Pakistan : « blasphémateur », le mot qui tue - France Catholique
Edit Template
Noël : Dieu fait homme
Edit Template

Pakistan : « blasphémateur », le mot qui tue

Les lois anti-blasphème plongent chaque année des centaines de victimes – souvent chrétiennes – dans l’univers kafkaïen des prisons pakistanaises. L’Église fait tout son possible pour les défendre devant la Haute Cour de justice.
Copier le lien
Une mère console son fils après les attaques du quartier chrétiens de Jaranwala, en août 2023.

Une mère console son fils après les attaques du quartier chrétiens de Jaranwala, en août 2023. © NCJP (National Commission for Justice and Peace)

Le verdict est tombé le 1er juillet 2024. Ehsan Shan, un chrétien pakistanais d’une vingtaine d’années, a été condamné à mort. Mais il ne sera pas exécuté tout de suite, précise le tribunal antiterroriste de Sahiwal. Le jeune homme devra purger avant une peine de 22 ans de prison ferme, dans des conditions inhumaines. Son crime ? avoir rediffusé sur les réseaux sociaux des contenus jugés « insultants pour l’islam et son prophète ».

Tout part de TikTok

Tout a commencé en août 2023 près de Faisalabad, dans la province du Pendjab, lorsque Ehsan a partagé sur son compte TikTok une image du Coran abîmé, à une seule personne. Mais son post a ensuite été partagé par des milliers de personnes, dont des fonctionnaires et des membres du gouvernement. L’affaire du Coran brûlé a provoqué une émeute antichrétienne sans précédent. Le 16 août 2023, une foule de musulmans extrémistes est venue saccager et incendier 25 églises et plus de 80 maisons de chrétiens à Jaranwala. Plus de 2000 chrétiens ont fui, laissant leur quartier en feu, de peur d’être massacrés.

Un an plus tard, ils restent traumatisés, d’autant plus que justice n’a pas été rendue. Selon les derniers rapports de la Commission nationale pour la justice et la paix (NCJP), l’organisation catholique de défense des droits de l’homme, seules cinq personnes arrêtées à la suite de ces attaques sont derrière les barreaux. Mais Ehsan, lui, a été condamné. « L’un de nos chrétiens est condamné à mort, ce qui est injuste, alors que rien n’est arrivé aux autres accusés de crimes contre les églises et les maisons chrétiennes, a déclaré à l’AED Mgr Shukardin, le président de la Conférence des évêques du Pakistan. Au lieu de cela, ces personnes sont petit à petit libérées. »

Pressions sur les tribunaux

Selon le Père Khalid Rashid, le directeur de la Commission justice et paix pour le diocèse de Faisalabad, le tribunal antiterroriste de Sahiwal a subi des pressions pour rendre un tel verdict. « Ce jugement a été rendu à cause des terroristes, des extrémistes et d’autres groupes fondamentaux. Ces groupes ont menacé le juge. » Hélas, ce n’est pas la première fois qu’un chrétien subit ce genre d’injustice. Les minorités au Pakistan sont considérées comme des citoyens de seconde zone,souvent pauvres, parfois illettrés et occupant des métiers précaires, ingrats et peu rémunérés. « Ehsan n’avait aucune idée qu’en partageant ce contenu, il serait considéré comme blasphémateur » explique le Père Khalil qui, aidé d’avocats avec lesquels il travaille en étroite collaboration, va porter l’affaire en appel devant la Haute Cour de Lahore. Cette discrimination systémique et systématique des chrétiens est d’autant plus injuste que la Constitution pakistanaise reconnaît officiellement les minorités religieuses. Mais les faits contredisent la loi, et la situation ne s’améliore pas.

Condamnée à mort

Un mois et demi après le jugement d’Ehsan, le 18 septembre 2024, c’était au tour de Shagufta Kiran d’être condamnée à mort par le tribunal d’Islamabad. Cette chrétienne de 40 ans, mère de quatre enfants, a été jugée pour avoir partagé des messages blasphématoires sur WhatsApp. L’affaire a commencé il y a trois ans, lorsque des agents de la FIA, l’Agence fédérale d’investigation, ont pris d’assaut son domicile et l’ont arrêtée, l’accusant d’avoir partagé sur les réseaux sociaux des commentaires jugés irrespectueux à l’égard du prophète Mahomet.

Le mari et le fils de Shagufta ont été arrêtés en même temps qu’elle en 2021, mais ont été rapidement relâchés. Shagufta a toujours clamé son innocence, mais elle a été néanmoins déclarée coupable en vertu de l’article 295-C de la loi pakistanaise sur le blasphème, et condamnée à mort. La Commission justice et paix, soutenue par l’AED, portera aussi son cas devant la Haute Cour, pour la défendre jusqu’au bout.

Des peines alourdies

Ces hommes et ces femmes qui croupissent en prison dans des conditions odieuses, accusés injustement de blasphème, sont de plus en plus nombreux. Auparavant, la loi punissait les blasphémateurs ayant ouvertement insulté l’islam ; cette loi s’est ensuite étendue à toute personne ayant prétendument blasphémé. Désormais, il est permis de jeter en prison une personne pour ce qu’elle aurait pensé de mal – uniquement « pensé » – à l’encontre de l’islam. En 2023, le Sénat a également adopté un projet de loi visant à alourdir les peines pour les remarques désobligeantes « à l’encontre de personnalités vénérées proches du prophète de l’islam ». De telles lois créent une société de délation, de suspicion et de peur.

Ces lois anti-blasphème touchent également les musulmans mais de manière beaucoup moins significative que les chrétiens. Selon les derniers chiffres, plus de la moitié des cas de blasphème concernent des minorités religieuses, alors qu’elles ne représentent que 1,9 % de la population totale.

« Il est très important qu’une législation soit introduite pour imposer des sanctions, y compris des peines de prison, à l’encontre de ceux qui accusent à tort des personnes de blasphème, s’insurge Mgr Shukardin. Car tant que des mesures sévères ne seront pas prises contre ceux qui lancent de fausses accusations, ces actes de violence continueront à se multiplier. Nous ne demandons rien qui soit contre le Pakistan. Nous demandons simplement la protection de nos vies et de celles de nos familles. »

En partenariat avec