le 30 janvier dernier, le vice-président des États-Unis, James David Vance, alors qu’on lui rapportait l’hostilité d’une partie du clergé chrétien à la politique migratoire très restrictive du président Trump, a déclaré : « Il y a une idée traditionnelle, qui est aussi très chrétienne, qui nous dit la chose suivante : tu aimes d’abord ta famille, puis ton prochain, puis ta communauté, puis les concitoyens de ton propre pays et, après cela, tu peux te concentrer sur le reste du monde. »
La hiérarchie des attachements
Certains chrétiens n’ont pas manqué de se récrier. Jésus-Christ n’a-t-il pas prôné l’amour universel ? Oui, c’est vrai. Mais J. D. Vance n’a pas tort pour autant. Car l’amour universel n’implique nullement qu’il faille renoncer à la hiérarchie naturelle des attachements. En le rappelant, le vice-président américain a remis en lumière un point capital de la doctrine chrétienne : l’existence d’un ordre de la charité – ordo caritatis. La négation de cet ordre constitue sans doute l’une des plus grandes révolutions de l’histoire des idées en Occident. Les Européens en sont venus à croire que la dilection particulière que l’on ressent pour les siens n’est pas une bonne chose, mais un crime… Pour clarifier la question, repartons des bases.
Il va de soi que, tous les hommes partageant une même nature, et l’homme étant un animal social, nous sommes tenus moralement de vouloir a priori du bien à tous nos congénères. Simplement, comme le fait remarquer saint Augustin, s’il est possible d’être bienveillant avec tout le monde, il est matériellement impossible d’être bienfaisant envers la totalité des hommes. Dès lors comment faire ? La réponse tombe sous le sens : nous sommes tenus d’être bienfaisants d’abord avec ceux auxquels nous sommes le plus liés : « On doit un égal amour à tous les hommes, écrit saint Augustin, mais comme il nous est impossible de faire du bien à tous, il faut consacrer de préférence nos services à ceux qu’en raison des temps, des lieux, ou de toute autre circonstance, le sort nous a en quelque sorte plus étroitement unis » (De doctrina christiana I, 28).
Certains objecteront peut-être que nous sommes libres, après tout, de choisir les personnes à qui nous souhaitons être unis. Or c’est faux. Car nos liens sont objectifs. Ce qui nous lie, en effet, c’est d’abord notre dette à l’égard de nos parents, de nos ancêtres, de nos concitoyens et de notre patrie, auxquels nous devons l’existence et tous les grands biens de la vie matérielle, intellectuelle et spirituelle. La préférence pour les proches n’est pas une simple question d’attachement sentimental : c’est une question de justice, et donc un devoir. Ne pas s’y soumettre, c’est de l’ingratitude. Conclusion de saint Thomas d’Aquin : « En ce qui concerne la nature, nous devons aimer davantage nos parents ; en ce qui touche aux relations de la vie civile, nos concitoyens » (II-II 26, 8).
Le ciment des sociétés
L’ordo caritatis est le ciment des sociétés ; le dissoudre, c’est les détruire. Un exemple le fera bien comprendre : imaginez qu’un père de famille, dans un naufrage, s’occupe de sauver les enfants des autres et laisse couler les siens. Il est clair qu’un tel père ne serait père que de nom. Car la préférence, ici, n’est pas seulement un droit : elle est le plus sacré des devoirs. Le père se doit à ses enfants, qui ont le droit à sa protection. Une famille où les parents ne préfèrent pas leurs enfants n’est plus une famille, c’est une somme d’individus.
De même, une nation où il n’existe pas de préférence pour les nationaux n’est pas une nation, mais un terrain vague déserté de toute piété. C’est aussi insensé qu’une famille sans préférence familiale. Comme disait saint Paul (1 Tm 5, 8) : « Si quelqu’un ne prend pas soin des siens, surtout de ceux qui vivent avec lui, il a renié sa foi : il est pire qu’un infidèle. »
Pour déconsidérer ce point de doctrine catholique, et le faire passer pour antichrétien aux yeux mêmes de beaucoup de clercs, on l’a bien sûr caricaturé, en laissant entendre qu’il impliquait la haine des autres et le mépris de l’étranger. Ce qui est absurde. Pour deux raisons :
Premièrement, reconnaître l’ordo caritatis pour soi-même, c’est le reconnaître aussi pour les autres ; c’est donc se rendre sensible à la piété des voisins, et reconnaître leur propre droit à vivre chez eux en paix, sans avoir à subir nos visées paternalistes ou colonialistes. C’est s’interdire toute agressivité et tout impérialisme.
Deuxièmement, l’ordo caritatis n’annule pas le devoir de bienveillance universelle ; préférer les siens, leur donner une priorité ne veut pas dire que l’on néglige les autres, ni a fortiori qu’on les déteste ; seulement qu’ils passeront après les nôtres dans tous les cas où donner aux autres reviendrait à priver gravement les siens. Il existe d’ailleurs, et c’est heureux, d’innombrables circonstances particulières où tout un chacun peut venir en aide à un parfait étranger sans nuire aux siens. Ainsi la charité commande-t-elle à tout chrétien de secourir le malheureux qu’il rencontre sur son chemin. Un clandestin affamé et malade, tombé à notre porte, a droit à notre secours immédiat de chrétien. Mais tout cela n’implique nullement que les dirigeants de l’État doivent accepter la « submersion » (François Bayrou) de notre pays par des populations étrangères. Car le point sera rapidement atteint où la vie nationale sera gravement dégradée par cet afflux hors de contrôle.
L’avertissement de Rousseau
Il n’y a, en somme, rien de contradictoire à rendre service à des clandestins tout en restant hostile à l’immigration massive. C’est l’attitude inverse, fréquente chez les élites mondialistes, qui est parfaitement contradictoire. Et je laisserai là-dessus le dernier mot à Jean-Jacques Rousseau, qui n’a pas dit que des bêtises : « Défiez-vous de ces cosmopolites qui vont chercher loin dans leurs livres des devoirs qu’ils dédaignent de remplir autour d’eux. Tel philosophe aime les Tartares, pour être dispensé d’aimer ses voisins. »
Pour aller plus loin :
- Le défi du développement des peuples et le pacte de Marrakech - la fuite en avant des Nations Unies
- 3 - Aimer Dieu
- La France et le cœur de Jésus et Marie
- Vladimir Ghika : le contexte politique avant la guerre de 1914-1918
- Dénoncer les abus sectaires dans la vie consacrée et passer l’épreuve en union au Christ Epoux