«C’est très bien, c’est exactement là que je le voulais. Pour le bénédicité, c’est pas mal : au moins, on sait qui parle ! » se réjouit l’abbé Bertrand Chevalier, recteur du sanctuaire, aidant Alain, le bricoleur de la maison, à fixer un magnifique Christ du XVIIe siècle qui domine la chaleureuse salle à manger. Ici, les meubles anciens sont choisis avec soin, pour créer une ambiance maison de famille. Autant dire que le bon goût est partout, des fresques peintes par des artistes sur les murs aux objets d’art soigneusement exposés : le recteur est à la fois conservateur des antiquités et objets d’art du diocèse et responsable de l’art sacré. « Notre première exigence, c’était la beauté pour évangéliser. » Une beauté salvatrice pour ces âmes blessées qui viennent s’y ressourcer. Ici, depuis 1 500 ans, tous viennent se recueillir aux pieds de la Vierge noire de Béhuard confiant à Notre-Dame leurs joies et leurs peines.
Quinze siècles de pèlerinages
C’est surtout la Nativité de la Vierge qui y est célébrée. Car sur ces bords de Loire à quelques encablures du sanctuaire, la Vierge est apparue en 430 à Maurille, quatrième évêque d’Angers, et fidèle compagnon de saint Martin. C’était un 8 septembre. « Marie lui demande que l’on honore ici sa naissance », explique l’abbé Chevalier. Baptisé le Marillais, ce lieu d’apparition constitue le plus ancien lieu de pèlerinage en France. Maurille évangélisant l’Anjou, remplace en 431 une idole païenne, par une icône de la Vierge sur un gros rocher en lieu et place de l’île actuelle. Un an avant le concile d’Éphèse qui déclarera Marie Theotokos, c’est-à-dire « Mère de Dieu », avant la construction de Sainte-Marie-Majeure à Rome, la Vierge est déjà vénérée à Béhuard.
Plus tard, au XVe siècle, les pèlerins affluent, mais le plus connu est le roi Louis XI. Combattant à plusieurs centaines de kilomètres de là, sur le point de faire naufrage, il invoque Notre-Dame de Béhuard. Épargné, il lui offre une chapelle sur le rocher, destinée à remplacer l’humble oratoire. Le roi y viendra en pèlerinage une vingtaine de fois. « Il s’y est même construit une maison. Qu’un roi de France vienne dans un petit village, sans château fort pour le protéger, qu’il affronte la Loire et ses crues pour venir dans un lieu où rien n’est prévu pour l’accueillir, prouve son attachement à Béhuard » relate l’abbé Chevalier. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, les pèlerinages sont moins courants, il faudra attendre la fin du XIXe et le début du XXe siècle et l’impulsion de Mgr Freppel, évêque d’Angers, pour relancer les dévotions. Les 8 septembre 1873, 1910 et 1923 offrent des cérémonies mémorables. En 1948, toutes les madones de l’Anjou se rassemblent à Béhuard, en présence de nombreux évêques et archevêques.
La bascule de 2019
Puis le lieu se rendormit quelque peu. En 2019, Mgr Delmas, évêque d’Angers, confie à l’abbé Chevalier alors curé d’Allonnes (Maine-et-Loire), cette triple mission : faire à nouveau rayonner le sanctuaire, proposer aux 200 000 touristes qui visitent ce lieu patrimonial de devenir à leur tour des pèlerins, et enfin incarner un laboratoire d’évangélisation. Ni une ni deux, l’abbé prend sa barque et remonte la Loire. En 2020, les travaux de rénovation de la maison diocésaine sont lancés, mais le confinement arrive. « Cela a été providentiel » pour le recteur qui saisit l’occasion pour multiplier les vidéos d’évangélisation : topos, catéchèses, messes… Des milliers de personnes pèlerinent ainsi à distance. Et le 11 mai, pour la sortie du confinement, elles sont au rendez-vous pour la messe dans la cathédrale de verdure. « C’est joli, les gens sont touchés et reviennent » rapporte le père. L’essai est transformé.
Depuis, de nombreuses initiatives permettent de récolter des fonds pour faire vivre la maison : un dîner de gala, une participation à la Nuit du Bien Commun, la Providence veille et les mécènes offrent leur soutien matériel et logistique. Et cette petite anecdote, parmi tant d’autres fiorettis que rapporte l’abbé, voulant redorer à la feuille d’or la Vierge sur le toit. Sans les fonds, le vicaire général s’y oppose. « Vingt minutes plus tard, un chèque de la somme arrive en action de grâces pour la Vierge de Béhuard. Et c’est comme cela en permanence ! » La Vierge reçoit des habits de Gilles et Poppy, la couturière de Bardot, une couronne d’or fabriquée chez Mellerio, joaillier des têtes couronnées d’Europe, de somptueux présents voisinant de modestes dons ou une heure de son temps.
Le parvis des gentils
Car c’est l’Évangile qui est vécu ici : la cour des miracles, le parvis des gentils. « La Vierge attire les personnes qui ont des vies douloureuses ou compliquées. » C’est Heidi, avec ses problèmes de drogue, d’alcool et de violence qui est arrivée délabrée, et qui s’est reconstruite à l’ombre de Béhuard. C’est cette maman veuve, portant en son sein un bébé de quatre mois, venue demander une bénédiction pour tenir. C’est cette autre femme sur le point d’accoucher d’un bébé lourdement handicapé venue aussi se confier. Ce sont ces vingt victimes d’inceste offrant leurs blessures à Notre-Dame. Ou cette jeune femme atteinte d’une maladie incurable qui a demandé le baptême avant de mourir. C’est cette communauté érythréenne qui a trouvé en Béhuard un lieu où se ressourcer, loin de la guerre et de ses persécutions. « La Vierge nous a aidés, Notre-Dame de Béhuard, c’est notre refuge », témoigne Yordanos. « On reçoit tellement ici », résume Catherine, bénévole, à l’instar de Stéphanie, elle aussi en mission à Béhuard, nous confiant : « En revenant du Brésil avec Points-Cœur, il nous semblait qu’il nous manquait quelque chose d’essentiel. »
Et si ce laboratoire était celui de la sainteté ? À l’instar des hôtes de ces lieux, Jeanne de France, Don Bosco, les bienheureux martyrs de la Révolution ? Celle de cette béatitude ignorée : heureux les fêlés, ils laissent passer la lumière. Celle de cette communauté de bénévoles entourant leur prêtre, en toute simplicité et qui sans bruit, se tient comme un repère : un rocher sur une île, une Vierge noire ouvrant ses bras à nos vies emportées.