La chapelle de la Visitation est un édifice discret, situé dans la rue éponyme qui mène à la basilique du Sacré-Cœur de Paray-le-Monial. Le vocable sous lequel elle est aujourd’hui connue, « Chapelle des Apparitions », donne davantage la mesure de son importance pour la foi catholique. Car c’est ici que sainte Marguerite-Marie Alacoque eut trois grandes apparitions du Christ il y a 350 ans, qu’un jubilé du sanctuaire diocésain commémore depuis le 27 décembre dernier, fête de saint Jean – il est l’apôtre qui reposa sa tête sur la poitrine du Christ et entendit battre son Cœur – et jour anniversaire de l’apparition de 1673, jusqu’au 27 juin 2025, fête du Sacré-Cœur, en souvenir de la grande apparition de l’octave de la Fête-Dieu de juin 1675. C’est lors de cette dernière que le Christ, montrant son Cœur, lui dit : « Voilà ce Cœur qui a tant aimé les hommes, qu’il n’a rien épargné jusqu’à s’épuiser et se consommer pour leur témoigner son amour ; et pour reconnaissance je ne reçois de la plupart que des ingratitudes, par leurs irrévérences et leurs sacrilèges, et par les froideurs et les mépris qu’ils ont pour moi dans ce Sacrement d’amour. »
Au cœur du cloître
Exceptionnellement, les Sœurs de la Visitation nous ont offert le privilège – et la joie – de pénétrer dans la clôture du monastère, lieu réservé aux religieuses de l’Ordre. Donnant sur le cloître, une lourde porte en bois matérialise la clôture qui les sépare du monde. Car, contrairement à une idée tenace, les visitandines n’ont pas pour vocation de visiter les malades, mais d’être « des filles d’oraison », comme le disait saint François de Sales, fondateur de la Visitation avec sainte Jeanne de Chantal en 1610. Cette même porte, Marguerite-Marie ne l’a empruntée qu’une seule fois en 1671, pour entrer à la Visitation, où elle mourut 18 ans plus tard, en 1690.
Dans l’immense monastère, le souvenir de sainte Marguerite-Marie est si prégnant que l’on croirait la sainte prête à surgir. « Nous méditons beaucoup la parole du Seigneur à sainte Marguerite-Marie : “Je veux que tu me serves d’instrument pour attirer des cœurs à mon amour”, confie Sœur Margarita Islena, originaire de Colombie, en France depuis 26 ans. C’est une chance immense que d’être religieuse ici. Si l’on me demandait un jour de choisir entre être religieuse en Terre sainte ou à Paray-le-Monial, j’ai dit au Seigneur que je choisirais de rester à Paray-le-Monial, car c’est une terre sainte. » À l’étage, la chambre d’infirmerie où sainte Marguerite-Marie rendit son dernier soupir a été transformée en chapelle. Sœur Margarita Islena insiste sur la conservation des lieux : les poutres au plafond sont identiques à celles de l’époque, de même que les pierres qui entourent la fenêtre, à côté de laquelle trône un tabernacle, sous une image du Sacré-Cœur. C’est dans cette pièce qu’à bout de forces, la religieuse refusa que l’on fasse revenir le médecin, disant à sa mère supérieure : « Ma Mère, je n’ai plus besoin que de Dieu seul, et de m’abîmer dans le Cœur de Jésus-Christ », avant de mourir en prononçant le nom de Jésus. « C’est une grande grâce de pouvoir venir prier ici » confie Sœur Margarita d’une voix douce.
Il ne faut pas faire deux pas pour que la présence de la sainte visitandine se fasse à nouveau sentir. Un long couloir lumineux, au mur duquel est accroché un chemin de Croix, est encore connu des Sœurs comme le « couloir de l’Agonie » : c’est ici que le 20 novembre 1677, après avoir déclaré à la communauté réunie que le Christ était indigné du manque de charité des Sœurs, la jeune Marguerite-Marie fut molestée par ces dernières éclatant de rage.
Le chœur des séraphins
Le souvenir est partout, même dans les endroits en apparence les plus communs. À l’entrée du jardin, bercé ce jour-là par la brise, Sœur Margarita s’arrête et montre quelques marches, dans une petite cour. Cet espace, où sainte Marguerite-Marie venait se recueillir pour sa proximité géographique avec le Saint-Sacrement de la chapelle voisine, fut pour elle l’objet d’une expérience d’autant plus spectaculaire qu’elle contraste, comme souvent, avec la simplicité des lieux : la visitandine voit le Sacré-Cœur « plus brillant qu’un soleil », « au milieu des flammes de son pur amour » et environné d’un chœur de séraphins « qui chantaient d’un concert admirable ».
À quelques mètres, la partie cloîtrée du chœur renferme une précieuse relique inaccessible aux fidèles et dont le prie-Dieu installé devant souligne l’attachement de la communauté : le cerveau de sainte Marguerite-Marie. « Le fait qu’il ait été retrouvé intact est remarquable est totalement inhabituel, car le cerveau est normalement la première chose détruite après la mort », relève Sœur Marguerite-Marie, visitandine à Paray-le-Monial. Pour elle, l’explication derrière la conservation miraculeuse de la matière grise de son illustre homonyme est évidente : « Certains, comme les jansénistes, l’avaient, à l’époque, traitée de folle : en réponse, le Seigneur a donc conservé son cerveau » sourit-elle.
Le dynamisme de Paray
En se rendant à Paray-le-Monial et en arpentant la Visitation, le pèlerin est plongé dans un grand mystère : pour révéler son Sacré-Cœur et en assurer la diffusion, pourquoi le Christ s’est-il manifesté au cœur de la campagne charolaise, à une simple visitandine qui n’avait pratiquement jamais quitté son village ? « Jésus dit bien à Marguerite-Marie qu’il l’a choisie “afin que tout soit fait par [Lui]”. Et de fait, la dévotion a pris comme une traînée de poudre » rappelle Sœur Marguerite-Marie. « Cela peut d’ailleurs être un enseignement pour notre époque : par un tout petit moyen de départ, ce sont toutes les extrémités de la terre qui ont été atteintes. »
Aujourd’hui, le sanctuaire diocésain, qui accueille entre 50 000 et 80 000 pèlerins chaque année, voit de jeunes familles venir s’installer dans les environs, soucieuses de voir leur foyer grandir à l’ombre du Sacré-Cœur. « Paray-le-Monial se rajeunit », confirme Clara Martin, jeune femme de 26 ans. Après plusieurs années à assister aux sessions d’été organisées par la communauté de l’Emmanuel, elle est venue s’installer il y a six mois avec son mari. Très attachée au Sacré-Cœur, auprès de qui elle témoigne avoir reçu « des grâces de consolation et de guérison », elle associe à sa nouvelle vie une démarche de diffusion de la dévotion. « Il y a encore beaucoup à faire, constate-t-elle. Quand je parle de Paray autour de moi, certains ne connaissent pas l’histoire de sainte Marguerite-Marie et sont même surpris du récit de l’apparition du Sacré-Cœur… »
Pourtant, la simplicité du message de Paray-le-Monial, qui s’appuie sur un « cœur » dont la puissance symbolique est présente dans toutes les cultures, lui assure une évidente universalité. « Quelqu’un qui ne connaît rien à la foi chrétienne mais qui découvre que Jésus lui offre son cœur va, même inconsciemment ou imparfaitement, être saisi au plus profond de son âme » témoigne le Père Xavier Jahan, présent à Paray-le-Monial depuis 2016. Pour ce jésuite, attaché à la chapelle Claude-La-Colombière, joyau artistique de la première moitié du XXe siècle érigé en l’honneur du premier homme ayant cru en sainte Marguerite-Marie, et fidèle propagateur de la dévotion au Sacré-Cœur, cette dernière est loin d’être dépassée : « Le Cœur de Jésus contient l’intégralité du mystère de Jésus. En ces temps bouleversés, où tout est remis en question, nous nous trouvons dans une urgence qui nous pousse à nous rendre au centre du centre, à l’essentiel : le Sacré-Cœur. »
Sortie du « purgatoire »
Les fidèles parodiens semblent tous entretenir une vraie proximité avec le Sacré-Cœur et espèrent bien profiter du jubilé pour faire connaître davantage la dévotion, d’autant qu’elle semble sortir d’une sorte de purgatoire où l’avaient précipité les polémiques récurrentes – et venant des milieux hostiles à l’Église – depuis le Vœu national de la basilique de Montmartre. « Les jeunes d’aujourd’hui n’ont plus aucun contact avec toutes ces histoires » estime Sœur Marguerite-Marie, pour qui la dévotion finira donc par « repartir » et dont le monastère compte mettre en ligne pour la première fois, à l’occasion de l’ouverture du jubilé, la totalité des écrits authentifiés de la sainte.
« J’ai déjà dit à des clients “Allez vous reposer sur le Cœur de Jésus”» explique sereinement Éric-Pierre Delaveau, fleuriste de Paray-le-Monial, qui s’attache autant que possible à diffuser la dévotion au Sacré-Cœur dans son travail. « Autrefois, la fête du Sacré-Cœur en juin attirait du monde, ce qui est moins le cas aujourd’hui », constate-t-il encore. Pour autant, le fleuriste ne croit pas à une désaffection durable et prédit, lui aussi, un retour en force de la dévotion, car « le Sacré-Cœur de Jésus est quelque chose de pur et simple, qui travaille tous ceux à qui l’on en parle ».
Réparer l’injustice
Les projecteurs braqués sur Paray-le-Monial durant le jubilé permettront au plus grand nombre de découvrir les initiatives déjà proposées par le sanctuaire pour diffuser la dévotion, à l’image de la Garde d’honneur, dont les 30 000 membres présents en France offrent une heure chaque jour en réparation au Sacré-Cœur. Plus largement, ce jubilé pourrait être l’occasion pour les Français de réparer une injustice. Car nul n’est prophète en son pays et le Sacré-Cœur n’échappe pas à la règle : bien que la dévotion trouve sa source dans les Écritures, c’est en France, auprès d’une jeune visitandine, que le Christ a choisi de révéler son Cœur, rendant l’affadissement de la dévotion dans l’Hexagone d’autant plus ingrat. « Quand je rencontre des Français qui ne connaissent pas la dévotion au Cœur de Jésus, je leur dis : “N’oubliez pas, vous Français, le trésor que le Seigneur vous a donné !” » s’enflamme Sœur Margarita Islena. Avant d’ajouter : « Les Français doivent retourner au Cœur de Jésus. » Loin d’être une dévotion surannée, le Sacré-Cœur de Jésus apparaît comme un formidable outil d’évangélisation, dont la simplicité et la radicalité du message sont à même de toucher les cœurs les plus éloignés de la foi chrétienne.