À Nevers, où Bernadette s'est sanctifiée - France Catholique
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À Nevers, où Bernadette s’est sanctifiée

Reportage. Devenue religieuse, sainte Bernadette mena à Nevers une vie humble et cachée, affrontant la maladie avec une grande espérance.
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En franchissant le portail du sanctuaire Sainte-Bernadette des Sœurs de la Charité de Nevers, juché sur les hauteurs du chef-lieu de la Nièvre, l’œil est immédiatement attiré par l’inscription gravée en haut de la grande façade : Deus charitas est, « Dieu est amour ». Tiré de la première épître de saint Jean (4, 16), devise de la congrégation religieuse, ce verset est probablement la première chose que vit Bernadette Soubirous en arrivant au couvent, le 7 juillet 1866. Il résumera le reste de sa vie. Car si, dans l’imaginaire collectif, Bernadette est « simplement » la voyante de Lourdes, la seconde moitié de sa vie, en tant que religieuse, est tout aussi édifiante que la première.

Lourdes… à Nevers

Autrefois connu sous le nom d’abbaye Saint-Gildard, le sanctuaire Sainte-Bernadette-Soubirous attire tous ceux qu’intrigue la vie de Bernadette après les apparitions, soit environ 210 000 pèlerins par an – dont 72 % d’étrangers. « Si Lourdes est le sanctuaire où le pauvre et le malade sont les premiers servis, Nevers est celui qui abrite le secret de la vraie joie, le secret de la sainteté : une vie simple et ordinaire » estime Sœur Susanne Lotter, l’une des quatre Sœurs de la Charité présentes sur place. Mais bien que situé à plus de 500 kilomètres à vol d’oiseau, Lourdes reste incontournable dans la vie de Bernadette. Aussi une grande reproduction de la grotte de Massabielle accueille-t-elle le visiteur dès l’entrée. « De cette façon, Lourdes est aussi à Nevers. L’été, on ne sait plus où mettre les cierges » s’amuse Sœur Susanne. Le sanctuaire des Hautes-Pyrénées est d’autant plus présent qu’une plaque de marbre a été installée sous la statue de la Vierge, ornée d’une pierre détachée de « l’endroit même du rocher où l’Immaculée posa son pied virginal ». À une vingtaine de mètres de là se trouve le cœur du sanctuaire : la chapelle du Sacré-Cœur, où trône la châsse présentant le corps incorrompu de sainte Bernadette. Mais s’y rendre directement reviendrait à griller les étapes : la préservation miraculeuse du corps est signe de sainteté et arpenter les lieux permet de se lancer sur les traces de la sanctification de Bernadette.

Première étape : le noviciat. Aujourd’hui transformé en chapelle, il accueille un grand portrait de la sainte au pied de la chaire de la Mère supérieure, en souvenir de l’arrivée de la jeune Bigourdane. C’est ici, pour désamorcer cette curiosité qui lui faisait tant de mal à Lourdes, que la supérieure demanda à Bernadette de raconter, dès le lendemain de son arrivée et une fois pour toutes, le récit des apparitions.

Dans cette salle immense, on imagine sans mal les plus de 200 sœurs venues de toute la région écouter la jeune femme. Face à des regards intrigués, peut-être parfois jaloux, sainte Bernadette se lance dans le récit. « Mais elle était tellement émue qu’elle a commencé par parler en patois ! explique Sœur Susanne. On comprend mieux son émotion lorsqu’elle reçut l’habit de religieuse : enfin, disait-elle “je suis comme les autres” ! » Interdiction est faite aux religieuses d’interroger la désormais Sœur Marie-Bernard sur ce qu’elle a vu à Lourdes. C’est aussi dans ce noviciat que, non sans douleur, Bernadette apprit en 1867 qu’elle ne quitterait jamais Nevers. Décrétée « bonne à rien », attirant la curiosité où qu’elle aille – dès son arrivée, la sonnette de l’abbaye n’arrêta pas de sonner –, décision est prise non pas de l’envoyer dans un des nombreux couvents de la congrégation pour s’occuper de malades, mais de la faire rester à la maison-mère des Sœurs de la Charité afin de s’occuper des religieuses malades. « Méditer cet épisode de la vie de Bernadette nous fait comprendre que Dieu ne nous appelle pas à des rêves de vie, estime Sœur Susanne. Saint François de Sales, qu’appréciait beaucoup notre fondateur, Dom Jean-Baptiste Delaveyne, disait qu’il fallait fleurir là où Dieu nous avait plantés. »

Les larmes de Bernadette

Mais avant de rejoindre l’infirmerie, véritable lieu de sanctification de Bernadette, il faut faire un détour. De l’extérieur du sanctuaire, l’interminable mur d’enceinte qui serpente dans Nevers ne laisse pas deviner ce qui se cache derrière. Une fois à l’intérieur, le pèlerin découvre un immense jardin de quatre hectares, vestige de l’époque où arbres, potagers et basses-cours étaient nécessaires pour assurer la subsistance des religieuses. Offrant une vue plongeante sur Nevers, deux lieux permettent de mieux saisir la vie simple de Bernadette.
D’abord, à l’angle nord-ouest du jardin, la statue de Notre-Dame des Eaux. Bernadette préférait cette représentation de Marie, souriante, les bras ouverts et le regard vers le bas, à celle classique de Notre-Dame de Lourdes. Surtout, elle marque le lieu où la sainte venait « dégonfler son cœur » lorsque sa famille lui manquait. « Il y a là quelque chose de rassurant : Bernadette a vu la Vierge et pourtant, elle reste humaine, capable de pleurer et de confier sa tristesse à Notre-Dame des Eaux… » remarque l’abbé Baudoin Massias. Jeune diacre du diocèse devant être ordonné prêtre en juin prochain, il vient tout juste de servir la messe dans la chapelle du noviciat et nourrit une grande dévotion à sainte Bernadette. « Elle est notre petite sainte à nous, Nivernais ! Modèle d’humilité et d’humour, elle est aussi un modèle d’une vraie vocation éprouvée jusque dans les larmes, d’une vie d’offrande et d’une vie cachée. » À ce titre, rien d’étonnant à ce que Bernadette ait été une familière de la chapelle Saint-Joseph, à laquelle on accède en empruntant une allée bordée de tilleuls. « Elle disait avec humilité : “Quand on ne peut pas prier, on s’adresse à saint Joseph”, sourit Sœur Susanne. Car si on ne sait pas ce qu’il a dit, on sait qu’il a beaucoup prié. » C’est d’ailleurs ici que Bernadette sera enterrée, avant d’être déposée dans une châsse en 1925.

Dans l’infirmerie

Pour prendre la mesure de la vie d’offrande de sainte Bernadette, il faut rentrer dans l’abbaye et monter à l’infirmerie. C’est ici que pendant 6 ans, de 1867 à 1873, Bernadette se mit au service des malades, avec un dévouement et une joie complets. « Bernadette était très appréciée pour sa délicatesse et son savoir-faire » insiste Sœur Susanne, qui rappelle que la religieuse ne faisait aucune différence parmi les malades et ne rechignait pas à s’occuper des pires plaies. Quand elle parlait des apparitions, elle disait : “[Marie] m’a regardée comme une personne regarde une autre personne.” Bernadette faisait de même avec les malades. » « Bernadette a aimé ses sœurs malades comme si c’était le Bon Dieu » confirme le Père Yves Sauvent, recteur du sanctuaire.

En 1873, les rôles s’inversent lorsque la tuberculose osseuse qui la frappe s’aggrave. « Mon rôle, c’est d’être malade » dit simplement la religieuse. Aujourd’hui, la chambre où elle passa la fin de sa vie et rendit son dernier souffle a été transformée en chapelle. Le tabernacle est encadré par deux voiles blancs, qui rappellent ceux du lit de Bernadette, sa « chapelle blanche », lui garantissant un peu d’intimité. Le lieu est d’autant plus émouvant que sa fin de vie fut éprouvante. « Ici, à l’exemple du Christ tenté dans le désert, Bernadette a fait face à de violents combats spirituels, rappelle doucement Sœur Susanne. Ces combats sont une chance, car ils sont des lieux de choix : soit je choisis Jésus, soit j’abandonne. Bernadette a choisi le Christ. »

Face à l’incorrompu

L’obéissance, la charité, l’humilité, l’abandon et enfin la mort chrétienne : une fois toutes ces étapes de la vie de Bernadette franchies, il est naturel pour le pèlerin d’arriver dans la chapelle du couvent. Dans le transept droit, la châsse où repose sainte Bernadette est ornée de la phrase que lui a adressée la Vierge à Lourdes : « Je ne vous promets pas de vous rendre heureuse en ce monde, mais dans l’autre. » Face à Bernadette, le saisissement est total : le corps est incorrompu, mains et visage ayant simplement été recouverts d’une pellicule de cire. « Elle donne l’impression de dormir en attendant d’être réveillée au dernier jour » souffle le Père Yves Sauvent, debout face à la châsse. Revêtu de son habit de religieuse, le frêle corps d’un mètre quarante-quatre illumine la chapelle. Exhumé à trois reprises – en 1909, 1919 et 1925, pour sa béatification –, le corps de Bernadette résiste, de façon surnaturelle, à l’inévitable décomposition.

La première exhumation (1909) provoqua d’ailleurs des remous : des Sœurs âgées, qui avaient connu Bernadette, manquèrent de défaillir en constatant que le corps de la sainte était resté le même que le jour de sa mort, trente ans auparavant ! La troisième exhumation, plus d’un demi-siècle après sa mise en terre, achève de confirmer son incorruptibilité : même les organes internes ont été préservés de toute décomposition. « Le sanctuaire a tout intérêt à mettre en avant ce corps incorrompu, affirme l’abbé Baudoin Massias. Car cette relique de Bernadette nous fait comprendre que nous ressusciterons avec notre corps, qu’il n’est pas une chose : dès lors, on ne peut pas faire n’importe quoi avec. »

Six actrices

Aujourd’hui, cette relique de sainte Bernadette attire non seulement des pèlerins, mais aussi de simples touristes. « Les Soubirous étaient quasiment des marginaux, ce qui fait que beaucoup de petites gens qui viennent ici, animées d’une foi simple et profonde, se retrouvent en elle, avance le Père Yves Sauvent. En venant voir Bernadette, on trouve une sœur qui vit la réalité, parfois dure, de notre propre vie. » Avec le jubilé de sa béatification, le 14 juin prochain, le sanctuaire Sainte-Bernadette s’apprête à vivre des mois denses : messes solennelles, processions, visites guidées… Surtout, le sanctuaire mise sur un spectacle, « Chemin de vie ». Se déroulant sur les différents lieux de vie et de prière de Bernadette à Nevers, il mettra en scène six actrices retraçant les grandes étapes de la vie de la sainte. L’occasion de faire découvrir la sainte à tous ceux qui ne la connaîtraient pas. « Je souhaite que ce jubilé soit l’occasion, pour les touristes, de se laisser saisir et de repartir en pèlerins, en ayant découvert que Bernadette, malgré les épreuves, a gardé l’espérance du Ciel » estime le Père Yves Sauvent.

Y a-t-il, comme le voulait une expression forgée par un ancien évêque de Nevers, « Bernadette de Lourdes » et « sainte Bernadette de Nevers » ? La réalité est moins binaire, tant toute la vie de Bernadette est édifiante. Mais se rendre à Nevers, continuité de Lourdes, permet en effet de découvrir une vie cachée d’une simplicité mariale. Celle d’une sainte qui, en ne voulant être rien, obtint tout : le Ciel.