Dans un élan oratoire aussi stupide que sonore, Victor Hugo s’était écrié à la tribune du Sénat : « Le XIXe siècle était grand, le XXe siècle sera heureux. » Le tribun n’était pas prophète, le XXe siècle n’a pas été heureux. Cependant, sur le plan littéraire, il a été grand, portant jusqu’au bout ce que le XIXe siècle avait commencé dans le théâtre et le roman. Il a même vu un renouveau poétique inattendu dans la chanson.
Edmond Rostand a achevé les grandes constructions injouables de Victor Hugo et le théâtre moderne de Jean Giraudoux, Albert Camus, Jean-Paul Sartre, Jean Anouilh, Sacha Guitry a exploité la veine d’Alfred de Musset en la renouvelant.
Surtout, le roman, qui s’était répandu au XIXe siècle, a poursuivi sa carrière, dans les grandes fresques d’Émile Zola, Romain Rolland, Maurice Barrès et Anatole France et a culminé dans les deux chefs-d’œuvre de Marcel Proust et Louis-Ferdinand Céline, salués et lancés par Léon Daudet. Celui-ci imposa le prix Goncourt (1919) à Marcel Proust contre Roland Dorgelès (Les Croix de bois) et définit, à la une de L’Action française, le Voyage au bout de la nuit (1932) comme « le roman du XXe siècle ». Au même moment, L’Humanité saluait ce roman comme une œuvre communiste !
Le siècle du roman
En réalité, Proust comme Céline dépassaient les catégories politiciennes en créant un genre nouveau. Le foisonnement littéraire du XXe siècle surabonda en romans. Il suffit de citer Pierre Loti, Marcel Aymé, Mauriac, Bernanos, Barjavel, Vincenot, Michel Déon, Jacques Laurent, Roger Nimier, Montherlant, Michel de Saint-Pierre, La Varende, Giono, Pagnol, Henri Bosco, Maurice Druon, Saint-Exupéry, etc., pour avoir une idée de la diversité des tons et des styles.
Dans la poésie, le surréalisme ayant asséché la veine littéraire, la Muse s’est réfugiée dans la chanson. Elle avait commencé dans la poésie populaire à la fin du XIXe siècle avec Raoul Ponchon, Jehan Rictus, Gaston Couté, Aristide Bruant. Au XXe siècle, Charles Trenet, Georges Brassens, Léo Ferré, Jacques Brel, Édith Piaf et ses paroliers – dont Charles Dumont – et Barbara reprendront cette veine en mettant en musique des poèmes anciens du Moyen Âge ou du XIXe siècle. Anne Sylvestre apportera une dimension nouvelle et l’on peut dire que ce siècle aura été celui de la chanson poétique.
Il aura connu aussi, dans ses premières années, un renouveau avec l’école romane de Jean Moréas et Charles Maurras, et une œuvre atypique et grandiose avec Charles Péguy. Les tribulations des guerres nous auront donné la chanson d’Apollinaire, La Diane française d’Aragon – « Je vous salue ma France aux yeux de tourterelle » – et les poèmes de Fresnes de Robert Brasillach – œuvre unique d’un poète dans sa cellule de condamné à mort, face à son exécution prochaine.
La pensée catholique
Ainsi ce siècle aura surabondé en talents de toute sorte. On ne peut pas ne pas citer ce sommet de la philosophie et de l’art littéraire qu’est Gustave Thibon et le renouveau de la pensée catholique qui se fit autour de Jean Ousset, Marcel de Corte, Alexis Curvers, Marcel Clément, Louis Jugnet, Jean Madiran, Jean Guitton, Simone Weil et Léon Bloy.
Le XIXe siècle avait ouvert une voie au journalisme et à la polémique avec Benjamin Constant, Paul-Louis Courier et Louis Veuillot. Le XXe siècle leur donnera un éclat particulier avec Jacques Bainville, Léon Daudet et l’école de L’Action française que Marcel Proust lisait pour prendre « une cure d’altitude ». Antoine Blondin a porté le journalisme sportif au niveau du grand art littéraire. En 1961, Georges Pompidou, directeur de cabinet du général de Gaulle, publie une Anthologie de la poésie française, fait unique dans notre histoire politique.
Ainsi les souffrances du siècle ont-elles été fécondes et contrairement à la prophétie du tribun : ce siècle, s’il n’a pas été heureux, a été grand et notre temps peut y trouver de quoi se nourrir.