C’est une première. Que l’Église catholique condamne l’avortement, cela ne surprendra pas : les papes l’ont fait avec constance, en des termes n’admettant aucune ambiguïté ni concession à l’esprit du temps. « L’avortement est un meurtre », répétait sans détour le pape François dans l’avion qui le ramenait de Slovaquie en septembre 2021 (lire FC n° 3842).
Qu’en revanche, le Vatican prenne ouvertement position dans les débats français, par le truchement de son organe de presse, voilà qui est inédit – en tout cas sous le pontificat de François. Dans un éditorial paru le 7 février dans Vatican News, son directeur, Massimiliano Menichetti, condamne explicitement l’inscription de la « liberté » d’avorter dans la Constitution française. « Comment est-il possible, écrit-il, de juxtaposer dans la charte fondamentale d’un État le droit qui protège la personne et celui qui sanctionne sa mort ? » Et de rappeler, pour encore plus de clarté, l’homélie du pape à Marseille, le 23 septembre 2023 : « Un cœur froid et plat traite la vie de manière mécanique, sans passion, sans élan, sans désir. » Avant d’inciter le législateur à voter « des propositions de vie et non de mort » : « De nombreuses vies seraient sauvées […] si les femmes étaient soutenues sur les plans économique, juridique, psychologique, religieux et social, au moment dramatique où l’avortement semble être la seule solution. » Une autre politique est possible, qui fasse de la vie sa priorité, pourvu que le législateur considère l’enfant comme une chance et non comme une charge ; et qu’il prenne vraiment en compte la détresse des femmes sur le point d’avorter.
L’incessante extension de la loi Veil
Les sénateurs entendront-ils ces arguments ? La Haute Assemblée se penche en ce moment-même sur le projet de loi sur l’interruption volontaire de grossesse. Le 14 février, sa commission des Lois a déclaré ne pas s’opposer à la constitutionnalisation de l’avortement… tout en émettant des réserves sur le texte voté par les députés. Qu’en sera-t-il en séance publique, le 28 février ? Si les deux chambres adoptaient ce projet en termes identiques, il suffirait au gouvernement de réunir le Congrès à Versailles, en mars, pour que la réforme soit entérinée.
Jusque-là, les rares élus qui, bravant les anathèmes, se sont courageusement opposés à ce projet, sont restés sur le terrain juridique. Et, de fait, beaucoup ont raison de proclamer que l’avortement n’est nullement menacé en France. Jamais le Conseil constitutionnel ne s’est opposé à l’extension du champ d’application de la loi Veil, qui dépénalisait sa pratique en 1975. Depuis, le Parlement a autorisé les mineures à recourir à l’avortement sans le consentement d’un adulte. Il a allongé de 10 à 12 semaines, puis de 12 à 14, le délai dans lequel une IVG peut être pratiquée. Il a voté son remboursement à 100 % par la Sécurité sociale. Il a supprimé l’exigence d’être « en situation de détresse » pour y recourir ; il a supprimé le délai de réflexion obligatoire avant l’IVG ; il a supprimé le délit de propagande en faveur de l’avortement. En revanche, il a créé un délit d’entrave à l’IVG sanctionnant « le fait d’empêcher ou de tenter d’empêcher de pratiquer une IVG »… Des réformes chaque fois avalisées par le Conseil constitutionnel quand il a été saisi.