Tout le monde rêve d’aller à Séville pour la Semaine sainte mais c’est un Tour de France que je dois relater et il me faut donc, j’en suis assez heureux je le confesse, repartir en Corse pour vivre intensément le triduum pascal. C’est au sud de l’île, que la tradition des processions de la Semaine sainte est la plus forte même si on la retrouve également au centre, à Corte notamment, et au nord à Bastia. Mais c’est bien à Sartène que la Semaine sainte est la plus intensément vécue.
Sur un éperon rocheux
Sartène est une cité de caractère nichée dans la montagne au-dessus de Propriano. Si la mer n’est qu’à une dizaine de kilomètres à vol d’oiseaux, la ville a bien le caractère un peu austère des villes de montagnes. La région est occupée depuis la préhistoire et l’on peut, si l’on va vers le village de Tizzano, admirer plusieurs dolmens. La ville de Sartène, elle, est relativement récente en comparaison des autres cités majeures de Corse. Ce n’est qu’au XVIème siècle que les Génois placèrent sur cet éperon rocheux une cité réputée imprenable.
Les grands immeubles et maisons corses qui accueillent les touristes l’été annoncent une ville au passé puissant et riche. Un présent toujours opulent avec quelques familles dynamiques, propriétaires de domaines viticoles produisant des vins puissants. Si en Corse, les milieux sociaux diffèrent de ceux du continent, Sartène, terre de Seigneurs, a toujours été à part avec une sorte d’aristocratie, les Gio, inconnue dans le reste de l’île. Des conflits sociaux liés à de fortes inégalités sociales ont fait basculer politiquement la ville aux XIXème et XXème siècles très à gauche.
Mais durant la Semaine sainte, toutes ces fractures anciennes disparaissaient et disparaissent encore aujourd’hui. La ville vit au rythme des événements de la Passion et aucune opération de communication ou de séduction touristique n’accompagne cette intense et traditionnelle démonstration de foi.
Une identité tenue secrète
Le Catennaciu est un pénitent tout habillé de rouge qui dans la nuit du Vendredi saint arpente la ville portant une croix de plus de trente kilos et traîne une chaîne (dont vient le nom de Catennaciu) de quatorze kilos. Les profonds silences alternant avec des lamentations polyphoniques aux sonorités dramatiquement orientales, et notamment le magnifique et poignant chant du Perdono Dio mio chanté en toscan, tirent chaque année des larmes d’émotion aux plus anticléricaux des Sartenais qui assistent en grand nombre à cette procession.
Le Catennaciu porte une cagoule rouge et seul le curé de Sartène connaît son identité qu’il ne révélera jamais, tenu par le secret de la confession. On dit en Corse qu’il est bien souvent un grand bandit qui cherche à racheter ses fautes… Ce qui est certain c’est qu’il aura passé la journée et la nuit précédentes en prière après cinq jours de retraite en silence dans un monastère. Grand bandit, mafieux ou simple pêcheur en quête spirituelle, il ne pourra endosser la robe et le capuchon rouge qu’une seule fois dans sa vie. Il est accompagné d’un pénitent blanc représentant Simon de Cyrène et de huit pénitents noirs représentant les membres du Sanhédrin, masqués eux aussi.
Le bruit du roulement de la chaîne raisonnant entre les murs des ruelles étroites et escarpées de la ville, la végétation méditerranéenne et la mélancolie des chants polyphoniques vous transportent vraiment deux mille ans en arrière dans un autre coin de la Méditerranée…