À Notre-Dame, le jubé surgi du passé - France Catholique
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Noël : Dieu fait homme
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À Notre-Dame, le jubé surgi du passé

Les fouilles entreprises lors de la réfection de Notre-Dame ont mis à jour plus de mille fragments du jubé médiéval de la cathédrale. Une exposition au musée de Cluny permet de les découvrir. Fascinant.
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Jubé : tête en cours de dégagement. Fouilles de la croisée du transept de Notre-Dame de Paris. © Denis Gliksman, Inrap

«Après la croisée, entre les deux gros piliers du transept, un jubé de pierre fermait l’entrée du chœur. Sur l’arcade principale qui servait de porte était un grand crucifix. Cet ouvrage […] était un chef-d’œuvre de sculpture ; à droite et à gauche, cette arcade se réunissait à la clôture en pierre peinte représentant l’histoire du Christ, et dont il reste une grande partie ».

Ces quelques lignes sont d’Eugène Viollet-le-Duc, dans son Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle. L’architecte venait de découvrir « quantité de débris du jubé » sous le dallage du chœur de la cathédrale, « d’une finesse d’exécution incomparable. Malheureusement, ces fragments ne sont pas assez nombreux pour pouvoir reconstituer d’une manière certaine et dans toutes leurs parties ces charmants monuments. » Il s’y essaya cependant sur la base d’une ancienne description, sans dissimuler les lacunes de son travail (voir le dessin ci-dessous).

Les archéologues du XXIe siècle parviendront-ils à réaliser ce que Viollet-le-Duc regrettait de ne pouvoir faire vraiment ? Les fouilles entreprises en 2022 par l’Inrap (Institut national de recherches archéologiques préventives) ont permis d’exhumer, à la croisée du transept, plus d’un millier de fragments de ce jubé, érigé vers 1230. Découverte d’autant plus excitante, selon l’Inrap, que « ces sculptures polychromes conservent toujours l’éclat de la peinture du XIIIe siècle », alors qu’il ne restait presque rien du décor peint initial de la cathédrale : les fragments retrouvés par Viollet-le-Duc – Adam et Ève, un torse de saint Jean Baptiste… – ont depuis longtemps perdu leurs couleurs.

Pour mesurer tout l’intérêt de cette découverte, il faut aussi rappeler que la plupart des jubés ont disparu. À Paris, il ne subsiste que celui de l’église Saint-Étienne-du-Mont. Plusieurs ont survécu à la destruction en Bretagne, mais le plus spectaculaire demeure sans doute celui de la cathédrale Sainte-Cécile d’Albi (cf. FC n° 3878).

Espace liturgique

Édifiés pour les plus anciens au XIIe siècle, ces jubés séparaient le chœur de la nef, distinguant ainsi l’espace liturgique, dont l’accès était réservé aux clercs, de l’espace profane où se « cantonnaient » les fidèles. Il en existe de nombreuses variantes, mais ils ont en commun trois éléments :

– une tribune, d’où l’on prêchait et lisait l’Évangile – le mot jubé vient de la formule Jube Domine benedicere, « Daigne Seigneur me bénir », que disait le lecteur avant les leçons des matines. « Le jubé peut aussi servir de tribune de chant ou d’honneur. On y fait monter les choristes, on y présente le nouvel évêque. Lors de certaines fêtes, on y montre les reliques les plus précieuses. À Reims, le roi à peine sacré y monte », indique Laurent Ridel, ancien guide et historien (decoder-eglises-chateaux.fr) ;

– une partie basse – souvent un mur sculpté de scènes de la vie et de la Passion du Christ – sur lequel s’appuyaient, de part et d’autre d’une porte, deux autels traditionnellement dédiés à la Vierge et à la Sainte Croix ;

– le tout surmonté d’un crucifix tourné vers les fidèles, accompagné des statues de la Vierge et de saint Jean, parfois des deux larrons.

Les jubés furent pour la plupart supprimés après le concile de Trente (1545-1563), les évêques souhaitant que les fidèles puissent assister plus étroitement à la célébration de l’Eucharistie – donc voir le célébrant et le maître-autel, qu’ils cachaient au moins en partie. Celui de Paris, dont les sculptures avaient été saccagées par les huguenots vers 1550, sera finalement détruit en 1708, non pour des raisons liturgiques, mais à la demande de Louis XIV qui fait réaménager le chœur selon le vœu de son père, Louis XIII : des statues d’anges et des deux rois sont placées de part et d’autre du maître-autel. Une pietà est installée derrière.

Inhumés avec respect

La destruction du jubé se fit avec tant de soin qu’il vaudrait mieux parler de démontage : les fragments reposaient, minutieusement alignés, au sommet d’un mur plus ancien – vestige, sans doute, de la cathédrale Saint-Étienne qui précéda Notre-Dame en ce lieu. Ils étaient liés au mortier, précaution témoignant du respect qu’on avait encore pour des sculptures certes passées de mode mais toujours sacrées car se rapportant à la vie du Christ.

Visage du Christ mort, tête de personnage biblique, détail d’une main, mais aussi éléments d’architecture ou frises végétales avec oiseau ou rongeur… Une trentaine de fragments de ce jubé médiéval sont présentés, parmi 120 œuvres, dans une passionnante exposition au musée de Cluny – musée national du Moyen Âge. Émouvant témoignage de la foi d’un peuple qui érigea des cathédrales à la gloire du Créateur, tout en sculptant dans la pierre les souffrances du Dieu fait homme. 

Faire parler les pierres. Sculptures médiévales de Notre-Dame.
Jusqu’au 16 mars 2025, musée de Cluny, 28, rue du Sommerard, 75005 Paris.