Avec les aumôniers du Jour J - France Catholique
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Avec les aumôniers du Jour J

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Messe célébrée par le Père Edward J. Waters pour les soldats qui participeront au premier assaut sur les plages de Normandie.

Avec les aumôniers du Jour J

Parmi les dizaines de milliers d’hommes qui débarquèrent sur les plages de Normandie ou qui furent parachutés en juin 1944, les aumôniers accomplirent leur devoir sans réserve. Au cœur des combats, ils apportèrent aux soldats un secours humain et spirituel exceptionnel.
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Voici 80 ans, le 6 juin 1944, commençait en Normandie l’une des plus gigantesques opérations militaires de l’histoire. Baptisée « Overlord », elle mobilise près de 150 000 soldats alliés – essentiellement des Américains, des Britanniques et des Canadiens – qui débarquent sur cinq plages situées entre l’Orne et la Vire, ou qui sont parachutés à l’arrière des lignes ennemies, tenues par 50 000 hommes. Au soir du « D-Day », quatre têtes de pont sont sécurisées. Les pertes des Alliés s’élèvent à 10 300 hommes, dont un tiers de tués. La bataille de Normandie a commencé. Elle ne s’achèvera qu’avec la libération de Paris le 25 août.

Au milieu des furieuses mêlées, quelques hommes ne portent pas d’armes : ce sont les aumôniers, répartis au sein des unités les plus variées. Prêtres catholiques, pasteurs protestants, il est difficile d’en établir le décompte précis. Et pourtant, leur rôle fut indispensable : soignant, consolant, bénissant, enterrant, ils ont apporté aux combattants un secours inimaginable. « Je ne songerais pas plus à partir au combat sans mon artillerie que sans mes aumôniers », disait, plein d’admiration, le maréchal Montgomery, fils d’un évêque anglican.

Les précurseurs

Certains d’entre eux font partie des tout premiers à toucher le sol normand. Affectés à des unités parachutistes, ils sont largués dans la nuit du 5 au 6 juin. Parmi eux, le Père Ignatius Maternowski, un franciscain américain de 32 ans, ordonné prêtre en 1938, capitaine au 508e Parachute Infantry Regiment (82e Airborne) : il saute avec son unité dans le secteur de Picauville, à l’ouest de Sainte-Mère-Église et s’efforce, dès son arrivée au sol, de venir au secours des nombreux blessés. Au petit matin, à l’issue d’une négociation avec l’adversaire qui consent à faciliter les soins, il est abattu dans le dos par un sniper. Durant trois jours, son corps restera abandonné avant d’être enfin enseveli. Le Père Maternowski, parmi les premiers engagés de l’opération, est aujourd’hui honoré par un vitrail inauguré en 2021 dans la petite chapelle de Cauquigny, non loin de l’endroit où il fut tué : il y est représenté en habit franciscain, portant sa tenue de combat ; sur le côté gauche, une représentation de la Vierge noire de Czestochowa rappelle ses origines polonaises.

Parmi les aumôniers précurseurs, on ne saurait oublier de mentionner le Père Francis Sampson, américain, surnommé « Parachute Padre », du 501e Parachute Infantry Regiment (101e Airborne). Âgé de 32 ans, ordonné en 1941, il est largué sur le secteur de Saint-Côme-du-Mont, non loin de Carentan, et il échappe de peu à la noyade en tombant dans la Douve. Lui aussi, accompagné d’un aumônier protestant, se met immédiatement au service des blessés mais sa position se retrouve vite encerclée par des parachutistes allemands qui le capturent – des SS qui ne font pas de prisonniers. Le Père Sampson se retrouve contre un mur face à un peloton d’exécution. Terrorisé, il racontera plus tard qu’en lieu et place de son acte de contrition, il se met à réciter en boucle un bénédicité ! In extremis, il est sauvé par un officier allemand catholique et sera relâché peu après. L’histoire de cet aumônier, qui appartenait aux Chevaliers de Colomb, inspirera plus tard Steven Spielberg pour l’intrigue de son film, Il faut sauver le soldat Ryan (1998) : le Père Sampson mit tout en œuvre, au cours de la bataille de Normandie, pour que soit éloigné du front un soldat nommé Fritz Niland, dont plusieurs frères avaient été tués au combat. Chez les parachutistes, il faut enfin faire mention du révérend George Alexander Harris, 34 ans, canadien, mort le 7 juin après que son parachute s’est emmêlé avec celui d’un camarade, lors du saut de son unité au-dessus de Heuland (Calvados).

Priant, confessant, rassurant

Dans l’immense armada qui traverse la Manche au même moment, les aumôniers ne restent pas inactifs, priant, confessant, rassurant, après avoir célébré de nombreux offices et messes dans les ports britanniques, à bord des navires ou à proximité des quais. Le révérend George Russell Barber, aumônier protestant de la 1re division d’infanterie américaine, a ainsi raconté qu’avant de prendre la mer en direction d’Omaha Beach, il a célébré pas moins de onze services à bord d’autant de bateaux, et distribué aux hommes un nombre impressionnant de Bibles de Gédéon. « Il n’y a pas d’athées dans les tranchées », dira-t-il en souriant.

Faut-il préciser que les aumôniers sont aussi exposés que leurs camarades, sinon plus, puisqu’ils sont dépourvus du moindre moyen de riposte ? Certains d’entre eux sont présents dans les premières vagues qui débarquent au matin du 6 juin, comme le révérend Leslie Skinner, 32 ans, aumônier méthodiste britannique, rattaché au Sherwood Rangers Yeomanry, dont l’embarcation est frappée de plein fouet alors qu’elle s’approche de Gold Beach : il s’en sort indemne, mais plusieurs soldats sont grièvement blessés. À 7 h 25, il foule enfin le sable normand. Son journal témoigne sobrement des faits : « Des hommes sont blessés tout autour de moi. L’un a perdu sa jambe. Je suis soufflé par une explosion qui me projette sur un Bren Carrier [chenillette blindée – NDLR], mais tout est OK. Je parviens à progresser sur la plage, malgré la douleur que je ressens au côté gauche. »

Le constat que faisait le révérend Barber – « Il n’y a pas d’athées dans les tranchées » –, de nombreux aumôniers, tous cultes confondus, vont le faire sitôt après avoir pris pied sur le sable des plages normandes. Désarmés, munis de leurs autels portatifs et autres accessoires religieux, courant sous la mitraille et les obus, ils sont sollicités par des hommes blessés ou terrorisés qui réclament leur assistance. La distribution d’une hostie consacrée, une prière, une bénédiction, est souvent source d’un puissant réconfort.

« La prière, vous me la laissez »

L’héroïsme est la norme. Comme celui dont fit preuve le Père Joseph Lacy, du 5e bataillon de rangers américains, qui débarque lui aussi au petit matin sur Omaha Beach – surnommée « Omaha la Sanglante ». Ce prêtre, de petite taille, légèrement enrobé, portant d’épaisses lunettes, avait pourtant fait rire les hommes de son unité lorsqu’il l’avait rejointe. Mais il se révèle admirable, comme le souligne la citation qui accompagne la Distinguished Service Cross qu’il glane ce jour-là : « Continuellement exposé au feu ennemi, il a assisté les blessés depuis le rivage jusqu’à la zone plus sécurisée des dunes, tout en inspirant aux hommes le même mépris du danger que celui dont il faisait preuve. » L’histoire raconte que, dans la péniche de débarquement, quelques instants avant d’atteindre l’objectif, il aurait dit à ses camarades : « La prière, vous me la laissez. Le combat, c’est pour vous ! »

Le statut singulier des aumôniers ne les préserve pas du pire et les signes qu’ils arborent, bien souvent une croix et un brassard médical, n’inclinent pas l’ennemi à la clémence. Le révérend Walter Brown, de l’Église anglicane du Canada, 33 ans, débarqué sur Juno Beach, est assassiné peu après à coups de baïonnette par des SS de la division Hitlerjugend à qui il s’était rendu après une embuscade. Son corps ne fut retrouvé dans un fossé que le 11 juillet. De même, le révérend George Parry, britannique, 26 ans, est abattu à Bénouville le 6 juin dans un poste de secours encerclé par des Allemands lors d’une contre-attaque.

Une fois les têtes de pont établies et les premières lignes allemandes enfoncées, bien des aumôniers se retrouvent en charge d’une pénible mission, qui relève des œuvres de miséricorde : identifier les morts et leur assurer une digne sépulture. Le révérend Leslie Skinner s’y attelle ainsi une fois le secteur de Gold Beach sous contrôle. Doté d’une moto légère, il arpente le champ de bataille, inspectant tous les blindés détruits, et interdisant aux hommes de s’en approcher pour qu’ils ne voient pas les corps réduits en charpie. Sur son carnet, il note avec minutie les emplacements de chaque tombe, de chaque fosse, ainsi que les identités – quand on peut les certifier – des corps qui y sont enterrés, si possible après des funérailles chrétiennes.

Des plages du D-Day jusqu’au Vietnam

Le Père Cyril Patrick « Paddy » Crean, irlandais, aumônier catholique de la 29e Armoured Brigade britannique débarquée sur Juno Beach, s’illustre aussi dans cette tâche funèbre. « Il a effectué un travail exceptionnel pour localiser les tombes et pour identifier les corps d’aviateurs inconnus, portés disparus après le crash de leurs appareils. Cette mission, qu’il s’est auto-attribuée, a apporté un réconfort inestimable aux familles proches de ces aviateurs », souligne la citation que lui vaut son dévouement. Au cours des semaines suivantes, des aumôniers vont demeurer dans le secteur afin de poursuivre ce travail de repérage et d’identification, et parfois d’exhumation et de regroupement.

Que deviennent ces hommes après le D-Day ? Bon nombre d’entre eux poursuivent leur ministère auprès des armées jusqu’à la capitulation allemande. On va les retrouver dans les combats d’Alsace, de Hollande, de Belgique, d’Allemagne. L’un des itinéraires les plus étonnants est celui du Père Francis Sampson qui sera fait prisonnier durant la bataille des Ardennes, et qui va passer plusieurs mois dans un stalag. On le retrouvera plus tard en Corée. Ou même au Vietnam lorsqu’il sera aumônier général des armées américaines de 1967 à 1971.

C’est à lui que l’on doit ces paroles, extraites d’une homélie qu’il prononça dans une église en ruines, près de Cherbourg, dont ne subsistaient que deux murs et un grand crucifix presque intact : « Tout comme cette chapelle, nous sommes des Temples de Dieu. Et quelles que soient les attaques, les tragédies, les bombes, les épreuves extérieures auxquelles nous sommes confrontés, l’image du crucifié reste ancrée au plus profond de nous, si tel est notre désir. »