Anatole France, un maître de l'ironie - France Catholique
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Philippe de Champaigne : au service de Dieu et de la France
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Anatole France, un maître de l’ironie

Proust le considérait comme le modèle des romanciers. Il sut peindre son époque avec intelligence, dans un style inimitable, mêlant le sourire et l’ironie.
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Anatole France, photographié par Paul Nadar en 1893.

Anatole France, photographié par Paul Nadar en 1893.

Fils d’un libraire, Anatole France (1844-1924) – de son vrai nom Jacques François Anatole Thibault – grandit dans les livres. Tout jeune, il collabore au Parnasse puis abandonne la poésie pour se consacrer à la prose où il réussira avec un talent inégalé.

Né dans un milieu de gauche, il restera toujours fidèle à ce camp politique. Ami de Jaurès, dreyfusard, antimilitariste, pacifiste, républicain et anticlérical, il fut une sorte d’écrivain officiel de la IIIe République. Pourtant, célébré à sa mort par les écrivains dits nationalistes comme un maître, il fut vilipendé par les surréalistes, sous la plume de Louis Aragon, qui l’appelleront « le cadavre ».

Pas un maître à penser

Comment expliquer ce paradoxe ? Dans son livre Au Jardin d’Épicure, où il a consigné de nombreuses pensées, inégales mais révélatrices de son tempérament, Anatole France disait qu’il plaçait comme vertus tutélaires sur son existence l’Ironie et la Pitié. On peut appliquer ces deux termes au réquisitoire de Louis Aragon, quand on sait que celui-ci, qui lui reprochait d’avoir été l’écrivain officiel de la République, a été ensuite le chantre inconditionnel de Staline et de sa police politique, la Guépéou, dont Aragon disait qu’elle était le salut de l’humanité.

Quand on lit aujourd’hui Anatole France, le paradoxe s’explique très bien. France n’est pas un maître à penser. Lorsqu’il prétend s’élever à la philosophie ou à la théologie, il devient creux et ennuyeux. Les deux volumes de sa Jeanne d’Arc sont à l’opposé de son esprit, monstrueux de cuistrerie, prétendant démontrer par la science historique – lui qui professait que l’histoire n’était pas une science – que Jeanne n’était pas le fait exceptionnel que l’on croyait.

Mais quand il abandonne ces prétentions et qu’il se consacre à ce qui est son vrai génie, les tableaux de l’histoire contemporaine, France est un peintre délicieux, intelligent et souriant, au style inimitable. Paris lui a consacré un quai qui suit le quai Voltaire pour aller jusqu’à la Concorde. C’est assez bien vu car Anatole France a une langue aussi vive que celle de Voltaire, mais il est plus tendre et moins méchant. Comme il le dit, l’ironie et la pitié dominent ses livres.

Proust le considérait comme le modèle des romanciers et, si l’on veut aujourd’hui lire une langue moderne, vive et captivante, il faut lire les romans d’Anatole France. Dans Les Dieux ont soif, ce républicain a décrit l’enchaînement épouvantable qui fait d’Évariste Gamelin un magistrat devenu tueur professionnel. Dans Le Crime de Sylvestre Bonnard, membre de l’Institut, il dépeint un bibliophile célibataire assisté d’une gouvernante acariâtre, habitant quai Malaquais. Sylvestre Bonnard est un érudit un peu égoïste mais profondément bon et dont la charité sera récompensée. Je ne dis pas quel est son crime car il faut le découvrir dans le livre.

La pureté du style

L’univers d’Anatole France est celui d’un Paris qui va de la fin du XVIIIe siècle au début du XXe siècle pour les intrigues politico-ecclésiastiques. Son anticléricalisme ressemble à celui de Rabelais. Aujourd’hui, il faut avoir suivi les cours d’un séminaire traditionaliste pour arriver à saisir l’ironie de l’auteur qui n’éprouve pas toujours le besoin de traduire ses citations latines ou grecques.

Ce Voltaire humanisé a porté jusqu’à nous la pureté du style et il est agréable de la retrouver dans ses tableaux et ses romans qui savent conserver l’intérêt du lecteur, tant par la qualité des descriptions que par le sens de l’intrigue. Pour cette partie de son œuvre, comme pour toute sa critique littéraire, Anatole France mérite bien le titre de « classique ». Les surréalistes se sont trompés en le traitant de « cadavre ». Leurs prétentions se sont écroulées et l’œuvre d’Anatole France est toujours vivante.