Quand les temps sont particulièrement troublés, quand l’Eglise et l’Etat semblent créer plutôt que résoudre des problèmes, quand les choses humaines ont encore moins de sens que d’habitude, (ce qui n’est jamais beaucoup de toute façon), le premier devoir d’un catholique ou de n’importe quelle personne responsable est de ne pas perdre la tête. Ou se décourager. Parce que la bonté est toujours là, toujours, plus profondément, et a besoin de notre engagement plus sage, spécialement aux moments où nous pourrions être tentés d’en douter.
Aujourd’hui, nous commémorons l’un des grands événements humains des temps modernes – la date à laquelle, il y a 241 ans, l’Amérique a formellement déclaré son indépendance. L’une des marques troublantes du moment présent est que nous semblons confondre le patriotisme, qui est un des sentiments humains naturels, réellement une forme de reconnaissance pour ce que nous avons reçu à travers notre nation (ce qu’Edmund Burke appelait « la grâce gratuite de la vie »), avec le genre de vilain nationalisme qui a conduit à des guerres mondiales et à beaucoup de chagrin humain.
La perte d’un patriotisme approprié, je crois, fait partie d’un changement plus large, plus inquiétant. Quand les choses sont relativement normales, la loyauté des gens se concentre sur la famille, le pays, l’église. Nous sommes loin d’être dans la normalité, dans plusieurs pays occidentaux. Au lieu de cela « la race, la classe et le genre » ont émergé parmi nos élites occidentales, comme les constituants les plus importants de l’identité et – bizarrement – les causes à défendre.
Pourtant, malgré tout cela – et les nombreux autres ennuis qui vont probablement s’abattre sur nous bientôt – ce jour-ci doit être célébré. On n’a pas besoin d’être un promoteur naïf de l’Amérique pour constater quelles bénédictions, malgré toutes leurs imperfections, les Etats-Unis ont apporté à leurs citoyens, et souvent aussi au monde. Ou penser qu’il nous faut trouver un moyen de corroborer ces bienfaits tout en faisant face à des vérités désagréables sur ce que nous sommes devenus.
L’observateur le plus fin du début des Etats-Unis, Alexis de Tocqueville, a écrit au commencement de son excellent livre De la démocratie en Amérique :
« Il n’est pas nécessaire que Dieu parle lui-même pour que nous découvrions des signes certains de sa volonté; il suffit d’examiner quelle est la marche habituelle de la nature et la tendance continue des événements; je sais, sans que le Créateur élève la voix, que les astres suivent dans l’espace les courbes que son doigt a tracées.
Si de longues observations et des méditations sincères amenaient les hommes de nos jours à reconnaître que le développement graduel et progressif de l’égalité est à la fois le passé et l’avenir de leur histoire, cette seule découverte donnerait à ce développement le caractère sacré de la volonté du souverain maître. Vouloir arrêter la démocratie paraîtrait alors lutter contre Dieu même, et il ne resterait aux nations qu’à s’accommoder à l’état social que leur impose la Providence. »
La « démocratie » a été dégradée par d‘innombrables mauvais exemples depuis Tocqueville. Mais ce qu’il avait vu intuitivement – un système de liberté légitime, où la liberté et l’intelligence des personnes, données par le Créateur, trouvent la place de faire, pas tout ce que nous voulons, mais ce que nous devrions faire – était quelque chose de vraiment monumental.
Une société libre ne peut pas durer longtemps là où les gens ont perdu la compréhension de la vraie liberté. Les Fondateurs s’inquiétaient que la liberté ne se change en licence et c’est pourquoi tous, de manières et à des degrés différents, ont fait remarquer que la moralité populaire et le principe religieux (George Washington) sont les fondations du gouvernement républicain. Comme l’a dit John Adams : « Notre Constitution a été faite uniquement pour un peuple moral et religieux. Elle est tout à fait inadéquate pour gouverner un autre genre de peuple. »
Mais il y a plus. Chaque fois que le 4 juillet revient, je relis le poème de Robert Frost, « The Gift Outright » / « Le don pur et simple ». Pendant plus d’une dizaine d’années, j’ai fait cela, comme je le ferai encore ce matin, avec des étudiants de la République Slovaque, lors de notre séminaire d’été sur la Société Libre, fondée il y a presque vingt ans par Michael Novak, mort récemment.
Ce poème a une histoire intéressante. Quand John F. Kennedy a été élu (notre seul président catholique), il a demandé à Frost d’écrire un poème pour l’inauguration. Frost l’a fait; il s’appelle « Dédicace ». Mais le soleil était si brillant ce matin-là, que l’octogénaire n’a pas pu lire le texte. Alors, il a récité, de mémoire un poème plus court sur la nécessité de se consacrer à quelque chose, avant même que nous ne soyons sûrs de ce que cela pouvait être.
La terre était à nous avant que nous ne soyons à elle.
C’était notre terre plus de cent ans
Avant que nous ne soyons son peuple. Elle était à nous
Au Massachusetts, en Virginie,
Mais nous étions à l’Angleterre, encore des colons,
Possédant ce qui ne nous possédait pas encore.
Quelque chose que nous retenions nous rendait faibles
Jusqu’à ce que nous nous rendions compte que c’était nous-mêmes
Que nous retenions de notre terre de vie,
Et aussitôt nous avons trouvé le salut dans la capitulation.
Tels que nous étions nous nous sommes livrés complètement
(L’acte de don consistait en de nombreux actes de guerre)
A la terre vaguement tournée vers l’ouest,
Mais toujours intacte, sans art, sans décor,
Telle qu’elle était, telle qu’elle deviendrait.
Dans les moments difficiles, la tentation est grande de se retirer, de penser que se donner à quelque chose qui n’est pas certain et semble le devenir de moins en moins, que ce soit l’Eglise ou la nation, est perdre son temps. Se donner pour que quelque chose vive et prospère peut impliquer de graves désagréments. (« L’acte de don consistait en de nombreux actes de guerre. ») Alors, il est naturel d’hésiter.
Les nations sont mortelles; comme chacun de nous elles périront un jour et doivent donc tirer leur sens de choses plus élevées et permanentes.
Mais il est juste de ressentir de la gratitude pour un pays décent, comme nous le faisons envers notre famille et nos amis, personnes imparfaites qui ont été nos bienfaiteurs. Il n’y a rien de honteux là quels que soient nos malheurs. Au contraire, aujourd’hui est le jour où nous engager à rendre la nation, aussi battue et blessée qu’elle soit maintenant, encore plus digne de célébration.
Le 4 juillet 2017.
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Image : La statue de la liberté éclairant le monde (L’inauguration de la statue de la liberté) par Edward Moran, 1886 (Musée de la ville de New York.)
Source : https://www.thecatholicthing.org/2017/07/04/whats-right-with-the-world/
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Robert Royal : Robert Royal est rédacteur-en-chef de The Catholic Thing, et le président de l’Institut de la Foi et de la Raison à Washington, D.C. Son livre le plus récent est A Deeper Vision : The Catholic Intellectual tradition in the Twentieth Century, publié par Ignatius Press. The God That did not Fail : How Religion Built and Sustains the West, se trouve en livre de poche à Encounter Books.
Pour aller plus loin :
- Le défi du développement des peuples et le pacte de Marrakech - la fuite en avant des Nations Unies
- LA « MODERNITÉ » : UN CENTENAIRE OUBLIÉ
- Liste des ouvriers pastoraux, Evêques, Prêtres, Religieux, Religieuses et Laics tués en 2011 et 2010
- Dénoncer les abus sectaires dans la vie consacrée et passer l’épreuve en union au Christ Epoux
- Vladimir Ghika : le contexte politique avant la guerre de 1914-1918