« La communauté chrétienne et ses symboles sont des cibles récurrentes : les attentats contre les églises et les chrétiens sont fréquents depuis longtemps. » Pour cette policière de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), qui a témoigné le 12 février au procès de l’attentat de la basilique de Nice, le caractère anti-chrétien de l’attaque de Nice ne fait pas de doute. Depuis 2014, six attentats ou projets d’attentats ont visé des chrétiens en France, a-t-elle précisé, soulignant qu’ils s’inscrivent dans un contexte international dramatique.
Partout dans le monde
Les attaques islamistes contre les communautés chrétiennes se sont multipliées à travers le monde depuis les assassinats de moines et de religieux en Algérie, entre 1994 et 1996. À l’époque, 4 Pères blancs avaient été mitraillés dans la cour de leur mission en Algérie ; 7 religieux et religieuses avaient été tués à Alger. Et l’archevêque de la ville avait trouvé la mort dans un attentat à la bombe. Sans oublier les 7 moines de Tibhirine décapités en mai 1996 dans des circonstances encore mystérieuses. L’enquêtrice de la DGSI a rappelé aussi les attaques perpétrées contre les chrétiens par le groupe djihadiste Boko Haram en Afrique, ou par des groupes islamistes au Pakistan (lire FC n° 3886).
En France, la policière cite l’attentat manqué de Villejuif, en avril 2015, contre les paroissiens de deux églises de la ville – Aurélie Châtelain, jeune maman d’une petite fille, avait été tuée – et celui de Saint-Étienne-du-Rouvray. L’attaque de Nice, le 29 octobre 2020, n’est pas sans rappeler cet attentat, qui avait coûté la vie au Père Hamel, assassiné le matin du 26 juillet 2016. À cette heure-là, pas de touristes ou de promeneurs de passage, juste quelques paroissiens venus entendre la messe ou offrir leur journée par une prière.
Ce sont donc ces fidèles de la première heure que visait spécialement Brahim Aouissaoui. Adepte d’un islam rigoriste, ce Tunisien, alors âgé de 21 ans, était surveillé par les services antiterroristes de son pays. Il avait gagné la France juste après une nouvelle publication des caricatures de Mahomet par Charlie Hebdo, le 2 septembre 2020.
Peu après le meurtre de Samuel Paty, égorgé le 14 octobre, et quatre jours avant l’attentat de Nice, un média proche d’Al-Qaïda avait incité à « égorger » des Français « dans leurs églises » – un appel dont Brahim Aouissaoui avait eu connaissance, selon le parquet antiterroriste. Lors du procès, l’accusé a confirmé qu’il condamnait ces caricatures, après avoir prétexté une amnésie au début du procès.
Entré dans la basilique Notre-Dame à 8 h 28, Brahim Aouissaoui trouve Nadine Devillers, une paroissienne de 60 ans venue déposer une prière matinale et demander au Ciel de l’aider dans sa recherche d’emploi. Les épreuves qui ont jalonné la vie de cette femme sans père, maltraitée par ses nourrices, ne l’ont pas empêchée de conserver sa foi et elle se rend régulièrement à la basilique pour prier le matin. C’est sur elle que tombent les premiers coups du terroriste, qui l’égorge dans une sauvagerie indicible.
La deuxième victime est une mère de famille de trois enfants, Simone Barreto Silva, catholique elle aussi, venue du Brésil et installée en France depuis trente ans. Cette aide-soignante de 44 ans est entrée dans la basilique pour venir en aide à Nadine Devillers, malgré les avertissements d’une autre femme sortie pour appeler les secours. Son geste généreux lui coûte à son tour la vie. Frappée de nombreux coups de couteau, elle meurt après s’être réfugiée dans un restaurant. À la haine terroriste, elle oppose un dernier message d’affection pour les siens : « Dites à mes enfants que je les aime », répète-t-elle avant de mourir.
La dernière victime, elle aussi égorgée, est le sacristain, Vincent Loquès, qui pénètre à son tour dans la basilique quand il apprend qu’une femme en sang est étendue sur le sol. Âgé de 54 ans, Vincent veillait depuis sept ans sur la paroisse. Il ouvrait l’église chaque matin, parfois dès 7 h 30, « parce qu’il aimait voir des gens venir prier tôt le matin », explique à l’audience un ami, Olivier, témoin de l’attaque perpétrée au cri de « Allah Akbar ». L’émotion de ces témoins tranche avec l’indifférence qu’on lit sur le visage hagard de l’accusé.
L’émotion d’un policier
Un policier de la brigade anti-criminalité, intervenu parmi les premiers sur les lieux de l’attentat, peine à retracer le déroulé de l’attaque tant elle a ébranlé sa vie. Même après plus de vingt ans de carrière, confie-t-il à la barre, il est resté profondément choqué par la sauvagerie de l’acte et surtout la découverte du corps quasiment décapité de Nadine Devillers. Pendant la durée de l’intervention, rapidement annoncée par la presse, ses proches ont vécu dans la terreur : « Ma fille m’a appelé 52 fois », témoigne-t-il.
Pour lui comme pour les siens, l’événement a marqué un tournant dans sa carrière à la BAC et il a préféré changer de service, désirant « continuer à servir » mais craignant de subir « l’intervention de trop ».
Des vies brisées mais des vies données
Face à la haine islamiste, le procès révèle donc des hommes et des femmes de valeur, qui ont vu leur vie s’achever ou se briser ce matin du 29 octobre 2020.
Des vies brisées mais des vies données : à Dieu d’abord, auquel Nadine venait confier sa journée ; aux paroissiens de la basilique, pour lesquels Vincent ouvrait chaque matin l’édifice ; aux autres, enfin, comme Nadine qui gisait sur le sol de l’église et pour qui le sacristain et l’aide-soignante n’ont pas hésité à pénétrer dans l’édifice, au prix de leur vie.